Triste anniversaire dans la ville rose (témoignage)
10 heures, 17 minutes, 57 secondes
Je me souviens exactement de ce que je faisais ce jour-là, à ce moment précis : je dormais.
J’avais accompagné mon fils à l’école un peu plus tôt et, fatiguée par le concert que j’avais donné la veille, je m’étais recouchée. Sereinement.
C’est un bruit inhabituel qui m’a fait sursauter dans mon sommeil. Un bruit sourd et inidentifiable. Un bruit qui vous fait penser qu’il y a quelque chose qui ne tourne pas rond. Un bruit qui vous sort du lit et vous donne des palpitations. Un bruit qui vous ramène dix jours en avant, aux pieds des tours jumelles.
J’ai allumé la chaîne de télévision régionale. La chaîne de ma région, de ma ville. C’est au travers de monuments et décors familiers que j’ai vu des dizaines de personnes recouvertes de poussière et de sang, déambulant avec une lenteur et une terreur lisible dans leurs yeux épouvantés. En fond sonore, on pouvait entendre des gens crier : « c’est un attentat terroriste, laissez vos enfants à l’école, ne sortez pas de chez vous, c’est en train de péter partout ! »
Puis « on » a parlé d’un nuage chimique, d’une consigne obligatoire de rester calfeutrés. C’est à ce moment que j’ai cru à un canular, une mise en scène. Ce genre de choses n’arrive que chez les autres, pas ici, pas à Toulouse.
Je me suis habillée à la hâte et je suis allée chercher mon fils à l’école. Il ne restait déjà plus qu’une dizaine d’enfants sur place. Malgré le chaos qui régnait au centre ville, un silence pesant épousait le ciel noir. Je me suis dit que c’était la fin, que d’une minute à l’autre nous allions recevoir une nouvelle bombe et que nous disparaîtrions sous les décombres. Je me suis sentie étrangement calme. J’ai appelé un ami motorisé pour me rendre au centre et constater les dégâts. On aurait dit que de la neige avait recouvert la ville.
Une amie, qui travaillait dans une clinique spécialisée dans les yeux, m’a téléphonée en larmes. Un défilé de zombies atrophiés envahissait le hall d’entrée. Une autre amie m’a racontée que quelques secondes à peine avant l’explosion, elle a sorti son bébé qui pleurait dans son couffin pour l’amener avec elle dans la salle de bain. En ressortant, elle a retrouvé des débris de verre plantés dans la porte et dans le petit lit de son enfant. Puis il y a eu mon contrebassiste, Jean Hugues, qui a eu le malheur de passer sur l’autoroute qui longe l’usine AZF, au mauvais moment. Il est devenu sourd sur le coup. Et des histoires comme celles-là, il y en a des centaines, des dizaines et des dizaines de vies brisées qui continuent à porter les stigmates de ce drame.
Alors aujourd'hui je pense à ma ville rose et à ce triste anniversaire.
Il y a dix ans, déjà...
6 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON