UE : la dérive populiste
Partout en Europe, les extrémistes montent. Le diagnostic posé, cette recrudescence inquiétante des extrêmes droites européennes, mérite, que nous nous arrêtions davantage sur son importance, ses causes profondes et ses conséquences, puisqu’ils sont les éléments qui menacent par leur idéologie même la construction européenne. De fait, le populisme est un enjeu majeur préoccupant pour l’Europe.
Il y a clairement aujourd'hui au sein de l’Europe un populisme grandissant et contrasté :
En Europe de l’ouest et du Nord :
Depuis le début des années 80, les mouvements d’extrême-droite ne cessent de gagner du terrain en touchant un électorat ultranationaliste et conservateur. En témoigne, en France, le parti d’extrême droite FN qui a fait son entrée à l’Assemblée Nationale et qui n’a cessé de policer son discours, lisser son image pour séduire un électorat ouvrier, déçu par les politiques de gauche comme de droite. Le FN s’inscrit désormais comme la force d'extrême droite la plus importante dans l'Union européenne. Très récemment, la percée électorale du parti d’extrême droite les Vrais Finlandais, lors des législatives illustre plus encore le repli national généralisé en Europe. Les partis d'extrême droite sont aussi résurgents en Allemagne et en Autriche (FPÖ) et au niveau régional, en Belgique, au Pays Bas avec le Parti de la liberté (PVV) du néerlandais Geert Wilders ou encore en Italie (Ligue du Nord) avec la persistance d’un noyau dur d’électeur ultranationaliste et conservateur. Cependant, en Espagne et au Portugal, anciennes dictatures, l’extrême droite, après la chute du franquisme et du salazarisme, est demeurée marginale Il en est de même en Grande Bretagne.
En Europe de l’Est
De nombreux partis extrémistes sont également présents dans de nombreux gouvernements d’Europe de l’Est. (Svoboda en Ukraine, Jobbik en Hongrie, HSP en Croatie), où ils sont particulièrement importants et virulents, notamment envers les immigrés et les gens du voyage. La montée des extrêmes droites européennes est bien réelle, que se soit dans les vieilles démocraties ou les nouvelles, dans les pays riches comme dans les pays pauvres. Aussi le populisme, peut prendre diverses formes. On distingue des populismes anti-européens, d'autres plutôt xénophobes (Pologne, Lettonie, Slovaquie, Slovénie…), ou anti-immigrés. Ces mouvements nationalistes ont en commun le rejet, avec force, des élites politiques, de la mondialisation et du multiculturalisme. Le rejet de l’Islam fédère la plupart, pour ne pas dire tous les partis qui les représentent. « Innocence of muslims », le long métrage qui a déversé sa haine de l’islam est une énième tentative de diaboliser la genèse de l’islam, son Prophète, et par ricochet ses fidèles. Force est de constater que l’islamophobie désormais enracinée en Occident et en Europe, ne connaît pas de répit.
Devant cette montée inquiétante des partis populistes, l’Europe risque-t-elle d’imploser ?
En France, comme en Europe, la montée de l’islam suscite des tensions et exacerbe le populisme. D’un point de vue historique, il convient de rappeler qu’à partir des années 1980, l’Europe a réalisé que 16 millions de musulmans vivaient durablement sur le sol communautaire. La visibilité sociale accrue des musulmans en France, qui sont devenus dès lors une part entière des sociétés libérales modernes a mis en toile de fond un impératif. La nécessité de prendre en compte une réalité sociologique longtemps sous-estimée : la diversité culturelle. De fait, ces populations sont pleinement parties intégrante de la société française et de son histoire. Face à ce constat, Le multiculturalisme serait le nouvel ennemi de l’Europe. En effet, les immigrés et les musulmans cristallisent la crainte d’un affaiblissement de l’identité nationale, dans un contexte de crise économique et de chômage structurel. La mondialisation et la construction européenne exacerbent ce sentiment et expliquent, en partie, les succès électoraux d'une extrême droite nationaliste en Europe. Aujourd’hui, face au désarroi de la crise économique et de cette société morcelée, la tentation est générale d’en faire porter l’échec sur l’étranger, sa religion, sa culture. Ce populisme grandissant devient le récepteur de tous les ressentiments et indignations.
En France, comme en Europe, l’islam s’enracine massivement et dans le même temps, suscite des tensions et des suspicions notamment depuis les attentats du World Trade Center le 11 septembre 2001, de Londres et de Madrid. C’est d’une certaine façon ce que rappelait Thomas Hammarberg, commissaire aux droits de l'homme à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe dans un article consacré « La triste vérité, c'est que les préjugés antimusulmans sont largement répandus dans l'Europe d'aujourd'hui, et pas seulement sur les sites Web. Dans plusieurs grandes villes, les autorités se sont opposées à la construction de mosquées, en s'appuyant sur l'opinion publique. Le référendum organisé en novembre 2009 en Suisse, qui a abouti à un rejet des minarets, l'illustre bien »[…]
« L’islamophobie est une idéologie de masse qui imprègne lentement la société française », observe Nicolas Lebourg, historien spécialiste de l’extrême droite, pointant la responsabilité tant de l’extrême droite radicale française, que de l’UMP, des intellectuels de la gauche laïque ou les grandes chaines de télévision.
En Norvège, le militant d’extrême-droite Anders Behring Breivik, a nourri son islamophobie et racisme sur les préjugés sur l’islam, largement en vogue dans les débats publics et sur une peur de l’invasion des musulmans dans le pays.
Force est de constater que c’est sans réserve que les partis populistes associent encore et toujours une identité nationale en crise et le « problème » de l’immigration. Qui plus est, les sondages d'opinion effectués dans plusieurs pays européens alimentent la controverse en véhiculant le même message : peur, méfiance et vision négative à l’égard des musulmans et de l’islam. Institutionnalisée, l’aversion contre l’islam s’est popularisée sous l’ère Sarkozyste, comme en témoigne une recrudescence d’agressions et de profanations de mosquées et de lieux de culte sur le sol national. Nuances, cependant, en analysant de plus près les différents types de lien – affectif, culturel, politique, social – qu’ils entretiennent avec leur pays d’accueil on constate que les immigrés et les musulmans européens ont des attaches très profondes. Au-delà de leur contribution à la richesse nationale, ils dénoncent, dans le même temps, toute forme d’intégrisme, d’obscurantisme ou de fanatisme et appelle de leurs vœux au respect et au vivre-ensemble. Sans oublier que l’Europe est nourrie de références historiques et culturelles, africaines et arabo-musulmanes. Dès lors, on peut s’interroger sur le bien-fondé des clivages nationaux et « ethniques » de la culture dominante. La suspicion et la stigmatisation dont ils font l’objet n’ont donc aucun fondement.
L’Europe se crispe sur la question de l’immigration
Les conditions d’accueil et de séjour des immigrés se sont progressivement durcies depuis trente ans (radicalisation des politiques d’immigration, centres de rétention fermés, reconduite aux frontières, objectifs chiffrés). Les difficultés auxquelles se heurtent les immigrés ne proviennent nullement de pseudo-problèmes identitaires, mais bien de la place qui leur est accordée par les sociétés d’accueils. La ghettoïsation de certains territoires - très riches, d'un côté, très pauvre de l'autre - fait poser des problèmes majeurs sur l'ensemble du processus d'intégration. C'est un point sur lequel il faut une politique (du logement notamment) très volontariste pour lutter contre l'enfermement social et culturel. J'ajoute que malgré les apparences, nous n'intégrons pas les immigrés mais cherchons plutôt à les assimiler. Et cela peut difficilement fonctionner dans la mesure où se modèle crée du repli identitaire. Certains jeunes issus de l’immigration rejettent le modèle prédéfini d’appartenance à la collectivité, où l’appartenance nationale primerait sur les autres appartenances. Ces adolescents souhaitent concilier les multiples facettes de leur identité, multiplier les affiliations et revendiquent légitimement d’être reconnus tels qu’ils sont : à la fois français et d’origine étrangère. Dès lors que les jeunes dits de la « deuxième génération », nés sur le territoire de parents étrangers, sifflent la Marseillaise, ils sont incriminés de rejeter en bloc la France ou simplement de ne pas se sentir français. Le malaise va bien au-delà de cet incident et il faut chercher les causes profondes de ces agissements parfaitement condamnables.
Toute cette agitation politico-médiatique, efficace, fondée sur une méconnaissance et des préjugés, en dit long sur les ambiguïtés du nationalisme européen, motivé en profondeur par le rejet des immigrés et la recherche de boucs émissaires plutôt que par la connaissance positive des musulmans et de l’Islam. Force est de constater que ces discours sont relayés dans les plus hautes sphères de la politique européenne, on se souvient très bien que la Chancelière Angela Merkel a fustigé le modèle d'une Allemagne Multikulti (multiculturelle, multireligieuse, hétérogène, tolérante) en affirmant :
« L'approche multikulti a échoué, totalement échoué ».
Peut-on alors parler de l’émergence d’une identité européenne qui s’oppose aux autres cultures ?
La société européenne dans son ensemble se reconnaît dans des valeurs libérales, de démocratie et d’humanité. Il faut donc se garder de rechercher ou de légitimer un ancrage de l’identité européenne exclusivement dans des valeurs chrétiennes, comme Angela Merkel l’a exprimée, ou jadis, de soutenir la volonté de créer une Europe « club de pays chrétiens ». Quelle serait alors la place pour les musulmans de France et d’Allemagne (entre autres) ? La discrimination religieuse ne serait être tolérée. Il n’est pas bon d’ignorer mais surtout de s’opposer à d’autres cultures co-existantes sur le sol européen. De fait, il existe un socle européen de valeurs communes, repris notamment dans la Convention européenne des Droits de l’Homme, que l’on ne peut occulter et qui ne serait être l’apanage de tel ou tel civilisation, pas plus qu’il n’existe de hiérarchie dans l’humanité. Les interrogations sur l'identité de l'Europe ont été particulièrement ravivées par la question de l'entrée de la Turquie dans l'Union. Dans ce contexte, le débat passionné sur une adhésion éventuelle de la Turquie en Europe a cristallisé la crainte de voir un grand pays musulman, fusse-t-il laïc, émergé au sein de l’UE. En témoigne l’opposition farouche de l’axe franco-allemand à cette adhésion. Il est perçu, à tort, que cette adhésion bouleverserait les habitudes, fragiliserait les points d'appui traditionnels (langue, culture, religion, etc.) et surtout constituerait pour beaucoup une concurrence directe, voire déloyale sur le marché du travail. Il est essentiel de rappeler que la Turquie a été historiquement européenne. En effet, depuis la chute de l’empire romain d’orient, elle s’est toujours imposée en Europe : en 1566, les frontières de l’Empire ottoman s’étendaient jusqu’au nord de Budapest, englobant la Hongrie, la Moldavie, la Serbie, la Bulgarie et la Grèce. Les arguments religieux et géographiques ne tiennent donc absolument pas. Par ailleurs, la Turquie est membre du conseil de l’Europe, de l’OCDE, l’OTAN, et elle a toujours vocation à entrer dans l’UE. Son économie est plus saine et prospère que l’économie des pays baltes. L’UE n’a pourtant pas rompu avec la logique d’élargissement en intégrant malgré tout, ces pays. La résolution du problème chypriote, la reconnaissance des génocides servent de veto mais surtout de prétexte pour les opposants de l’entrée de la Turquie en Europe. Le leadership turc au sein de l’UE ne ferait pas d’émule, bien au contraire, il susciterait jalousie et indignation des instances européennes. Il serait synonyme de fragilité des pays comme l’Allemagne ou la France. Certains dirigeants d'Europe sont néanmoins favorables à cette adhésion. Outre, le message de tolérance vis-à-vis de la religion musulmane, ils avancent notamment un argument stratégique pertinent. En effet, par sa localisation au carrefour des continents, l’entrée de la Turquie en Europe replacerait cette dernière au centre de la scène internationale (en concurrence directe avec les USA). Par ailleurs, la Turquie pourrait, de manière intéressante, devenir la porte parole de l’UE dans les pays musulmans.
Dans ces conditions, quelles attitudes adopter ?
Pour John R. Bowen, anthropologue de l’université Washington (Saint Louis, Missouri), auteur de L’Islam à la française, l’Etat doit tout faire pour faciliter l’intégration des musulmans dans « l’espace républicain ».
Sous le titre L’Islam républicain, Jean-François Bayart, quant à lui, mobilise l’histoire et la sociologie pour rappeler que l’islam est compatible avec la République. Cette reconnaissance élémentaire pourrait avoir une portée considérable et offrir réellement une réponse durable aux inquiétudes des classes populaires. En effet, une meilleure reconnaissance de la diversité culturelle et des droits des minoritaires, comme c’est le cas au Canada, peut effectivement favoriser l’intégration européenne, promouvoir l’esprit de citoyenneté et le sentiment d’appartenance à l’Union.
Ces discours positifs peuvent également contribuer de manière significative au dialogue des cultures et à leur coexistence harmonieuse. Plutôt que de nier la pluralité et la liberté culturelles des minoritaires, il serait bon de promouvoir l’expression et les manifestations progressives de ces cultures dans la société française et plus largement dans toute l’Europe. Ne serait-il pas positif et dans une certaine mesure réconciliant, par exemple, de soutenir le droit de vote des étrangers aux élections locales ?
Il est nécessaire de trouver un ensemble de valeurs communes et une attitude de tolérance exigeante, s’impose donc à l’Europe. Celle-ci doit apporter des réponses concrètes à la tentation du repli sur soi. Il faut une vraie Europe politique et sociale qui réponde aux inquiétudes des citoyens. Nous devons œuvrer à la construction de cette société interculturelle où chaque communauté a sa place et doit participer pleinement à la construction du vivre-ensemble.
Dans cette perspective, on ne peut que se réjouir que certains gouvernements s’efforcent, par des politiques adaptées, de mettre un terme à des injustices, en matière d’accès à l’emploi et aux plus hautes responsabilités. Les mesures en faveur des Roms vont dans le bon sens. Il est donc primordial de militer pour un vivre-ensemble durable et l’harmonie sociale à laquelle nous aspirons tous.
28 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON