Tremblement et stupeur
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DE LISBONNE A TOKYO
Deux puissances frappées au coeur
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I° novembre 1755 : Lisbonne est détruite par un tremblement de terre suivi d'un tsunami puissant, qui affecte une bonne partie des côtes atlantiques. Lisbonne, la grande puissance coloniale, est touchée au coeur. Un jour de la Toussaint, où nombre d'églises ne résistent pas.
Un choc considérable sur les esprits partout en Europe, où la nouvelle s'étend très vite. Personne n'a alors en mémoire une catastrophe d'une telle ampleur.
Un tsunami dans le débats théologiques et philosophiques de l'époque.
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"Le tremblement de terre eut une forte influence sur de nombreux penseurs européens de l’époque des Lumières. Plusieurs d’entre eux mentionnèrent ou firent allusion à cet événement dans leurs écrits, notamment Voltaire dans Candide ou dans son poème sur le désastre de Lisbonne. Le caractère arbitraire avec lequel les personnes mouraient ou survivaient fut souligné par Voltaire dans la critique du meilleur des mondes possibles qui l’opposait à Leibniz. Comme l’a écrit Theodor Adorno en 1966, « le tremblement de terre de Lisbonne suffit à guérir Voltaire de la théodicée de Leibniz » (Dialectiques Négatives, 361). Une violente controverse s'est d'ailleurs déroulée entre Voltaire et Rousseau au sujet de l'optimisme et de la question du mal sur la Terre, un thème qui suscitait de nombreux débats entre théologiens, philosophes et savants au XVIIIe siècle." (Wiki)
_Le poème sur le désastre de Lisbonne eut une importance considérable, en s'inscrivant dans le débat sur les Lumières, où la religion officielle voit sa puissance contestée. La remise en question de l'idée de Providence, de la bonté divine gagne les esprits les plus éclairés, ce qui ne sera pas sans conséquences sur l'ébranlement futur des pouvoirs de droit divin.
Puissance et fragilité des hommes et des empires . Une nature aveugle qui suit des propres lois, sans égard pour le sort de hommes, favorisés ou déshérités, comme l'avaient déjà thématisé Lucrèce et plus tard Spinoza. Réaction tardive et dérisoire des hommes, qui sont rappelés à leur condition, mais aussi à leurs erreurs.
_Tokyo : Mars 2011
A Lisbonne, on ne savait pas, on n'avait pas d'archives et la probabilité du désastre était faible. Au Japon, suréquipé, supercontrôlé, supersismographié, on pouvait anticiper/imaginer théoriquement le pire scénario
Le "Big One" ? Peut-être. Un record absolu en tous cas dans l'archipel, si on se réfère aux archives disponibles.
La technologie des constructions a permis d'éviter le pire en milieu urbain.
"En 1923 s'était manifesté le précédant séisme géant, qui rasa une bonne partie de la capitale nipponne et provoqua la mort ou la disparition de quelque 140.000 personnes (en raison notamment des incendies dans une métropole alors construite surtout en bois puis des massacres expiatoires visant Coréens et Chinois). Penser à relire l'hallucinant témoignage de Paul Claudel, alors ambassadeur de France à Tokyo, parti à pied vers Yokohama à travers la ville dévastée...( Mediapart)
__Une des premières puissance technologiques du monde est ébranlée par un événement qui n'est qu'un effet "prévisible" d'un jeu de plaques, d'un banal événement géologique, d'une planète qui suit son cours et qui en remettra une couche, là-bas ou ailleurs...
_Au Japon, nul débat théologique, mais une crise profonde va sans doute s'ouvrir : crise politique vis à vis de certains choix énergétiques, crise économique (la reconstruction s'annonce gigantesque et longue), crise morale (même si les Japonais en ont vu d'autres), remises en question technologiques (le débat sur le nucléaire n'est pas nouveau). Comment a-t-on pu miser autant sur le nucléaire dans un pays que l'on savait perpétuellement menacé ? Oublierons-nous de si tôt Fukushima ?
__Philosophiquement, c'est , une fois de plus, la disproportion qui frappe l'esprit des hommes : faiblesse de l'humanité, malgré sa puissance prométhéenne, le potentiel de ses moyens, puissance d'une nature qui peut réveiller des forces inimaginables et trahir nos meilleurs calculs.
L'esprit japonais peut composer avec la souffrance, mais dans certaines limites seulement.
Des larmes pour le Japon, on le comprend, même si l'on pleure moins quand un tel événement se produit au Pakistan et si l'on oublie les cicatrices encore béantes de Port-au-Prince.
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Un internaute disait ici l'autre jour, en termes simples, la complexité et l'ambivalence des sentiments qui nous animent en de telles circonstances :
"...Chaque événement de ce type nous ramène à notre pauvre impuissance, et à des choses plus obscures, indéfinissables, quasi animales. Cela nous fait relativiser un temps nos petits problèmes, nos querelles ridicules. Toutes ces maisons et ces trains emportés comme fétus de paille nous laissent abasourdis, tétanisés par la réalité brute et sauvage de la vie, par l’absurdité du destin. Survient la satisfaction d’avoir été épargnés, d’avoir été du bon coté de barrière. Que nous refoulons bien vite, comme ces miasmes qui nous agitent parfois l’intestin. Nous compensons notre culpabilité par une compassion de bon aloi. Puis, au delà des mots, nous rêvons tout à coup à cette véritable communauté humaine qu’il faudrait réaliser, et qui se révèle tout à coup.. L’aide massive des uns et des autres. Le partage des richesses. De vrais économies solidaires, et non prédatrices. Il semble bien qu’on ne s’en sortira pas sans ça. Car c’est sous nos pieds demain que la terre tremblera. Les failles sismiques se moquent bien de nos pauvres frontières, de nos querelles de religion et de clocher, et nous font réaliser que la terre n’est qu’un organisme global, et que l’on ferait bien de s’en apercevoir au plus vite. Indécence totale : Les chroniqueurs radio parlant d’emblée de la chute de bourse à Tokyo ! "(vélosolex)
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