Uberpop : une révolution pour mettre fin aux abus ?
C'est l'histoire d'un monopole tellement confortable que ses détenteurs n'avaient plus vraiment besoin de se soumettre aux exigences de leurs clients pour continuer à l'exercer ; ils n'avaient plus beaucoup de limites dans les moyens employés pour parvenir à conserver ce monopole.
C'est l'histoire du serpent qui se mord la queue.
C'est l'histoire d'un abus qui a trop duré.
C'est l'histoire des taxis, de leurs licences, et surtout de leur monopole.
Des méthodes mafieuses et un pouvoir politique local aux ordres
Ces derniers jours, les conducteurs Uberpop ont été la cible de menaces, d'intimidations voire d'agressions verbales et physiques. Marseille, Strasbourg, Lyon : aucune ville ne semble y échapper. Le procédé est presque toujours le même : un groupe d'une dizaine de taxis se regroupe, commande un Uberpop sur l'application et s'attaquent à sa voiture à son arrivée, en commençant par lui dégonfler les pneus.
J'ai échappé dans la nuit de samedi 20 à dimanche 21 juin à Lyon, de très peu à un guet apens. Vers 3h, après avoir accepté une course, je me rends devant l'ancienne gare des Brotteaux, dans le 6ème arrondissement de Lyon, pour y récupérer ma passagère. A mon arrivée, une quinzaine de taxis sont garés de manière anarchique sur la chaussée ; tous sont descendus de leur voiture et bloquent la route. La police, pas très loin, semble tout à fait tolérer ce type "d'action". Pour leur échapper, je suis alors contraint d'emprunter la voie de bus et de griller plusieurs feux rouges.
D'autres "pièges" de ce type ont été recensés ; à Confluence, un client a même été physiquement agressé (Coup de poing amenant à 21 jours d'ITT) par un chauffeur de taxi. Le chauffeur avait en effet refusé d'amener le client a la destination souhaitée ; ce dernier signifie au chauffeur qu'il va réserver un Uberpop. C'est alors que le taxi décide tout bonnement de tabasser le client. Cette véritable action "coup de poing" est probablement une nouvelle méthode marketing visant à faire rentrer dans le "droit chemin" les mauvais clients !
Je rappelle que l'arrêté préfectoral interdit l'activité Uberpop pour "éviter les troubles à l'ordre public", les chauffeurs de taxis ayant montré qu'ils pouvaient s'avérer très violents. Outre la recevabilité très discutable, dans un État de droit, d'un tel motif (qui revient in fine à se soumettre aux comportements violents des chauffeurs de taxis), l'absence d'intervention samedi soir (le 20/06) à Lyon des forces de l'ordre face aux "barrages" de taxis est bien la preuve d'une compromission de l'État face au lobby des taxis. Les vidéos qui tournent depuis quelques jours sur le net donnent le sentiment qu'une "mafia" s'est légitimement emparée du pouvoir de contrôler et d'intimider des particuliers. Cette situation est intolérable et doit amener les pouvoirs publics à condamner fermement ces attitudes.
La belle histoire des licences
Dans l'argumentaire des taxis, le prix de leurs licences revient souvent pour légitimer le mécontentement suscité par Uber. Pour aller au delà du "les taxis payent cher leurs licences donc Uberpop doit être interdit", il faut comprendre la logique sous-tendue par le système des licences, dont les chauffeurs sont purement à l'origine.
En effet, les licences de taxis sont l'objet de spéculations ayant atteint, ces dix dernières années, des sommets (jusqu'à 300.000 euros). Sauf que dans les faits, la licence est délivrée gratuitement par la préfecture ; les listes d'attentes sont simplement très, très, très longues. La faute à qui ? A l'ensemble des chauffeurs de taxis qui, pour maintenir leur niveau d'activité et faire monter à la fois les prix des courses et la valeur de leurs licences, ont fait pression, à travers un lobbying puissant, sur les autorités locales pour qu'elles limitent strictement le nombre de nouvelles licences délivrées chaque année. Il y a deux conséquences majeures à cette politique :
⁃ plus le prix des courses augmente, plus la demande rétrécit : seuls les plus riches peuvent se permettre de prendre régulièrement un taxi, les autres (l'immense majorité de la population) ne peuvent y recourir qu'en dernier recours, lorsque aucune autre solution de transport n'est possible
⁃ là ou une demande relativement forte subsiste, par exemple à Paris, l'offre est souvent incapable d'y répondre. Comme dans toute situation de marché monopolistique où la demande est supérieure à l'offre, les offreurs sont tentés d'abuser de leur position dominante : se croyant invincibles, les chauffeurs de taxis se sont donc accordés le droit d'offrir un service de piètre qualité (refusant les courses trop courtes, faisant des détours démesurés, etc.). Ce n'est plus le chauffeur de taxi qui est au service du client, mais l'inverse
Le fait que de nombreux véhicules de taxis soient très luxueux montre d'ailleurs assez bien en quoi ce service est déconnecté des exigences de ses clients, qui cherchent avant tout à se déplacer d'un point A à un point B en toute sécurité, dans un véhicule en bon état et avec un conducteur agréable. On peut d'ailleurs légitimement se demander si les BMW ou Mercedes hors de prix ne relèveraient pas davantage de la frime plutôt que d'une sincère volonté d'améliorer le confort des clients. Ce que les chauffeurs de taxi n'ont pas compris, c'est qu'en abusant des avantages dont ils bénéficiaient injustement jusqu'ici, ils ont creusé leur propre tombe et retourné l'opinion contre eux. Les démonstrations de violence dont ils ont fait preuve ces derniers jours produisent l'effet inverse de leurs objectifs : les Uberpop, appuyés par la firme américaine, continuent à exercer leur activité et l'image des chauffeurs de taxi est encore plus désastreuse qu'elle ne l'a jamais été.
Un renouveau du marché : le taxi pour tous ?
En réalité, le succès d'Uberpop pointe l'urgence de faire évoluer les bases légales et fiscales de la profession de taxis ; c'est un enjeu d'accès au transport. Comme d'autres monopoles (citons la SNCF par exemple), celui des chauffeurs de taxis a eu comme conséquence de limiter drastiquement les potentialités pourtant conséquentes de ce marché. Libéraliser ces secteurs revient forcément à faire diminuer les prix et donc à permettre à tous une mobilité moins coûteuse et au final créatrice d'emplois.
Blablacar a montré comment, sur de longs trajets, des personnes qui ne se connaissaient pas pouvaient covoiturer sans que cela pose un quelconque problème d'assurance. De fait, les arrêtés préfectoraux interdisant Uberpop et se basant sur de pseudos assurances insuffisantes des chauffeurs paraissent tout à fait déconnectés des pratiques de covoiturage. Qui pourrait croire aujourd'hui qu'un conducteur apte à transporter des passagers Blablacar de Paris à Marseille ne serait pas suffisamment formé ou assuré pour faire la même chose sur 6 kilomètres en ville avec des passagers Uber ? La question de la rémunération n'est qu'accessoire ; un conducteur rémunéré ne conduira pas moins bien qu'un conducteur simplement indemnisé !
Parlons de la sécurité des taxis, justement. Il est nécessaire de rappeler que lorsque l'on prend un chauffeur Uberpop, on accède à une multitude d'informations sur le conducteur, ce qui n'est pas le cas avec un chauffeur de taxi. A la fin du trajet, le passager note le conducteur et inversement ; tout "mauvais comportement" est immédiatement repéré et sanctionné. Si les chauffeurs de taxis avait été noté ces dernières années par leurs clients, sans doute auraient-ils amélioré la qualité de leur service ?
L'arrivée d'Uberpop répond indéniablement à une demande de transport qui était insatisfaite ; le marché des taxis se modifie et s'enrichit considérablement. Mon expérience depuis quelques semaines en tant que chauffeur Uberpop me permet d'ailleurs de dresser quelques profils des passagers utilisant Uuberpop.
Qui sont les passagers d'UberPop ?
Après une soixantaine de courses effectuées en tant que chauffeur Uber, je commence à avoir un aperçu assez large des passagers que je transporte. Il s'agit le plus souvent de jeunes :
⁃ D'abord la catégorie qui m'a le plus étonné ; des 16-20 ans qui se servent d'Uber avec la carte bancaire des parents, ces derniers étant rassurés de les savoir dans un véhicule référencé, géolocalisé avec un chauffeur dont l'identité est également connue. "Plus besoin d'appeler ma mère pour qu'elle vienne me chercher", m'a dit un soir une lycéenne que j'ai récupéré devant un Mac Donald d'une zone industrielle.
⁃ Le soir, particulièrement le week end, on croise beaucoup d'étudiants partant ou rentrant de soirées. Ils partagent à deux, trois voire quatre la course, ce qui leur permet d'éviter de prendre leur propre voiture (épargnant peut être quelques morts malheureuses en sortie de boîte). La plupart n'auraient jamais pris de taxis, trop chers et inadaptés à cette génération smartphone.
⁃ La journée, certains utilisent Uberpop comme moyen de transport pour aller travailler. "Ma boite me rembourse tous mes frais de transports, y compris Uber" me confie une trentenaire à la bourre pour rejoindre son agence de com.
⁃ Les générations plus âgées se font plus rares mais elles ne sont pas absentes pour autant ; il s'agit en général des plus connectés, qui voient en l'application une révolution du transport en taxi bien appréciable (commande en 2 clics). On y croise également quelques hommes d'affaires pour qui Uber est le moyen idéal de simplifier leurs commandes de taxis partout dans le monde ; "avant, je devais chercher le numéro des taxis dans chaque ville où je me rendais" me dira l'un d'entre eux en anglais. Cette catégorie n'utilise plus le taxi suite à de mauvaises expériences ; le prix n'est pas sa motivation première.
Quel avenir pour UberPop ?
Je milite évidement contre son interdiction. Le point sensible, sur lequel les opposants ne peuvent apporter de réponse satisfaisante, se situe au niveau de l'équilibre entre l'offre et la demande. Si des gens sont prêts à payer pour un service que d'autres sont prêts à offrir, sur quelles bases légitimes peut-on interdire cet échange ?
L'interdiction d'Uberpop est impossible car le contrôle de l'échange d'informations entre deux smartphones connectés est illusoire. De fait, le retrait de l'application serait une grave atteinte aux libertés individuelles. De nombreuses autres applications sont en train de prendre de l'ampleur (Heetch, Djump,etc.). De plus, l'opinion, dans son immense majorité, soutient ces nouveaux services qui répondent à des besoins insatisfaits jusqu'ici.
La question de la légalité devrait être évacuée dans les prochains mois ; la décision rendue la semaine dernière par le tribunal correctionnel de Paris, en relaxant un conducteur Uberpop au motif que "le transport onéreux d'une personne est insuffisant à caractériser le délit d'exploitant de taxi sans autorisation de stationnement qui suppose que soit caractérisé un stationnement ou une circulation sur la voie publique en quête de clientèle" pourra sans doute faire jurisprudence.
Uberpop pointe finalement bien les difficultés dont la France -elle n'est pas la seule- fait preuve pour intégrer les mutations majeures de l'économie induites par la révolution numérique.
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