Troubles mentaux et biomarqueurs
Le terme de biomarqueur désigne tout paramètre biologique (protéine, ADN) utilisé comme indicateur d’un processus pathologique ou de réponse à un traitement, que l’on peut doser dans les liquides ou tissus humains (y compris le tissu pathologique).
Certains biomarqueurs sont détectables dans la circulation sanguine. Ces tests aident les médecins à orienter leurs choix thérapeutiques, à suivre l’efficacité des traitements et ouvrent la voie aux traitements individualisés.
Systématiquement utilisés aujourd'hui dans le traitement de certaines affections, par exemple le cancer, la question de savoir s'ils pourraient servir soit à mettre en évidence un trouble mental, soit à détecter chez un individu sain des prédispositions pouvant le rendre susceptible dans la suite de sa vie à de tels troubles, a fait et fait encore l'objet de nombreuses interrogations.
Cela tient d'abord à la difficulté de caractériser ces troubles en termes cliniques. Si l'on distingue depuis longtemps les psychoses et les névroses, les premières, bien que bien plus graves, peuvent ne donner lieu qu'à des dérèglements insignifiants, les secondes réputées plus bénignes entraîner au contraire des actestels que le suicide. Que seront en ce cas les biomarqueurs pertinents ?
Une seconde difficulté, majeure, tient à la difficulté d'identifier des biomarqueurs de ces affections dans l'organisme. S'agit-il de séquences d'ADN bien définies, s'agit-il de protéines produites par le fonctionnement défectueux de tel ou tel organe ? Pour établir un diagnostic certain, il faut multiplier les expérimentations, lesquelles sont d'autant plus difficiles que chaque cas mérite en principe une caractérisation spécifique.
Par ailleurs faut-il chercher les biomarqueurs permettant d'identifier un trouble mental, soit dans l'organisme tout entier, soit plus spécifiquement dans le cerveau. Beaucoup d'affections résultent , des dysfonctionnements de tel ou tel circuit cérébral. En ce cas, on parle de connectopathies.
Les troubles graves de la connection neuronale, tels que résultant d'un AVC, sont aujourd'hui observables par les techniques de l'imagerie cérébrale. Celle-ci joue aujourd'hui un rôle essentiel à titre de biomarquage. Mais qu'en sera-t-il de troubles moins évidents, qu'ils soient passagers ou durables ?
Au delà de ces questions reste posé le problème de la définition des causes du trouble chez tel ou tel individu. Celui-ci découle-t-il de causes organiques, susceptibles d'être identifiées par des biomarqueurs ? Découle-t-il au contraire de circonstances n'ayant en soi rien de pathologique, induites par le milieu familial, l'éducation ou par l'insertion de l'individu dans des situations traumatisantes, comme la participation à un conflit militaire ? Dans le cas de l'autisme, comme l'on en convient aujourd'hui, il n'est plus en général considéré comme le résultat de l'éducation, notamment par une mère abusive, mais d'une prédisposition organique pouvant être détectée par des analyses génétiques, et donc par des biomarqueurs identifiables.
L'utilisation de biomarqueurs pouvant permettre d'identifier des prédispositions au trouble mental comme permettant d'identifier la présence de tels troubles, se heurte enfin depuis longtemps, comme en d'autres domaines, à la querelle entre défenseurs du libre arbitre et défenseurs du déterminisme. Peut-on considérer qu'un individu particulier, porteur de biomarqueurs pouvant le définir comme sujet de troubles mentaux ou prédisposé à ceux-ci, ne pourrait pas échapper à de tels troubles par sa volonté, en s'imposant notamment des changements de mode de vie. ? Est-il au contraire inéluctablement condamné à la survenance de tels troubles ?
Existe-t-il des biomarqueurs des addictions ?
La question est traditionnelle, concernant les addictions à l'alcool. Comment se fait-il que certains individus y soient sensibles et d'autres moins ou pas du tout, y compris au sein d'un même famille. Elle est de plus en plus posée concernant les addictions aux stupéfiants. Pourquoi, au désespoir d'ailleurs des parents, certains de leurs enfants cèdent-ils aux sollicitations de toutes sortes, émanant du milieu social ou de narco-trafiquants, et d'autres pas. Les uns sont-ils « programmés » organiquement, notamment au plan génétique, tandis que les autres ne le sont pas. N'aurait-on pas pu, dans les deux cas, disposer de biomarqueurs permettant de distinguer les individus à risque des autres ?
La question se pose de plus en plus aujourd'hui en Australie, où l'on constate les véritables ravages produit par une nouvelle drogue,dite « ice » ou « crystal meth » (image ci-dessus). . La sénatrice de Tasmanie, selon le Monde du 23 août, vient de lancer un cri d'alarme, constatant les dégâts irréparables, chez son fils de 21 ans, produits par l'addiction de celui-ci à l'ice.
Elle ne s'en explique pas les causes. Certes, la société australienne, qui dispose d'un des niveaux de vie les plus élevés du monde, manifeste aussi depuis longtemps des taux d'addiction à diverses sortes de stupéfiants sans doute supérieurs à ceux de sociétés moins favorisés. La vie pour certains australiens n'y est probablement pas aussi facile que se l'imaginent les candidats à l'immigration. Mais la brutalité de l'expansion des usages de l'ice, touchant comme toujours en ces cas certains individus et non d'autres même très proches, pourrait conduire à se demander si les propensions d'addiction à cette méthanphétamine ne pourraient pas être détectée très tôt par la recherche chez les individus de biomarqueurs spécifiques.
Observons que la même question est souvent posée par des parents constatant que l'un de leurs enfants s'est « radicalisé » jusqu'à devenir un djihadiste suicidaire, alors que les autres ont échappé au mal. Ne portait-il pas en lui des caractères génétiques spécifiques ? S'ils avaient été identifiés, ils auraient peut-être pu permettre de prendre très tôt des mesures préventives.
Le programme Research Domain Criteria ( RdoC)
Ce programme, qui vient d'être lancé par le National Institute of Mental Health américain concerne l'identification coordonnée des différentes sortes de biomarqueurs pouvant permettre de diagnostiquer un trouble mental. Il part du principe qu'il existe une grande variété de biomarqueurs concernant ces troubles, génomiques, cellulaires ou relevant de l'imagerie cérébrale. S'y ajoutent évidemment des facteurs sociaux et comportementaux identifiables.
Or pour commencer à étudier avec plus de sécurité qu'aujourd'hui ces biomarqueurs et leur action, il faut rassembler dans une approche systémique commune, sur le modèle des Big Data, les nombreux diagnostics et analyses formulés par les professionnels lors du diagnostic et du traitement des affections correspondantes. S'appuyer sur les bases de données ainsi constituées permettra aux praticiens, éducateurs et psychologues de mieux préciser les probabilités de survenance des troubles, ou de mieux caractériser ceux déjà constatés. Leur expérience en retour servira à enrichir les bases de données.
Ceci ne permettra certes pas d'annoncer à quelqu'un, s'inscrivant dans les catégories ainsi définies, et présentant les biomarqueurs spécifiques, qu'il sera irrémédiablement condamné à subir le trouble diagnostiqué. Mais cela pourra certainement introduire un peu de rationalité dans un domaine relevant encore beaucoup trop des appréciations individuelles.
On ne doit pas cependant se faire d'illusions. Si ces travaux seront très utiles pour améliorer les méthodologies, leur utilisation pour la formulation de diagnostics ne pourra intéresser que les couches les plus aisées des populations. La sénatrice de Tasmanie sans doute, un docker quelconque du port de Sydney bien plus difficilement.
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