Autrefois, les paroles s’envolaient et seuls
les écrits restaient, selon l’adage romain. Avec Internet, même les paroles
enregistrées restent ! Dur, dur ! Il est toujours possible de les
réentendre et donc de les vérifier. Madame Alliot-Marie, ministre des affaires
étrangères en fait aujourd’hui cruellement l’expérience.
La proposition de coopération policière de la ministre
Sur France Inter, dans « le Journal de 13 heures », mardi 18 janvier, elle s’est indignée avec véhémence des interprétations erronées qui auraient été faites de ses propos tenus devant l’Assemblée nationale, mardi 11 janvier 2011, au sujet d’une proposition de coopération policière avec deux pays, la Tunisie et l’Algérie, qui connaissaient de violentes manifestations, soit trois jours avant la fuite du dictateur tunisien (1).
Or qu’avait-t-elle dit ? Chacun est à même de la réécouter sur Internet :« Nous proposons que le savoir-faire qui est reconnu dans le monde entier de nos forces de sécurité permette de régler des situations sécuritaires de ce type. C’est la raison pour laquelle nous proposons effectivement aux deux pays de permettre dans le cadre de nos coopérations d’agir en ce sens pour que le droit de manifester puisse se faire en même temps que l’assurance de la sécurité »
Sans doute la correction de la langue française laisse-t-elle à désirer dans la bouche d’une ministre française des affaires étrangères : « pour que le droit de manifester puisse se faire en même temps que l’assurance de la sécurité, » conclut-elle. Quel charabia ! Ni « le droit de manifester » ni « l’assurance de la sécurité » ne « se font » !
Ces incorrections, cependant, ne contrarient pas la compréhension des deux phrases en cause : 1- dans l’une, la ministre se prévaut de l’expertise de la police française en matière de maintien de l’ordre par temps de manifestations. 2- Et dans l’autre, elle en tire argument pour proposer les services de la France aux deux pays afin de garantir deux libertés publiques, le droit de manifestation et la sécurité.
Les leurres grossiers d’un tour de magie pour simples d’esprit
Mais comment faire oublier une si malencontreuse proposition d’aide au dictateur tunisien, qui devient encore plus insoutenable après sa fuite ? Les conseillers en « communication de la ministre » ont dû suer sang et eau pour « tenter de transformer l’eau en vain » et rédiger la déclaration faite sur France Inter. Les leurres dont elle est constituée, sont si grossiers qu’ils masquent moins l’indécence de la proposition de la ministre qu’ils ne la soulignent : ces experts en « éléments de langage » ont beau faire, le cadavre n’entre pas dans la boîte : il dépasse ! Dos au mur, la ministre a, en effet, choisi d’attaquer et d’imputer la faute qu’on lui reproche à ses auditeurs qu’elle partage en deux groupes, les simples d’esprit et les malveillants.
1- Euphémisme et compassion pour les simples d’esprit
Elle reconnaît aux uns leur bonne foi : ils sont victimes, les pauvres, d’une mauvaise interprétation. Elle se valorise en donnant d’elle-même l’image flatteuse d’une personne compréhensive et même sensible :
- pour ne pas heurter ces patients fragiles, elle use de l’euphémisme avec un adverbe d’incertitude et la simulation de l’hypothèse : « Mon propos a peut-être été mal interprété » - « si mes propos ont été mal compris », concède-t-elle.
- Mieux, elle témoigne même de la compassion envers ses pauvres gens qui ont la comprenette un peu dure : « je ne peux que le regretter », dit-elle benoîtement, en s’exonérant de toute faute personnelle qui incombe entièrement à ces imbéciles bouchés à l’émeri.
2- Hyperbole, mise hors-contexte, victimisation, dénigrement pour les malveillants
Toutes griffes dehors, en revanche, elle accuse les autres de mauvaise foi et de malveillance.
- Plus d’euphémisme cette fois, mais l’outrance de l’hyperbole ! « certains (ont voulu) déformer mes propos », tonne-t-elle.
- Pratiquant à leur égard ce que justement elle leur reproche sans preuve, elle les accuse de mise hors-contexte préméditée : « on (a ) sorti (mes propos) de leur contexte, accuse-t-elle, pour vouloir leur faire dire à des fins purement polémiques le contraire de ce que je voulais dire ».
- Et inversant la distribution manichéenne des rôles, elle se présente à tous en victime innocente dans un leurre d’appel humanitaire pour stimuler de réflexe de compassion à son égard. Elle crie même très fort sa douleur pour être entendue : « Mais je suis, je le dis très clairement, scandalisée… »
On revoit Georges Frêche, dans le film d’Yves Jeuland, « Le Président », interpeller rigolard son entourage avant une interview par Guillaume Durand dans son émission matinale sur Radio Classique : « Alors qu’est-ce qu’on fait pour Guillaume Durand, demande-t-il. Je fais la victime ? »
Or, dans quel contexte prétendument méconnu la proposition de coopération policière faite aux gouvernements concernés s’inscrivait-elle ? Ses contradicteurs n’ont fait que s’élever contre sa proposition de coopération policière aux gouvernements tunisien et algérien en pleine tourmente sociale : les sénateurs communistes y ont dénoncé « un nouveau type d'ingérence, l'ingérence sécuritaire » ; la Première Secrétaire du Parti Socialiste a parlé d’une « déclaration hallucinante » ; le président du groupe PS à l’Assemblée l’a jugé « ignoble ». Proposer des policiers formateurs, n’était-ce pas voler au secours des dictatures en difficulté ?
3- Le leurre d’appel humanitaire
Pas du tout ! Selon la ministre, simples d’esprit et malveillants n’ont pas vu ou voulu voir que cette proposition de coopération policière était inspirée par un pur sentiment de compassion et une volonté d’assistance à peuple tunisien en danger. Par deux fois elle étale son grand cœur et sa douleur : « c’est ma sensibilité aux souffrances du peuple tunisien dans ses manifestations, gémit-elle, puisque j’avais vu comme vous ces images où il y avait des tirs qui ont entraîné des morts. » - « ma sensibilité aux souffrances du peuple tunisien », répète-t-elle, dès fois qu’on aurait pas compris une fois de plus. Dans la distribution manichéenne des rôles à nouveau inversée, voilà qu’elle se range aux côtés des victimes souffrantes, auprès de qui elle avait proposé d’accourir avec ses policiers, bottés, casqués et armés. Auprès de qui d'autre se ranger puisque le dictateur a pris la fuite ?
Seulement, dans sa déclaration à l’Assemblée, on cherche vainement toute référence humanitaire, à moins que la coopération policière intergouvernementale soit l’expression inédite d’une politique humanitaire. Le leurre est tout de même grossier. C’est qu’entre sa déclaration du 11 janvier et celle du 18, le dictateur Ben Ali s’est fait la malle. Il a donc fallu déguiser l’embarrassante proposition de coopération policière pour aider une dictature menacée en une généreuses proposition de coopération humanitaire au service du peuple tunisien souffrant ! Ou comment transformer un policier en infirmière ! La ministre et ses conseillers en « communication » croient faire des miracles. Mais à qui s’adressent-ils ? À des simples d’esprit ? Sans doute ! Quelle image, en revanche, une ministre donne-t-elle ainsi d’elle-même à ceux qui ne le sont pas ? Paul Villach
(1) Extraits du « Journal de 13 heures » de France Inter
- La présentatrice .- (…) Michèle Alliot-Marie qui était auditionnée ce matin devant la Commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale est revenue sur sa fameuse proposition de coopération policière avec la Tunisie pour dire qu’on avait déformé ses propos.
Madame Alliot-Marie au micro de Bertrand Galichet :
« Mon propos a peut-être été mal interprété et parfois déformé. Alors si mes propos ont été mal compris, je ne peux que le regretter car il visait à dire une chose : c’est ma sensibilité aux souffrances du peuple tunisien dans ses manifestations puisque j’avais vu comme vous ces images où il y avait des tirs qui ont entraîné des morts.
Mais je suis, je le dis très clairement, scandalisée par le fait que certains aient voulu déformer mes propos, qu’on les ait sortis de leur contexte pour vouloir leur faire dire à des fins purement polémiques le contraire de ce que je voulais dire et notamment le contraire de ma sensibilité aux souffrances du peuple tunisien. »