Ukraine : huit ans, jour pour jour, après la naissance de la « Révolution Orange »
APPEL DES INTELLECTUELS A LA LIBERATION DE
IOULIA TIMOCHENKO
C’était le 23 novembre 2004, à Kiev, capitale de l’Ukraine. Ce jour-là, il y a huit ans très exactement, naissait, dans cette ancienne république de la défunte Union Soviétique, une révolution porteuse d’un grand et magnifique espoir : celui d’y voir se développer enfin la démocratie, gage de libertés trop souvent réprimées en ce vieux bastion du totalitarisme communiste.
Ce vaste mouvement de protestation avait un tout aussi beau nom : la « révolution orange », slogan inspiré par la couleur des dizaines de milliers de drapeaux qui flottaient alors au vent - ce revigorant mais doux vent de la liberté - sur la bien nommée « Place de l’Indépendance », à proximité de laquelle se situe, en plein centre de Kiev, le siège du parlement ukrainien, le « Verkhovna Rada » dans la langue de Gogol (cet immense écrivain que l’on croit russe était, en fait, d’origine ukrainienne).
A la tête de cette contestation populaire se trouvait alors une jolie jeune femme à la chevelure blonde et rehaussée d’une tresse en forme d’auréole : Ioulia Timochenko, leader du principal mouvement d’opposition à l’obsolète et dictatorial système soviétique, mais qui surtout, deux mois après seulement, le 24 janvier 2005, allait être nommée par le Président alors fraîchement élu, Viktor Iouchtchenko, Première Ministre de son pays.
Le rêve démocratique brisé
Le pouvoir de cette égérie de la révolution orange ne dura guère toutefois longtemps, pas plus d’ailleurs que celui de Viktor Iouchtchenko, en qui elle verra toujours, malgré leur proximité idéologique, son principal rival politique. Ainsi, le 3 mars 2010, son gouvernement fut-il renversé, après qu’elle eut perdu les élections présidentielles, par le nouveau président ukrainien : Viktor Ianoukovitch, apparatchik néostalinien.
C’en était donc fini du rêve démocratique en Ukraine. Pis : Ioulia Timochenko, le 5 août 2011, fut arrêtée arbitrairement, en pleine audience de tribunal, alors qu’elle y comparaissait pour un présumé abus de pouvoir, lorsqu’elle était Première-Ministre, dans le cadre de contrats gaziers signés avec la Russie de Vladimir Poutine.
De cette obscure geôle où, en ce funeste jour-là, elle fut alors emmenée « manu militari », avant même que tout verdict ne fût prononcé à son encontre, elle ne sortira jamais plus, sinon, peut-être, après les sept ans de prison ferme auxquels cette parodie de justice la condamna le 11 mars 2011.
Le seul tribunal qui vaille : celui de notre conscience
Ainsi, face à de telles méthodes policières et judiciaires, dignes des vieux et expéditifs procès de Moscou sous l’ère Vychinski, naguère spécialiste en matière de purges politiques, c’est donc un nouvel appel à la libération de Ioulia Timochenko, victime en ce douloureux cas de la plus flagrante et scandaleuse des violations des droits de l’homme et de la femme, que je lance ici, au nom de la liberté de pensée et de parole comme du respect de la dignité humaine, au gouvernement ukrainien.
Car voilà donc plus de quinze mois, déjà, que Ioulia Timochenko, dont le seul tort est d’avoir combattu la dictature stalinienne dans son pays, croupit maintenant, avec un état de santé toujours plus préoccupant, en prison.
Je suis du reste convaincu que, devant pareille tragédie humaine et semblable injustice juridique, mes amis intellectuels s’associeront à nouveau, comme ils le firent déjà lors d’une première pétition signée dès le 8 août 2011 (soit trois jours, à peine, après l’arrestation de Ioulia Timochenko), à cette requête.
Cette pétition internationale que j’adresse à nouveau ici solennellement aux autorités ukrainiennes, et à leur président Viktor Ianoukovitch en particulier, est signée par quelques-unes des autorités morales les plus prestigieuses au sein de l’intelligentsia française et européenne.
Je le répète : le seul tribunal qui vaille, au regard de la conception que nous nous faisons de l’humanisme, est celui de notre conscience !
DANIEL SALVATORE SCHIFFER*
*Philosophe, porte-parole du Comité International contre la Peine de Mort et la Lapidation (« One Law For All »), dont le siège est à Londres.
Premiers signataires (par ordre alphabétique) :
Elisabeth Badinter, philosophe.
Robert Badinter, juriste et avocat, ancien Ministre français de la Justice (Garde des Sceaux).
Patrick Besson, écrivain, éditorialiste.
Marc Bressant, écrivain, Grand Prix du Roman de l’Académie Française.
Hsiao Chin, artiste-peintre italo-chinois.
Daniel Cohn-Bendit, Co-Président du groupe des Verts/Alliance Libre Européenne au Parlement Européen.
André Comte-Sponville, philosophe.
Jacques De Decker, écrivain, Secrétaire perpétuel de l’Académie Royale de Langue et de Littérature françaises de Belgique.
Anne Delvaux, députée européenne.
Isabelle Durant, Vice-Présidente du Parlement Européen.
Vladimir Fédorovski, écrivain et essayiste d’origine ukrainienne, cofondateur, en 1991, du Mouvement des Réformes Démocratiques de Russie.
Luc Ferry, philosophe, ancien Ministre français de l’Education Nationale.
André Glucksmann, philosophe.
Guy Haarscher, philosophe, professeur à l’Université Libre de Bruxelles et au Collège d’Europe.
Rebecca Harms, Co-Présidente de groupe des Verts/Alliance Libre Européenne au Parlement Européen.
Stéphane Hessel, Ambassadeur de France.
Jack Lang, Ministre de la Culture sous la présidence de François Mitterrand.
Alexandre Jardin, écrivain.
Daniel Mesguich, comédien, directeur du Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique (Paris).
Edgar Morin, sociologue, philosophe.
Dolores Oscari, directrice du Théâtre Poème (Bruxelles).
Gilles Perrault, écrivain, journaliste.
Michelle Perrot, historienne, professeur émérite des universités.
Alain Rey, linguiste, historien.
Michel Rocard, homme d’Etat, Premier Ministre de la France (1988-1991).
Jean-Marie Rouart, écrivain, membre de l’Académie Française.
Elisabeth Roudinesco, historienne, psychanalyste.
Daniel Salvatore Schiffer, philosophe, écrivain, éditorialiste.
Daniel Sluse, directeur de l’Ecole Supérieure de l’Académie Royale des Beaux-Arts de Liège (Belgique).
Jacques Sojcher, philosophe, directeur de la revue « Ah ! » (Université Libre de Bruxelles).
Guy Sorman, essayiste.
Annie Sugier, présidente de la Ligue du Droit International des Femmes.
Marc Tarabella, député européen.
Elisabeth Weissman, essayiste, journaliste.
Michel Wieviorka, sociologue (Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, Paris).
Yves Charles Zarka, philosophe, directeur de la revue « Cités ».
14 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON