Trierweiler : un licenciement sans cause réelle et sérieuse ?
La rumeur courait depuis plusieurs mois … « Ne dites pas que je vous l’ai dit, mais un remaniement va avoir lieu » … En coulisse, commentateurs politiques et journalistes s’activaient pour connaitre le nom des ministres menacés … Montebourg ? Sapin ? Duflot ? Taubira ? Valls ? Ayrault ? Trierweiler ! ... Trierweiler ??!
L’annonce de l’éviction de Valérie Trierweiler a suffi à faire taire la rumeur. Le communiqué présidentiel est laconique et rappelle le discours du Président lors de l’entre-deux-tours : « MOI JE, MOI JE ». De son côté, Valérie Trierweiler ne peut que constater que la relation, qui la liait à l’Elysée, est rompue. Elle en subit indéniablement un préjudice et est en droit de demander réparation. Mais, la difficulté, dans le cas présent, est de savoir à quel titre, et pour cela de pouvoir caractériser la relation.
Parler de relation professionnelle est inexacte, dans la mesure où le lien de subordination à l’employeur n’était pas clairement établi, et où elle n’avait ni salaire, ni contrat. Se contenter de décrire la relation comme conjugale parait insuffisant, étant donné qu’elle travaillait à l’Élysée.
Factuellement, Valérie Trierweiler travaillait à l’Elysée. Elle disposait d’un bureau. Elle avait des collaborateurs affectés à son service. Elle était officiellement présentée sur la page internet du site de l’Elysée. Elle assistait aux cérémonies protocolaires.
On peut, bien évidemment, critiquer la vacuité de son rôle ou de sa mission (au même titre que l’on peut critiquer la vacuité du rôle d’un ministre des affaires étrangères et de la diplomatie, quand on ne cesse d’entrer en guerre). Mais c’est un autre débat.
Elle n’avait pas de salaire … Certes. Mais comme le dit le bon vieux adage, tout travail mérite salaire. Elle aurait dû avoir un salaire pour le travail qu’elle accomplissait et le temps qu’elle consacrait à ses fonctions à l’Elysée. Les choses auraient été plus claires et transparentes. D’autant qu’elle renonçait parallèlement à une partie de ses revenus pour pouvoir se consacrer à ses fonctions.
Le lien de subordination à son employeur, l’Elysée, n’était pas clairement établi… C’est le moins que l’on puisse dire. Le cadre de ses missions n’était absolument pas défini. Elle n’avait, semble-t-il, aucun supérieur hiérarchique. Mais c’était à l’Elysée de clarifier la situation. Son éviction de l’Elysée témoigne néanmoins d’un rapport de subordination. Elle n’agissait pas indépendamment de l’Elysée.
Elle n’avait ni contrat, ni mandat. Du moins rien d’écrit, ni de formel… C’est vrai mais le fait qu’il n’y avait pas de contrat écrit doit être relativisé. Dans le cas du travail salarié, par exemple, si un contrat de travail est généralement établi par écrit, un CDI à temps complet peut être non écrit (article L1221-1 du Code du travail). Il faut d’ailleurs savoir qu’en cas de litige sur la nature du contrat, tout contrat non écrit est requalifié de CDI à temps plein. Or difficile, dans le cas présent, de nier que Valérie Trierweiler travaillait pour l’Elysée et était, en quelque sorte, sous contrat (même si rien n’était écrit).
Le code du travail définit un cadre, avec pour but de protéger les salariés. Le cas de Valérie Trierweiler est de toute évidence hors cadre. Pourtant, étant donné que le couple n’était ni marié, ni pacsé, c’est sans doute le cadre le plus adapté pour juger de cette éviction et de ses conséquences. Il conviendrait alors pour pouvoir juger, de rattacher autant que possible sa situation au cadre. Or, et toujours dans un souci de protection des salariés, il y a fort à parier que, si la justice était appelée à se prononcer, elle reprocherait à l’Elysée d’avoir entretenu une situation aussi floue. Considérant que le couple vivait en concubinage, et qu’à ce titre Valérie Trierweiler n’est absolument pas protégée par les liens du mariage ou même du pacs (mariée ou pacsée, elle aurait eu droit à une prestation compensatoire en cas de séparation), leur relation serait, sans doute, davantage considérée comme professionnelle que conjugale. Faute de tout contrat, faute de tout mandat, (faute de mieux), son activité à l’Elysée pourrait être assimilée à une activité salariée déguisée et non déclarée. Son éviction pourrait être jugée comme on juge d’un licenciement.
Dans ce cadre, un employeur ne peut licencier un salarié pour motif personnel qu’en justifiant le licenciement par une cause réelle et sérieuse (article 1232-1 du Code du travail). Il est impératif que la cause soit à la fois réelle (objectivée par des faits précis et matériellement vérifiables) et sérieuse (suffisamment grave). La faute du salarié est une cause à la fois réelle et sérieuse. Mais difficile d’arguer que Valérie Trierweiler ait commis une quelconque faute.
La cause peut, cependant, être réelle et sérieuse, sans pour autant résulter d’une faute. Exemple : insuffisance professionnelle, perte de confiance, mésentente. Dans le cas présent, aucune cause réelle et sérieuse ne semble justifier le licenciement. La mésentente, par exemple, ne peut être retenue que si cette mésentente cause un trouble préjudiciable au bon fonctionnement de l’entreprise ET si elle est imputable au salarié. Or, difficile de soutenir que Valérie Trierweiler soit responsable de l’adultère.
En procédant de façon aussi expéditive à l’éviction de Valérie Trierweiler, l’Elysée a commis de nombreuses fautes si on accepte l’idée que, pour pouvoir juger de cette éviction, il faut le faire comme on jugerait d’un licenciement.
Un employeur qui souhaite licencier un salarié doit obligatoirement le convoquer à un entretien préalable (article L1232-2 du Code du travail). L’entretien ne peut pas avoir lieu moins de 5 jours ouvrables après avoir été notifié au salarié. Si, à l’issue de l’entretien, l’employeur souhaite poursuivre la procédure de licenciement, il doit en informer le salarié par lettre recommandée. La lettre doit indiquer très clairement les motifs de licenciement (article L1232-6 du Code du travail). L’employeur est tenu par les termes de la lettre. Autrement dit, il ne peut plus, ultérieurement à l’envoi de la lettre, invoquer des motifs autres que ceux cités dans la lettre. Le salarié licencié a droit à une période de préavis (article L1234-1 du Code du travail).
Le communiqué, par lequel le Président fait état de la rupture, est rédigé à la première personne uniquement et à plusieurs reprises. Difficile, dans ces conditions, de laisser penser, qu’un accord libre de toute pression ait été trouvé et que la rupture résulte d’une décision bilatérale. La rupture prend bien les formes d’un licenciement et non celles d’une rupture conventionnelle.
En conclusion,
Si on rapproche la procédure d’éviction de Valérie Trierweiler d’une procédure de licenciement ; la gestion de ce « licenciement », s’il s’avère être sans cause réelle et sérieuse, est un bien mauvais signal donné par l’Elysée, à l’heure où les partenaires sociaux planchent sur une réforme de grande ampleur du Code du travail.
Quelques politiques (principalement des femmes) se sont également émues de la manière dont Valérie Trierweiler a été traitée et ont parlé (délibérément ou non) de lettre de licenciement. C’est important d’avoir souligné le fait que Valérie Trierweiler travaillait à l’Elysée. C’est important au vu de la manière dont les choses se sont passées. C’est important de faire comprendre à certains que les femmes ont accès au monde du travail et que le travail des femmes doit être déclaré et rémunéré. C’est d’autant plus important quand on garde en mémoire la phrase de Laurent Fabius sur Ségolène Royal, lorsque celle-ci s’est présentée à l’élection présidentielle : « qui va garder les enfants ? ».
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