UDF : le bal des vautours
Après près de trente ans de bons et loyaux services, l’UDF semble achever un parcours somme toute honorable.
Depuis 1981, on pronostiquait la mort de l’UDF quasiment à chaque élection.
Créée très artificiellement en 1978 par Valéry Giscard d’Estaing pour contrer le rouleau compresseur du RPR créé par Jacques Chirac un an et demi avant, l’Union pour la démocratie française regroupait à l’origine tous ceux qui se trouvaient au centre droit et qui n’étaient pas gaullistes : démocrates chrétiens (devenus démocrates sociaux) du CDS (héritier du MRP), libéraux du PR, radicaux socialistes valoisiens (du grand vieux parti radical), giscardiens, barristes...
Et dès sa naissance, le contrat était rempli aux élections législatives de 1978 avec 23,9% au premier tour et 138 députés élus.
Après l’échec de Giscard d’Estaing en 1981 et la reprise du leadership de la droite par Chirac, après les élections législatives de 1986 et le fort courant barriste, après la réélection de Mitterrand, sa tentative de débauchages centristes et la dislocation du groupe UDF en deux groupes dont l’Union du centre (UDC) dont faisaient partie Méhaignerie et Bayrou, après la tentative des rénovateurs et l’échec de la liste centriste de Simone Veil aux élections européennes de juin 1989, l’UDF était considérée comme dans un état de coma avancé, mais réussissait à survivre malgré tout...
Car ce parti avait quand même bien tenu la route.
En 1981, avec 19,20%, il parvint à préserver 62 députés malgré la vague rose, puis après l’épisode de la première cohabitation, il faisait jeu égal avec le RPR en juin 1988 avec 18,49% (le RPR 19,18%) et 129 députés (le RPR 126). Même jeu égal en voix en 1993 avec 12,16% (le RPR 12,94%) et 207 députés (le RPR 242), et en 1997 avec 14,22% (le RPR 15,70%) et 108 députés (le RPR 134).
C’est le 22 avril 2002, entre les deux tours de l’élection présidentielle de 2002 qui vit Le Pen se hisser au second tour, que l’acte de décès de l’UDF était rédigé l’enterrement de première classe méticuleusement préparé.
Comme l’araignée qui absorbe sa proie après l’avoir liquéfiée, Chirac et Juppé, contre l’avis (imprévoyant) de Sarkozy, ont profité de l’émotion du score de Le Pen et de l’échec de Bayrou (qui avait moins de 7% même si, pour lui, c’était un succès par rapport aux sondages qui le plaçaient aux alentours de 4%) pour phagocyter l’UDF avec la création de l’UMP.
Naturellement, soucieux de leur réélection en juin 2002, les élus et autres roitelets locaux quittèrent le navire UDF et ne laissèrent que quelques proches de Bayrou à l’UDF.
Est-ce exact ?
Pas vraiment, car le vrai problème de l’UDF était la prédominance des élus (locaux et nationaux) qui, trop individualistes (ils n’avaient pas été élus grâce à l’UDF mais grâce à leur engagement personnel), n’avaient aucune solidarité de parti, à savoir : former les jeunes, préparer des successions, passer le relais (comme c’était le cas en général au RPR, PS et même au PCF).
En fait, en 2002, cet élément nécrosant de l’UDF (élus féodaux qui freinaient tout élan dynamique au sein de leur département) était donc parti et n’était restée que l’immense majorité des militants dévoués et convaincus qui n’avaient aucune raison de se couler dans un grand moule chiraquien.
Le rouleau compresseur de l’UMP n’avait cependant pas fonctionné, puisque non seulement l’UDF avait pu préserver un groupe tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, mais à la première élection nationale, les européennes de 2004, l’UDF parvint à atteindre malgré ses amputations un score honorable, 12% face à une UMP qui avait vocation à représenter 40% de l’électorat et qui n’obtint que 16%.
On le sait depuis hier, Sarkozy avait alors imaginé en 2004 une alliance avec Bayrou (qu’il aurait fait son Premier ministre) pour contrer Chirac. Mais Bayrou avait refusé.
La reprise en main de l’UMP par Sarkozy, élément décisif dans l’acception de sa candidature exclusive à l’élection présidentielle, ainsi que les très faibles intentions de voix que subissait Bayrou dans les sondages jusqu’à la fin janvier 2007, laissaient prévoir une décomposition définitive de l’UDF.
Aujourd’hui, la situation est bien différente.
François Bayrou, avec 18,6 %, a rassemblé plus de voix que Jacques Chirac au premier tour de la présidentielle de 2002.
Ses voix sont tellement convoitées qu’il est fait l’homme clef du second tour, alors qu’il a quand même échoué dans ce passage, et est parvenu même à faire accepter l’idée d’un débat public avec les candidats restant en lice.
Aujourd’hui, les deux candidats jouent la danse du ventre pour s’approprier des voix centristes. Heureusement, le 25 avril 2007, Bayrou a rappelé que les électeurs étaient libres et qu’il n’avait pas à donner de consigne de vote.
Sarkozy est allé avec ses intimidations habituelles pour réclamer le soutien à sa candidature. En menaçant de faire disparaître le groupe UDF à l’Assemblée nationale en juin 2007. Pourtant, comme le rappelle si bien Maurice Leroy, député UDF, « dans plus de 400 circonscriptions, l’UDF peut se maintenir au second tour. [Elle] a vécu il y a cinq ans quelque chose qui était encore plus rude avec deux millions de voix. Aujourd’hui, ce n’est pas le moment de faiblir avec sept millions de voix ».
Sarkozy a aussi menacé de créer un parti centriste sarkozien, annonce vite démentie par un de ses porte-parole Xavier Bertrand.
Par ailleurs, il a mis en première ligne tous ces centristes liquéfiés, ceux de la première génération, d’avril 2002, avec Philippe Douste-Blazy et Jean-Louis Borloo, comme ceux de la seconde génération, de mars 2007, avec Gilles de Robien et André Santini, mais le problème, c’est que ceux-ci ne représentent pas du tout les voix de Bayrou mais celles de Sarkozy, donc ne sont absolument plus qualifiés pour représenter le centre.
De son côté, Ségolène Royal joue un jeu d’équilibre très peu aisé, puisqu’il lui faut à la fois contenter la LCR d’Olivier Besancenot et l’électeur centriste de Bayrou.
En se rendant chez Jacques Delors, en déjeunant avec Dominique Strauss-Kahn, en proposant une « main tendue » à François Bayrou, elle prend beaucoup de risques :
- mécontenter ses militants socialistes (Jean-Luc Mélenchon a prévenu qu’il quitterait le PS en cas d’alliance avec l’UDF) ;
- donner une image déplorable de la vie politique avec une résurgence des combinaisons entre partis (alors que ni Bayrou ni son parti ne sont propriétaires de leurs voix), vite dénoncée d’ailleurs par Jean-Marie Le Pen ;
- et aussi agacer les centristes qui trouvent cette volte-face assez étrange et trop rapide, puisqu’il y a encore deux semaines, pour Royal, Bayrou était un épouvantable homme de droite, qui n’avait ni programme ni équipe, avec tout l’argumentaire que le PS savait si bien avancer ;
Ainsi, Jean Peyrelevade, pourtant proche des socialistes, a rejeté la main tendue en disant qu’avant de s’embarquer dans une alliance de type IVe République, il faudrait d’abord que le PS se réforme de l’intérieur et que ça prendrait du temps.
Bref, la neutralité de Bayrou (« je n’ai pas à choisir à la place des sept millions de Français qui ont voté pour moi »), ainsi que sa sincérité (« À l’heure qu’il est, je ne sais pas ce que je ferai. ») montrent à l’évidence qu’il ne se préoccupe plus du résultat de l’élection présidentielle, mais de l’avenir.
Et cet avenir, c’est la transformation de l’UDF, trop connotée à droite, en un Parti démocrate (dont le nom me paraît à mon sens peu pertinent même s’il reprend l’appellation européenne du Parti démocrate européen qu’il a cofondé avec d’autres partenaires européens dont Rutelli) qui occuperait l’espace large du centre droit et du centre gauche, espace actuellement libre en raison de la droitisation de l’UMP par Sarkozy et de la déliquescence idéologique du PS.
Dans cette perspective, on imagine assez bien que Bayrou table sur une victoire (pronostiquée) de Sarkozy afin de devenir son principal opposant et laisser le PS se morfondre dans les divisions (en cas d’échec, Ségolène Royal serait bien en mal de prendre la direction du PS, chose qu’avait pu faire Jospin en 1995, et le PS serait tiré entre un Fabius gauchisant et un Strauss-Kahn "social-démocratisant").
Finalement, l’UDF mourra peut-être bientôt de son succès.
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