Turcophobie, europhobie : une crise identitaire majeure
Des
« vents mauvais »... L’expression est du maréchal Pétain. Elle redevient
d’actualité. Hélas ! Les « vents mauvais », on sait comment ils se
lèvent, mais on ne sait jamais sur quelle tempête ils peuvent
déboucher... « Vents mauvais » ? Le règne de la peur, ou plutôt des peurs,
dans tous les pays d’Europe. Insécurité tous azimuts, et vertiges devant
l’avenir. La peur est toujours mauvaise conseillère. On le sait, mais on
n’en tient guère compte. Réagir en adulte, c’est savoir vaincre ses
peurs. On le sait, mais on l’oublie. « L’action politique doit reposer sur l’art de faire surmonter les peurs », disaient les dissidents de la Charte 77. Cet esprit de résistance-là devient une denrée rare... Résultats : des réflexes de repli identitaire, d’égoïsme galopant, de rejet de l’Autre et des autres, des trop semblables et des trop différents. Crise de l’altérité : « L’enfer, c’est les autres ». Crise de la normalité : « L’anormal, c’est ce que n’est pas ce que je veux ». Crise des valeurs : où sont le « principe d’humanité » si proclamé, « l’égale dignité » si professée, le respect des valeurs fondatrices de l’unification européenne ?
Les débats autour de la Turquie sont logiques. Mais ce qui est inadmissible, c’est la tonalité raciste qu’ils prennent trop souvent. Les stéréotypes d’hier et d’avant-hier triomphent... Le « Grand Turc » a tous les défauts : son goût de la violence, sa religion, ses modes de vie, son national-impérialisme, son développement démographique, la pauvreté de l’Anatolie. Le voici « bougnoule », « guerrier », « terroriste », « fondamentaliste », « étrange étranger »... François Ier, réveille-toi. Derrière l’intolérance : un étalage d’inculture et les vieux réflexes... L’unité européenne ne repose-t-elle pas sur le dépassement des rancunes et rancoeurs du passé, sur le respect mutuel ? Se montrer ferme et exigeant envers la démocratie (bien imparfaite) de la Turquie, ne faire aucune concession sur le respect des valeurs de l’Union, soit. Les démocrates turcs le demandent aussi. Mais pourquoi ressusciter cet esprit de croisade si archaïque ?
Cette turcophobie malsaine s’inscrit dans le développement d’une europhobie plus générale, en France, mais aussi en Allemagne et en Grande-Bretagne, ou encore dans un pays comme la Pologne... Seule exception : l’Espagne, où l’on a pleinement conscience que « l’Europe c’est l’avenir ». Les sondages effectués pour le compte d’ARTE qui, hier soir, entamait un cycle de quatre THEMA sur « Quelle Europe voulons-nous ? » ne sont pas faits pour redonner le moral. Certes, l’Europe reste associée à l’idée de la « liberté de voyager, d’étudier et de travailler partout en Europe » (pour 52 % des Français), à celle de la « paix » (46 %) ou de la « diversité culturelle » (35 %). Pour bien peu, en revanche, elle est synonyme de « démocratie » (24 %), de « prospérité économique » (17 %) ou de « protection sociale » (15 %). Pis : le bilan de l’aventure européenne apparaît... négatif. Comment peut-on ainsi oublier toutes les réussites de cette construction européenne, sans laquelle ce « continent-cimetière » ne vivrait pas aussi bien ? Une majorité de Français considèrent que l’appartenance à l’Europe fait de la France un « pays moins prospère » (43 %, contre 29 % qui estiment qu’elle est « plus prospère »). 41 % des Français (et jusqu’à 58 % des ouvriers) ont le sentiment de « vivre moins bien » à cause de l’Europe, contre 22 % qui estiment « vivre mieux » grâce à elle. « Rudes constats ! », commente Le Monde. Le « non » à la Constitution avait les mêmes causes : un terrible déficit pédagogique, dont les responsables se recrutent à tous les niveaux, supra- et infranationaux, politiques, bureaucratiques, médiatiques... La révolution géophilosophique que constitue l’aventure européenne depuis 1950 ne s’est pas encore accompagnée de la révolution culturelle et mentale indispensable à sa poursuite. Mais comment lutter contre les « vents mauvais » ?
Daniel Riot est journaliste
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