Turquie : les trois lignes rouges traditionnelles de la politique islamo-nationaliste d’Erdogan
La journaliste turque Oya Baytar, qui écrit dans le journal turc en ligne T24, commentant, le 11 février 2020, les réactions à la récente interview accordée au quotidien britannique, The Gardian, par le leader de la communauté chypriote turque, Mustafa Akinci.
Précisons qu’Akinci avait prévenu, dans cette interview (du 6 février 2020), que la division de Chypre serait définitive, à moins qu’une solution fédérale ne soit trouvée dans les plus brefs délais. Il qualifiait, par ailleurs, d’effrayante la perspective d’intégration de la partie de Chypre occupée par la Turquie depuis 1974, à cette dernière. Il a déclaré que si aucune solution fédérale n'était trouvée, « le nord de Chypre deviendrait plus dépendant et pourrait fusionner avec Ankara, devenant de facto une province turque ». Se référant au cas de Tayfur Sokmen, qui a accepté l’annexion d’Alexandrette par la Turquie en 1939, Akinci a déclaré que « je ne deviendrai pas un deuxième Tayfur Sokmen » (il s’agit du Sandjak d’Alexandrette, sous mandat français à l’époque, et qui a été donné à la Turquie afin que cette dernière n’entre pas en guerre aux côtés de l’Allemagne, lors de la deuxième guerre mondiale ; depuis, cette question a toujours envenimé les relations entre la Syrie et la Turquie).
Oya Baytar écrit : « La réaction du véritable Chypriote turc, Mustafa Akinci, à ce sujet est à la fois son droit et son devoir. L’esprit d’État turc (certains l’appellent l’État profond) a trois lignes rouges anciennes : le problème arménien (génocide, ndlr), le problème kurde et le problème chypriote. La source de ces trois problèmes est la même : le nationalisme chauvin sunnite turc, le culte de l’État, l’expansionnisme militaire ... Les pouvoirs politiques changent, les gouvernements changent, même les régimes changent, mais, les trois lignes rouges ne changent pas. Ceux qui tentent de changer quelque chose sur ces trois points sont étouffés, soit par des coups d’État, soit par l’État.
Le comportement d’Erdogan et de l’AKP (le parti islamo-conservateur qu’il dirige et qui est au pouvoir en Turquie depuis 2002), sur ces trois questions est un modèle du genre, clair et exemplaire. Ces trois lignes rouges sont profondément ancrées dans le code génétique du peuple turc depuis plus de cent ans, et ont contaminé son âme. Toute résistance, qui pense agir différemment sur ces questions, entraînera soit une répression - souvent violente - soit leur subordination au système, pour n’en faire, en définitive, qu’un avec celui-ci. »
La journaliste rappelle ensuite qu’elle avait écrit dès le lendemain de l’invasion turque à Chypre que si l’armée turque ne quittait pas rapidement l’île, elle se comporterait en conquérant, et entraverait toute tentative de solution du problème chypriote.
Effectivement, depuis plus de 45 ans maintenant, la Turquie a empêché toutes les tentatives de réunification de Chypre, a procédé à une turquification de cette région occupée ainsi qu’à l’islamisation forcée de la communauté chypriote turque.
Et Oya Baytar de rappeler que cet article précis lui a valu un licenciement… Les habitudes sont tenaces…
Mustafa Akinci, a exprimé des préoccupations et fait état des réalités qu’aucun chypriote turc n’a depuis longtemps évoquées sur le problème chypriote.
La cause de ses inquiétudes, c’est que la Turquie, impliquée dans les conflits en Méditerranée orientale comme en Syrie, en Libye et en Irak et isolée sur le plan régional, a pris des mesures, ces derniers jours, pour renforcer encore davantage sa présence militaire dans le nord de Chypre.
Par ailleurs, la chasse aux sorcières se poursuit dans la partie occupée de Chypre également, avec l’arrestation de nombreuses personnes accusées de collusion avec les terroristes (dans le langage du gouvernement turc cela veut dire des laïcs, des démocrates et des personnes proches des Kurdes, entre autres).
Toute la frange islamo-nationaliste de la Turquie, à commencer par le président Erdogan et le ministre des Affaires étrangères, Mevlüt Çavuşoğlu, ont qualifié le leader chypriote turc de traitre à la patrie, d’ingrat et de quelqu’un qui fait le jeu des ennemis de la Turquie.
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