Trois poèmes sur la guerre d’Antonio Machado
En 1931, Machado proclame la République à Ségovie, en hissant le drapeau républicain sur l’hôtel de ville de Ségovie au son de La Marseillaise ! Antonio Machado était professeur de français et républicain convaincu. Il était à Madrid quand la Guerre civile d'Espagne éclate en juillet 1936. Il faut savoir toute l'horreur d'une guerre civile ; elle divise les familles. Le frère aimé d'Antonio a choisi de soutenir le camp franquiste alors qu'Antonio, lui, met sa plume au service du parti républicain. Il écrivit un poème évoquant l'exécution de Federico Garcia Lorca.
Machado fut évacué avec sa mère et deux autres frères, à Valence, puis en 1938 à Barcelone. Il meurt d'épuisement en France à Collioure, à quelques kilomètres de la frontière, où il repose à jamais. Sa mère meurt trois jours après.
Dans son recueil "Champs de Castille" (1907 - 1917), il évoque la guerre mais de loin, se réjouissant que son pays soit en paix. Si on relit aujourd'hui ce poème en faisant abstraction des belligérants nommés (Albion et Germanie), on saisit la pensée profonde du poète à propos des guerres. La guerre, pour Machado est barbare et stupide, elle fait des victimes des deux côtés. Elle ramène l'Humanité très loin en arrière. Il ne savait pas encore que viendrait la guerre civile et que sa famille serait dispersée et scellée par un destin funeste.
Espagne en paix
Seigneur ! La guerre est mauvaise et barbare, la guerre
que les mères haïssent, rend les âmes furieuses ;
tandis que passe la guerre, qui sèmera la terre ?
Qui moissonnera les épis que dore le soleil de juin ?
Albion épie et chasse les quilles sur les mers ;
La Germanie détruit les temples, les demeures, les ateliers ;
Dans les maisons la guerre met un souffle de gel,
La faim sur les chemins, les pleurs aux yeux des femmes.
La guerre est barbare, stupide, régressive ;
Pourquoi sur l’Europe à nouveau cette sanglante rafale
qui fauche l’âme et cette folie agressive ?
Pourquoi l’homme à nouveau de sang se saoule-t-il ?
La guerre nous rapporte le pus et la peste de l’outre-mer chrétien ; le vertige d’horreurs qu’apporta Attila en Europe avec ses féroces armées ; les hordes mercenaires, les puniques rancœurs ;
La guerre nous ramène les morts millénaires
de cyclopes et de centaures, d’Héraclès et Thésée ;
La guerre ressuscite les songes des cavernes de l’homme du temps des mammouths géants et velus.
Dans ses "Poèmes de guerres" (1936 -1939), nous trouvons peu de poèmes puisque le poète a dû fuir l'Espagne et qu'il est mort peu après. Il n'a rien eu le temps de voir de la Seconde guerre mondiale. On y trouve cependant ce court poème sur un enfant mourant qui voit et entend des avions dans le ciel et que sa maman essaie de réconforter.
La Mort de l'enfant blessé
A nouveau dans la nuit…C’est le marteau
De la fièvre aux tempes bien bandées
de l’enfant. – Mère, l’oiseau jaune !
Les papillons noirs et mauves !
- Dors, mon enfant. – Auprès du lit, la mère serre la petite main -. Oh ! fleur de feu !
Qui te glacera, fleur de sang, dis-moi ?
Dans la pauvre chambre une odeur de lavande ;
Dehors la lune ronde qui blanchit
le dôme et la tour de la ville assombrie.
Un avion invisible bourdonne.
- Dors-tu, oh ! douce fleur de mon sang ?
Un cliquetis de vitre à la fenêtre.
- Oh ! froide, froide, froide, froide, froide !
On trouve aussi cet autre poème, plus connu et dédié à Federico Garcia Lorca
Le crime a eu lieu à Grenade
A Federico Garcia Lorca
(Ce poème de Machado fut publié pour la première fois le 17 octobre 1936 dans l'hebdomadaire « Ayuda »).
I
LE CRIME
On le vit, avançant au milieu des fusils.,
par une longue rue,
sortir dans la campagne froide,
sous les étoiles, au point du jour.
Ils ont tué Federico
quand la lumière apparaissait.
Le peloton de ses bourreaux
n'osa le regarder en face.
Ils avaient tous fermé les yeux,
ils prient : Dieu même n'y peut rien !
Et mort tomba Federico
— du sang au front, du plomb dans les entrailles —
… Apprenez que le crime a eu lieu à Grenade
— pauvre Grenade ! —, sa Grenade…
II
LE POÈTE ET LA MORT
On le vit s'avancer seul avec Elle,
sans craindre sa faux.
— Le soleil déjà de tour en tour, les marteaux
sur l'enclume — sur l'enclume des forges.
Federico parlait,
il courtisait la mort. Elle écoutait.
« Puisque hier, ma compagne, résonnaient dans mes vers
les coups de tes mains desséchées,
qu'à mon chant tu donnas ton froid de glace
et à ma tragédie
le fil de la faucille d'argent,
je chanterai la chair que tu n'as pas,
les yeux qui te manquent,
les cheveux que le vent agitait,
les lèvres rouges que l'on baisait…
Aujourd'hui comme hier, ô gitane, ma mort,
que je suis bien, seul avec toi,
dans l'air de Grenade, ma Grenade ! »
III
On le vit s'avancer…
Élevez, mes amis,
dans l'Alhambra, de pierre et de songe,
un tombeau au poète,
sur une fontaine où l'eau gémira
et dira éternellement :
le crime a eu lieu à Grenade, sa Grenade !
Outre ces trois poèmes sur la guerre, "Champs de Castille" comprend une annexe composée d’éloges à des amis et poètes qu'il admirait. Il a notamment dédié un poème à Miguel de Unamuno « pour son livre « Vie de Don Quichotte et de Pancho ».
Machado qualifie Unamuno de « donquichottesque don Miguel de Unamuno, robuste Basque » qui va « talonnant sa folie d‘un éperon d’or, sans crainte des mauvaises langues » et « dicte des leçons de chevalerie ». « Il veut enseigner les rides du doute au chevalier avant qu’il ne s’élance ; tel un nouvel Hamlet… ». « Il veut être un bâtisseur », « il connaît Jésus et crache sur le pharisien. »
L'Histoire se souvient du célèbre discours tenu par Miguel de Unamuno à l'Université de Salamanque face aux franquistes assemblés. Deux hommes, un même combat contre la bêtise et la sauvagerie...
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