Trop c’est trop : Sevran mort, vive la sanchon sans fraise !
En France, on est toujours mieux mort que vivant. Du vivant de Brassens, on voulait l’interdire, on l’a même interdit d’antenne pour pornographie, et pourtant aujourd’hui un nombre impressionnant d’écoles maternelles portent son nom. Ce qui ne risque pas d’arriver à Pascal Sevran, qui, à peine décédé, se voit pourtant tisser de partout des couronnes de fleurs franchement imméritées. Hier soir, sur France2, notamment on n’y est pas allé avec le dos de la cuillère avec ce "grand artiste", l’auteur de "grandes chansons" celui qui "a fait découvrir plein de nouveaux talents" et "qui à enchanté le public depuis des années"... A voir et entendre ce panégyrique à superlatifs, on se croyait au journal télévisé chinois, dont les français se moquent tant ces derniers temps. Car le reportage délivré par la chaîne parle de lui-même, finalement, ce qui n’est pas sans surprendre...

Car notre homme, salué par Nicolas Sarkozy comme étant "son ami" après avoir été celui de François Mitterrand n’est pas loin de l’imposture totale. Pour sa chanson phare, celle de Dalida, qu’il a souvent revendiquée seul, est en fait co-signée Serge Lebrail , Pascal Auriat (Jean-Paul Vuillerme) et Jean Bouchéty. Le premier a travaillé pour Frida Boccara, Dalida et Mireille Mathieu, et a lui-même tenté une carrière solo. Le second, a eu la même carrière, avec comme titre "18 ans" par exemple, qui n’est pas sans en rappeler un autre.... Un homme un peu plus engagé, aux textes parfois contre la peine de mort. Un chanteur devenu producteur qui s’occupera plus tard de la carrière de Linda de Souza, avant d’écrire pour l’insupportable Jean Guidoni et de faire fortune avec... le générique de Goldorak. Le second, pris sous la houlette du grand Léo Missir, également faisant carrière de parolier pour d’autres, tout en glissant dans ses textes des allusions à l’homosexualité ("Un enfant s’est trompé de vie la nuit, son corps et son coeur sont travestis"). Bouchéty sera lui plus prolifique avec notamment... Polnareff ("La poupée qui fait non", "Âme câline" c’est lui !), Les quatre ne connaîtront en fait aucun succès personnel. Bouchety devenant un peu lui le sorcier des studios français, à utiliser parfois des musiciens inattendus, tel le guitariste de Led Zeppelin, chez Polnareff. "Comme pour les séances d’Eddy Mitchell, l’arrangeur Jean Bouchety organise celles du premier super 45 tours de Michel Polnareff, avec les mêmes musiciens (Big Jim Sullivan, Jimmy Page à la distorsion, Vick Flick et Alan Parker à l’accompagnement, Reg Guest au piano, Alan Weighel à la basse et Bobby Graham à la batterie). Le style de Polnareff se prête bien à un son british beat. Penser que la guitare du héros est l’argument majeur de "Beatnik" reste séduisant." Mais le système Sevran, lui, est déjà en place, avec Orlando le frère maudit de Dalida qui produit les premiers 45 t de... Pascal Sevran. Une Dalida un peu beaucoup branquignole, comme d’ailleurs aussi ses plus ferventes admiratrices (celle là vaut le pompon !).
Pour ses "découvertes" d’artistes, idem, car Sevran n’aura RIEN saisi des années 80. Strictement rien. Alors qu’en 1981 s’ouvre la bande FM, grâce aux radios libres et à ceux qui, le soir venu, ce sont fait courser par les policiers munis des détecteurs de la radio, digne de ceux des allemands en 1942, de nouveaux talents apparaissent. En vrac, des gens tels que le savoureux Belge Bialek, avec sa formidable "La sanchon sans fraise" qui a servi d’indicatif à certains animateurs radio (à écouter ici). Mais aussi des rockers comme Louis Deprestige (et un monumental "Putain d’hiver" !) ou de grands auteurs tels que le suisse d’origine Sarcloret et son enthousiasmant "Les pulls de ma poule". L’auteur sévit toujours, avec sa "Tronche d’obscène". Ou encore le talentueux Gilbert Lafaille, avec son délicieux "skontch", mélange de sketch et de chanson désopilante. Aux derniers jours du règne de Giscard, son "Président et l’éléphant" avait fait un malheur et taillé un beau costard présidentiel à l’homme aux diamants de Bokassa. Un Guy Lux l’invitera, mais pas un Sevran qui n’a jamais sû rien découvrir et n’aura jamais pris de risque musical. Sur les ondes encore un peu plus tard l’incroyable version de "Douce France" de Trenet signée Carte de Séjour, avec un Rachid Taha déjà bien imbibé. Rien non plus à la sortie de l’excellent album de Louis Chedid, un des sommets de l’année 81 et la chanson "Ainsi soit-il", un Chédid qui remet ça l’année suivante en se permettant d’accéder au hit-parade grâce à une chanson sur... Anne Frank (fallait oser, et Chédid l’a fait avec talent) :
Elle ressort de sa tanière la nazi-nostalgie
Croix gammée, botte à clous, toute la panoplie
Elle a pignon sur rue des adeptes, un parti
La voilà revenue, l’historique hystérie
Anne, ma soeur Anne, si j’te disais c’que j’entends
Anne, ma soeur Anne, les mêmes discours
Les mêmes slogans, les mêmes aboiements
Anne, ma soeur Anne,
J’aurais tant voulu te dire p’tite fille martyr
Anne, ma soeur Anne,
Tu peux dormir tranquille elle reviendra plus la vermine .
Et des talents, ce n’est pourtant pas ça qui manque. Dans le Nord, on détient le seul descendant direct de Bobby Lapointe : Denis Wetterwald, moulin à paroles inextinguible et son guitariste fou dénommé Hazebroucq (ça ne s’invente pas). Devenu comédien (avec sa verve et son élocution à cent à l’heure c’était prédestiné). L’homme qui vous donnait un mal de tête assuré au bout de trois chansons, tellement sophistiquées et bourrées de calembours a continué sa carrière dans l’indifférence des médias. L’un des rares, pourtant, à vous faire aimer Vialatte au bout de deux lignes. Jamais invité non plus par Sevran, bien entendu. Etaient-ils tous trop jeunes ou trop intelligents pour Pascal Sevran ? L’âge n’est pas un critère de jeunesse d’esprit ou d’humour. Il y a bien un autre chanteur extraordinaire qu’il ne recevra jamais : Ricet Barrier, né en 1932, qui n’a pas fait que dans le Saturnin ou les Barbapapa : sa mise en musique de la mythologie romaine ("Bacchus bourrée") est un monument, du même que des textes savoureux comme "La poissonnière" ou l’autre sommet d’humour que représente les "Spermatozoîdes". Jamais invité par Sevran, non plus, par manque d’humour évident de la part du présentateur tendance réactionnaire : pourtant, l’écriture de Ricet est une des plus caustiques sur la vie de nos contemporains. Comme le démontre avec brio tout le problème de l’agriculture depuis un siècle expliqué en une seule chanson : ("Isabelle v’la l’primtemps")
Isabelle, debout !
V’là l’printemps !
Eh ben, vas-y !
Ah c’te feignante vieux !
Bon dieu, v’là l’printemps qui s’amène
Va falloir retourner aux champs
Labourer, sarcler, toute la semaine
Bon dieu, l’printemps c’est fatiguant.
Fini d’faire la cour aux fumelles
Les soirs d’hiver à la veillée
Quand l’printemps vient, tire la ridelle
Tout l’monde aux champs jusqu’au coucher.
Oh ouais, vieux !
Isabelle !
Faut que j’ferre le ch’val !
Amène l’enclume !
Eh ben, vas-y !
Oh c’te feignante vieux !
L’printemps on dit qu’ça sent la rose
Le lilas et puis le jasmin
Pour moi l’printemps ça sent aut’chose
Puisqu’on cure la tonne à purin.
Finis d’faire la cour aux fumelles
Les soirs d’hiver à la veillée
L’printemps fait gonfler les mamelles
C’est celles des vaches qu’il faut tirer.
Ouais, vieux !
Isabelle !
Tiens bon l’taureau !
J’amène Blanchette !
Eh ben, vas-y !
Ah c’te nom de dieu d’feignante !
Au printemps, on dit qu’les gamines
Elles s’mettent des robes claires à pompons
J’la vois l’Isabelle en mousseline
En train d’curer l’auge à cochons.
Fini d’faire la cour aux fumelles
Les soirs d’hiver à la veillée
Y’n’y a plus d’mâles n’y a plus d’fumelles
Quand l’charençon y s’met dans l’blé.
Oh là, vieux !
C’est ben la catastrophe, ça !
Isabelle !
Pousse un peu l’tracteur !
J’suis embourbé !
Eh ben, vas-y !
Oh c’te, oh c’te !
Le blé jaunit, l’printemps s’termine
Arrive le repos d’la Saint Jean
Les gars vont courir les gamines
Ils vont s’faire des choses les "malhounnètes".
On va faire la cour aux fumelles
Puisque la Saint Jean est rev’nue
Viens t’en par là mon Isabelle
On va rattraper l’temps perdu.
Ouh t’iou !
Eh ben, vas-y !
Oh c’te feignante !
En fait, Sevran était bien l’anti Mireille. Pas une seule découverte véritable, toujours à attendre le sens du vent et sur le tard à encenser les braillards issus de la Star Academy, quand ce n’était pas recruter directement au club du troisième âge de la variété la plus avariée au club Age Tendre, déjà vilipendé ici avec sa tournée de grabataires de la variette. Jamais un auteur qui aurait pu faire penser : Sevran, c’était le Coca-cola musical entre deux publicités de Coca-cola sur TF1 et la même chose sur France2. Distributeur de sirop, ou robinet à eau tiède, voilà à quoi a servi toute sa vie Pascal Sevran. Et pourtant, notre Ricet en a écrit des choses talentueuses et prémonitoires, comme ici en 1978 déjà :
Y a plus d’sous papa, y a plus d’sous maman
Un sou ça n’est plus un sou comme on disait dans l’temps
Y a plus d’sous papa, y a plus d’sous maman
Les sous qu’on a c’est des sous mais ça n’est plus d’l’argent
Autrefois les sous on les voyait pas souvent
Le père les cachait, il faut être prévoyant
On savait si on avait des sous ou pas
En r’gardant la bosse qu’il y avait sous l’matelas
Oui monsieur !
Mais au jour d’aujourd’hui il faire la comptabilité
Même le cul des poules maintenant il faut le calibrer
Car si on l’malheur de faire des œufs trop gros
Paf ! Ils vous foutent dans une tranche supérieure d’impôts
Oh les vaches ! Bon sang de bonsoir !
[refrain]
Autrefois quand on allait vendre ses pommes-de-terre
C’était au bistrot d’vant une chopine et deux verres
On s’tapait dans la main pour conclure le prix
Paf ! Parole donnée et cochon qui s’en dédit
Oui monsieur !
Mais au jour d’aujourd’hui pour vendre le fromage nos biques
Faut se servir d’une calculatrice électronique
Car si y a d’la hausse dans l’dollar américain
Et pan ! Y a d’la baisse dans l’roblochon et dans le crotin
Oh les vaches ! Bon sang de bonsoir !
[refrain]
Autrefois on se mariait pour faire des enfants
Oui la fille était choisie par les parents
C’était bien si elle avait d’jolis têtons
Mais l’important c’est c’qu’elle mettait dans l’corbillon
Ah ouais monsieur !
Mais au jour aujourd’hui la femme doit tenir la caisse
Ma Germaine à moi c’est la reine du chou-business
Elle dit qu’pour s’enrichir il faut s’endetter
Quand elle a dit ça l’grand-père a ben failli claquer
Ouah ! Bon sang de bonsoir !
[refrain dit sur un ton de grand-père qu’a ben failli claquer]
[refrain]
Oh, on s’en sort quand même, mais ça coûte cher les p’tits voyages en Suisse.
L’homme avait à l’époque 30 ans d’avance et Sevran, ce "caractériel, narcissique, et précieux", déjà deux wagons à musique de retard, à ne jamais y avoir pensé. Pas plus qu’a François Béranger, qui chante pourtant de 1970 à 2004 !!! Béber chez Sevran, pouah, vous n’y pensez pas ! Rien de la part de Sevran censé si bien défendre la chanson française, sur l’album hommage génial sorti il y a quelques semaines seulement où figure un bijou, la version rock de Hubert Félix Thiéfaine de "Tranche de vie", le tout premier titre de François. Des contemporains, pourtant, comme interprètes, ce n’est pas ce qui manque dans ce formidable hommage : Tryo, Sanseverino, les Blaireaux, Jeanne Cherhal ou Marcel et son Orchestre, un des piliers de la chanson nordiste, entre autres. Sevran, lui, préférait écrire pour un de ses danseurs, qui deviendra son compagon décédé à 35 ans, Stéphane Chomont, et toucher les droits d’auteur au passage. Tout cela avant de laisser filer son côté réac, déjà bien perceptible pourtant dans ses horribles choix musicaux. Une saillie récente démontrait tout l’ampleur des dégâts, auxquels on pouvait ajouter une sainte horreur des femmes, deuxième forme de racisme chez cet homme encensé ce soir par un service public devenu par trop cireurs de bottes à son égard. Parmi les premiers à avoir réagi aux propos inqualifiables que Sevran avait pu avoir, figuraient toute la troupe du Soldat Rose. La comédie musicale de Chedid père et fils : l’homme qui avait tant montré sa couleur préférée et son goût pour le strass se faisait tacler en beauté par un soldat à paillettes bon pour la gay pride.
Pascal Sevran n’est donc pas celui qu’il a prétendu être des années, et c’est pour cela que beaucoup ne le regretteront pas. Sauf ceux attirés par les paillettes, le kitsch, les idées réactionnaires et la musique qui va avec. La mort ne bonifie pas nécessairement les gens, c’est pourquoi l’hommage rendu à Pascal Sevran peut être jugé aujourd’hui par trop excessif. L’homme, "à qui la chanson française ne doit rien" ne le méritait certainement pas. Il avait aussi déclaré "qu’il n’avait pas de comptes à rendre, ni à vous ni à personne" après ces propos honteusement racistes. Maintenant, c’est une question de croyance, pour savoir s’il devra en rendre des comptes. Et faire quoi, par exemple, de sa légion d’honneur , "la plus haute décoration honorifique française", reçue le 22 janvier 2004 des mains de JP Raffarin, qui s’y connaît, il est vrai, lui, en musique de variété.
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