Trump, an 1 : Théorie du fou et horizon 2020
Parler de la gouvernance Trump sans l’associer à la Théorie du fou, un concept développé par Machiavel au début du XVIe siècle, et réactivé par Richard Nixon, revient à ajouter à la désinformation globale. Dont le président ne souffre guère, à en juger par la solidité de son socle électoral, au point que certains commentateurs, même parmi ceux qui le combattent, en sont déjà à évoquer sa possible réélection en 2020.
En août de cette année, quelques médias mainstream traitèrent de la Théorie du fou (Madman Theory), les OVNI ne faisant plus recette depuis longtemps, pour combler le creux estival. Ce fut superficiel, en partie inexact et sans suite. On s’avisa sans doute que, ce faisant, on s’écartait par trop de la ligne de dénigrement systématique adoptée dès la fin de l’été 2016.
Cette théorie consiste à adopter l’imprévisibilité et l’inconstance comme ligne de conduite afin de décontenancer la partie adverse. Richard Nixon avait tenté de l’utiliser, dans les années 70, pour mettre un terme à la guerre du Vietnam, à l’avantage des Etats-Unis. Bob Haldemann, chef de cabinet de la Maison-Blanche rapporta, plus tard, les propos que lui tint alors Richard Nixon :
« Bob, je veux que les Nord-Vietnamiens me croient arrivé au point où je serais prêt à faire vraiment n’importe quoi pour mettre fin à la guerre et la gagner. Faites passer le message suivant : pour l’amour du ciel, vous savez que Nixon est obsédé par les communistes et nous, on ne peut absolument rien faire pour le ramener à la raison… Et ce type dispose des armes atomiques ! Dites ça et dans deux jours, Hô Chi Minh en personne vient à Paris pour nous supplier de faire la paix. »
Ni la Chine, ni le Vietnam du Nord ne tombèrent dans le piège et les Américains durent plier bagage sans gloire, en abandonnant les Cochinchinois et les Annamites à la domination des communistes tonkinois..
Depuis ce moment-là, la Théorie du fou est attribuée par les uns à Richard Nixon, par d’autres à Henry Kissinger, par d’autres encore au duo Nixon-Kissinger. Mais il faut remonter beaucoup plus loin pour retrouver son origine. Dans Causeur du mois d’octobre, le journaliste et essayiste Roland Jacquard, affirme que Sun Tsu en parle dans L'art de la guerre (VIe – Ve siècle av. J.-C.), mais nous retiendrons que Machiavel en a fait le thème du chapitre II du Livre Troisième du Discours sur la première décade de Tite-Live, intitulé Combien il y a de sagesse à jouer pour un temps la folie.
Dans une interview qu’il accordait, en mars 2016, au Washington Post, Trump reprochait à l’administration Obama, d’être « totalement prévisible », alors que lui-même considérait l’imprévisibilité comme un élément clef de la négociation, ainsi qu’il l’expliquait déjà dans son best-seller The Art of the Deal, publié en 1987. Le 16 mai 2016, on pouvait lire sur le site de Fortune, un article intitulé Les positions incohérentes de Donald Trump font partie de sa stratégie.
Dès lors, il devient saugrenu de nier que Trump connaissait la Théorie du Fou, et qu’il l’a reprise à son compte. Dans Causeur, Roland Jacquard écrit :p
« La théorie du Madman fut oubliée, jusqu’à ce qu’elle reprenne du service avec Donald Trump. Outre le diagnostic de 30'000 psychiatres américains (…), l’opinion publique le jugea bizarre et, sans doute, indigne d’assumer la plus haute fonction des Etats-Unis. Donald Trump devenait donc crédible dans le rôle du Madman. Ce qui aurait pu constituer un obstacle à son élection fut en réalité son principal atout. Personne n’était en mesure de prévoir ses réactions et encore moins d’anticiper ses décisions contrairement au fadasse Obama. Trump parvint ainsi à déboussoler aussi bien Vladimir Poutine que Xi Linping, sans compter ses adversaires ou ses partisans au Congrès. Asseoir son autorité sur une prétendue démence est un véritable tour de force. Elle contribue à rendre vos partenaires beaucoup plus prudents, voire timorés, comme on l’a vu avec la Chine renvoyant des cargaisons de charbon venant de Corée du Nord pour prendre ses distances avec son allié de toujours. »
C’était avant que Kim Jong-un ne renonce, lui, à envoyer quatre missiles survoler le Japon avant de s’abîmer en mer à proximité de l’île de Guam, où se trouve l’une des trois principales bases navales des Etats-Unis dans le Pacifique. Pour ce qui est d’avoir déboussolé Vladimir Poutine, la question se pose, puisqu’il à lui-même été soupçonné de pratiquer la théorie du fou
Le magazine en ligne Slate s’en était fait l’écho en publiant, le 19 mars 2014, un article intitulé Vladimir Poutine, la stratégie du fou - sans référence ni à Machiavel ni à Nixon, dont le chapeau était le suivant : « Le président russe a plus de chances d’obtenir ce qu’il veut en se faisant passer pour déséquilibré. », avant de présenter une autre hypothèse : « Il se peut en effet que Poutine soit dérangé. Ses actes correspondent tout à fait à ceux d’un fou furieux hyper-nationaliste et comploteur qui ne se soucie des conséquences ni pour la Russie, ni pour lui-même », avant de conclure : « …face à toutes les hypothèses fébriles sur ce qui doit se passer dans la tête dérangée du président russe, il vaut la peine de se demander si Poutine n’est pas parfaitement conscient qu’il a l’air complètement fou. »
Que l’on retrouve, sur un même média, les mêmes arguments et les mêmes « hypothèses » sur deux chefs d’Etat, également patriotes et également hostiles au mondialisme, passera difficilement pour une coïncidence.
« S'il continue ainsi, il sera réélu. »
Si les médias se régalent de la faiblesse du taux de popularité du président (inchangée à 40 % depuis son entrée en fonction), les analystes honnêtes relèvent que les opinions négatives émanent principalement de gens qui n’ont pas voté en 2016, et qui n’ont pas l’intention de le faire en 2020. Ce qu’ils notent ensuite, c’est que sa base électorale reste extrêmement forte avec un taux d’approbation de 80-85 %, de 82 % des républicains ayant voté en 2016, et de 75 % chez les républicains en général.
Le 8 novembre, le site de Boursorama publiait une analyse de Chris Kahn, de l’agence Reuters, évoquant les élections de mi-mandat, en novembre 2018 : « Pour les politologues et les spécialistes électoraux du Parti républicain, ces conclusions devraient inciter les candidats républicains aux élections de mi-mandat, en novembre 2018, à rester sur la ligne Trump. »
D’autres vont plus loin, comme Jean-Eric Branaa, maître de conférences à l’université de Paris 2 Assas, auteur de Trumpland, portrait d’une Amérique divisée, le 8 novembre sur CNews : « Pour l'instant, sur un plan stratégique, tout fonctionne pour Trump. Son électorat le soutient d'une manière indéfectible. Et s'il continue ainsi, il sera réélu. »
Mais l’analyse la plus intéressante, parce que la moins suspecte de sympathie pour "the" Donald, reste celle qu’a publiée, dans le Washington Post du 6 octobre, Doug Sosnik, un spécialiste démocrate en stratégie politique, qui fut l’un des proches conseillers de Bill Clinton :
« Si Trump n'est pas démis de ses fonctions et ne conduit pas le pays dans une sorte de catastrophe mondiale, il pourrait obtenir un second mandat en maintenant simplement son niveau actuel de soutien au sein de sa base politique.
« Nous sommes entrés dans une nouvelle ère de la politique américaine. L'élection de 2016 a révélé comment les questions économiques, sociales et culturelles ont divisé le pays et divisé de plus en plus les électeurs selon l'âge, la race, l'éducation et la géographie. Cela ne va pas changer.
« Ce qui a changé, ce sont les lignes de faille politiques qui ont conduit le débat depuis le début des années 1980. Jusqu'à présent, les divergences idéologiques entre les partis étaient essentiellement liées aux questions sociales, aux dépenses de défense et au commerce, ainsi qu'aux réductions d'impôts pour les riches et les entreprises. Aujourd'hui, la question centrale est devenue populiste car les électeurs se sont éloignés des deux partis politiques et se sont de plus en plus auto-identifiés comme indépendants.
« En 2016, Trump a capitalisé sur cet environnement politique changeant. Il a consolidé le nombre croissant d'électeurs mécontents qui se sont sentis abandonnés par les gens et les institutions contrôlant le pouvoir dans le pays. »
Le célèbre politologue Edward Luttwack, cité par Atlantico, le 27 août, allait encore plus loin, dans le Times du 25 juillet, en affirmant que les Trump, Donald d’abord, sa fille Ivanka ensuite, pourraient occuper la Maison-Blanche pendant seize ans.
Ce que Laurent Chalard, géographe-consultant, membre du think tank European Centre for International Affairs, explique par le gouffre séparant « pour aller vite, une « Amérique blanche » rurale et ouvrière, et une « Amérique multiculturelle » urbaine et employée dans le secteur tertiaire » est d’autant plus profond que ces deux entités cultivent « des visions du monde totalement opposées sur la plupart des sujets (politique économique, politique étrangère, politique d’immigration, politiques sociétales…) »
Un clivage qui a déjà commencé à se manifester en France, qui va bien au-delà de la simple dichotomie souverainisme-européisme – qu’il contient -, et sur lequel personne ne mise encore sérieusement à quatre ans et demi de l’échéance présidentielle.
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