TREPALIUM, en somme
Après tout, les gens qui sont déçus par Macron ne peuvent s’en prendre qu’à eux-mêmes puisqu’ils ont voté pour lui, et parfois deux fois.
Celles et ceux qui ne l’ont fait qu’une fois l’ont fait par réflexe ou sous la pression d’une propagande éhontée, faite d’injonctions, de mises en demeure et mises en cause. Les plus retors diront qu’ils l’ont fait par calcul, après mûres réflexions, études de probabilités et croisement de tableurs.
Celles et ceux qui ont voté deux fois Macron auraient dû lire son programme. Ils ne seraient pas déçus puisque le candidat annonçait sans fard les plus emblématiques des mesures du président élu : suppression de l’ISF, augmentation de la CSG pour les retraités aisés à partir de 1200€ et aggravation des mesures contre les salariés avec la loi Trepalium..
Il n’est pas surprenant que les déçus de Macron se comptent essentiellement dans les rangs de la gauche. Les électeurs de droite qui ont voté pour lui, parfois dès le 1er tout, ne trouvent pas grand chose à dire contre ses mesures. A l’exception de celle contre les retraités, elles se trouvaient dans le programme du candidat Fillon. Tout au plus reprocheront-ils à Macron de ne pas aller assez vite et assez loin.
Le glissement à droite de l’offre politique était enclenché depuis longtemps dans l’anglosphère avec la « révolution libérale » de Reagan et Tatcher. En France, il a commencé en 1983 avec le tournant dit « de la rigueur », et après quelques péripéties, il s’est combiné en 2017 avec une abstention massive de l’électorat populaire qui n’est pas sans suggérer un rétablissement de fait du suffrage censitaire. Il s’achève provisoirement avec l’élection d’un banquier et l’éclosion d’un parti à ses initiales, premier parti de droite dès son apparition sur l’échiquier politique.
Ces réflexions ont peu de chances d’être partagées par les commentateurs professionnels qui se flattent de faire, de façonner l’opinion. Eux-mêmes préfèrent dire qu’ils font de la pédagogie, qu’ils éclairent de leurs lumières des masses peu informées qui pourraient se laisser séduire par des flambées populistes et se laisser aller à des extrémités.
On connaît ces prescripteurs d’opinions, ces « nouveaux chiens de garde » que Serge Halimi répertoriait il y a vingt ans. Ils promènent toujours leurs trognes vieillies sur les écrans de télévision et leur prose audacieuse dans diverses publications. Le plus ancien de ces caniches est évidemment Jean Pierre Elkabach qui continue de chevroter sur Public Sénat et CNews. Le plus théâtral, ce Christophe Barbier reconnaissable à son écharpe rouge et à son ton incomparable dans la lecture d’éditoriaux qu’il a écrits lui-même. Mais, malgré leurs « divergences idéologiques », les uns ayant pu voter Fillon à la présidentielle, tous pourraient souscrire à cette déclaration de Franz Olivier Giesbert :
« Emmanuel Macron est notre dernière chance avant la catastrophe finale. Une bouée de sauvetage envoyée in extremis par la Providence. Nombreux étaient ceux qui le pensaient ou l’écrivaient avant l’élection présidentielle. »
Ce sont les premières de son éditorial du 31 août, titré avec un goût certain du paradoxe : « Pourquoi gouverner les Français s’ils sont ingouvernables ? ». Ce numéro du Point est celui où le président élu a décidé de s’adresser aux Français et aux Française, avant d’être contraint de le faire à la télévision. Ce numéro à sa gloire est intitulé « Le grand entretien » et reprend dans sa couverture ce propos mémorable du souverain : « Nous devons renouer avec l’héroïsme politique ».
Il est bon de rire parfois. L’ironie, c’est que ce numéro du Point, qui consacre 22 pages à son héros, contient aussi un dossier de 10 pages sur le transhumanisme. Il comporte un autre entretien tout aussi servile accordé à Yuval Noah Harari, l’auteur des best-sellers Sapiens (2014) et Homo Deus (2017).[i] Et il se termine par des extraits du blog de Bill Gates. Le fondateur de Microsoft y dit son admiration pour Hariri, mais la rédaction du Point a choisi de publier l’exercice d’admiration de Bill Gates sous le titre : « Que se passera-t-il si les gens n’ont plus rien à faire ?
N’est-ce pas ce moquer un peu de celui qui a passé sans férir sa loi Trepalium !
Mais, malgré ce succès, on se souviendra aussi que ce président, élu le 7 mai avec 66% des suffrages exprimés, est parvenu, dès son entretien du 15 octobre sur TF1, à un score de 61% de Français plutôt déprimés par son intervention.
Pourtant ses interlocuteurs n’avaient pas cherché à le mettre en difficulté et les commentateurs, le soir même et avant que ne sorte le sondage désobligeant, n’avaient pas hésité à dire combien il avait été bon.
Aussi les prescripteurs d’opinions ont-ils été contraints de reprendre la plume et la parole. Ne pouvant plus se contenter de s’extasier devant la geste présidentielle, ils se sont intéressés à l’état de la droite ancienne qui a été éliminée dès le 1er tour : ses divisions, ses espoirs, ses perspectives, ses nouveaux leaders potentiels. Les LR « reconstructifs », plutôt que de rejoindre LREM en masse ne vont-ils pas s’organiser comme « Les Républicains En Marche » ? C’est une question qui ne manquera d’être posée dans un de ces débats entre éditorialistes, de Valeurs Actuelles à Libération. Il serait bon, de leurs points de vue modérés, qu’une droite traditionnelle se reconstruise et présente un candidat présentable en 2002, afin d’éliminer les extrêmes dès le 1er tour.
Après tout, ils tournent tous en rond, fort civilement, dans le « cercle de la raison » et jugent nécessaire que le peuple de France se soumette enfin aux nécessités économiques, aux lois du marché mondial, aux traités européens et à la raison du plus fort, de ses maîtres naturels et de ses élites autoproclamées. La France Soumise, est-ce trop demander, dans un monde si dangereux ?
[i] Celui-ci, présenté tout simplement comme « l’essayiste le plus influent de l’époque », est un idéologue qui déclare sans ambages : « Nous sommes capables de remodeler la vie » J’y reviendrai.
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