Ukraine : vers la partition ? Le coup d’État ? L’entrée dans l’Otan ?
À Genève des négociations quadripartites - Russie/Ukraine/États-Unis/UE – destinées à calmer le jeu à l’est de l’Ukraine, ont réuni jeudi 17 avril 2017 le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov, le Secrétaire d’État américain John Kerry, la Haute Représentante de l’Union européenne pour les Affaires étrangères et la politique de Sécurité, Catherine Ashton et le ministre ukrainien des Affaires étrangères par intérim Andreï Dechtchitsa.
À Genève des négociations quadripartites - Russie/Ukraine/États-Unis/UE – destinées à calmer le jeu à l’est de l’Ukraine, ont réuni jeudi 17 avril 2017 le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov, le Secrétaire d’État américain John Kerry, la Haute Représentante de l’Union européenne pour les Affaires étrangères et la politique de Sécurité, Catherine Ashton et le ministre ukrainien des Affaires étrangères par intérim Andreï Dechtchitsa.
À l’issue de cette réunion une déclaration conjointe a été publié concluant en substance qu’« a été adopté [le principe] de prendre des mesures concrètes en vue de faire baisser les tensions et de garantir la sécurité pour tous les citoyens de l’Ukraine »… selon le commentaire de M. Lavrov [RIANovosti17avr14]. En outre, « à l’heure actuelle, toutes les parties signataires du document de Genève s’accordent sur la nécessité d’une régionalisation accordant des compétences élargies aux régions ». La conclusion s’imposant pour la partie russe que « le modèle d’État unitaire ayant prévalu en Ukraine ces vingt-trois dernières années, depuis l’indépendance, ne fonctionnant plus, il s’agit par conséquent de trouver un autre modèle » [ibid]. À ce titre, selon le représentant permanent de la Russie auprès de l’Union européenne Vladimir Tchijov, un référendum sur la fédéralisation devient inévitable en Ukraine, reste « à décider quelles en seront les modalités » [Rossia2418avr14]. Toujours selon Vladimir Tchijov, l’Ukraine a en réalité déjà effectué un premier pas vers sa fédéralisation, ceci en signant le 17 avril la déclaration de Genève, laquelle aura permis une immédiate, mais très relative, désescalade dans l’est de l’Ukraine.
La main tendue mais le sourire crispé
Au moment où cette la conférence s’ouvrait à Genève, le président Poutine de son côté se livrait à son exercice annuel - le douzième - de « Questions-Réponses » avec un échantillonnage choisi de ses concitoyens. Échange au cours duquel Edward Snowden, l’ancien consultant de la National Security Agency – l’Agence fédérale d’écoutes électroniques globales - est apparu en invité surprise ! Une élégante façon de renvoyer Washington à ses propres turpitudes. M. Poutine a également démenti, une fois de plus, les accusations « paranoïaques » des ukraino-occidentalistes quant à la présence de forces russes dans le Donbass. Parallèlement, le président russe a estimé que l’envoi par Kiev de forces armées dans l’est de l’Ukraine constituait un « crime grave »… et qu’« engager le dialogue » serait bien préférable à l’envoi de chars et d’aéronefs contre des populations civiles !
La nuit précédente des incidents armés avaient causé trois morts et fait treize blessés parmi des miliciens qui tentaient d’investir une base à Marioupol, au cœur de la région russophone dissidente. Depuis des incidents similaires se multiplient comme à Saviansk où des tirs nourris ont résonné dans la nuit du 2 au 21 avril. In fine, le président Poutine, après avoir souligné que l’actuel pouvoir ukrainien plongeait le pays dans « l’abîme », se déclare a contrario convaincu que la Russie et l’Ukraine « parviendront [finalement] à s’entendre ». Paroles conciliantes montrant que la porte de la négociation reste grande ouverte pour qui veut en franchir le pas… « Si nous nous aimons et nous respectons mutuellement, nous devons trouver un moyen de nous comprendre… nous parviendrons - j’en suis persuadé - à une compréhension mutuelle avec l’Ukraine ». Espérons ! Cependant Vladimir Poutine a quand même prévenu que la Russie réagirait [Russia must respond] dans le cas où les forces de l’Otan s’approcheraient des frontières de la Fédération [zerohedge.com17mars14] !
À ce dernier propos citons, une fois n’est pas coutume, le tangérois coprésident du Parti de gauche, M. Mélenchon demandant - mais dans le vide - au gouvernement français par le truchement d’un communiqué, des explications quant à la présence devant les côtes ukrainiennes de quatre bâtiments de la marine nationale accompagnant des navires américains : "Quatre navires de guerre français sont arrivés depuis quelques jours en Mer noire, aux côtés du destroyer lance missiles états-unien USS Donald Cook(1)… Je déplore que l’envoi de ces navires n’ait fait l’objet d’aucune communication du gouvernement et qu’ils aient été découverts suite à des signalements des États riverains de la Mer noire... [Présence] dissimulée sous l’égide [sic] de l’opération méditerranéenne de l’Otan Active Endeavour » [Francetvinfo17avr14]. C’est le même homme qui le 3 mars, au moment de l’affaire criméenne, dénonçait le nouvel appareil d’État ukrainien comme un pouvoir « putschiste » [leparisien.fr].
Détente et fragilité intérieure
Signe positif, le surlendemain de la conférence de Genève, le 19 avril, le porte-parole président ukrainien par intérim Alexandre Tourtchinov annonçait que tous les bâtiments de la Marine ukrainienne avaient quitté les baies de Sébastopol et de Donouzlav en Crimée et faisaient route vers Odessa. La Russie avait auparavant rendu à l’Ukraine 389 véhicules blindés, huit hélicoptères et trois navires de guerre… avant de suspendre le 15 avril ces restitutions de matériels de guerre afin d’éviter « qu’ils ne soient employés contre les civils » de l’est ukrainien [R.Novosti].
Quelques jours auparavant le général Valeri Kroutov, commandant de « l’opération antiterroriste » lancée par Kiev, et numéro deux des Services de sécurité ukrainiens [SBU], avait quant à lui annoncé que « les séparatistes pro-russes et les membres des services secrets russes opérant en Ukraine qui ne déposeront pas les armes seront liquidés ». Le conditionnel était à cette occasion apparemment inopportun [AFP15avr14]. Pour le général Kroutov, toute personne non identifiée ne pouvant a priori qu’être membres des « troupes spéciales du Renseignement militaire russe » [GRU]. Opération qui a tourné court puisqu’une bonne partie de la quarantaine de blindés de transports de troupes et de chars, ainsi qu’un nombre significatif des quelques centaines de personnels engagés dans cette intervention ont tourné casaque en se solidarisant avec les mutins [voir infra].
À cet égard, le 18 avril, l’armée ukrainienne déclarait qu’elle refuserait d’obéir aux ordres s’ils impliquaient de tirer sur des civils. Du coup, le gouvernement transitoire de Kiev s’est mis à craindre mezzo voce que les militaires n’organisent un coup d’État tant le moral est bas dans les rangs de l’armée ukrainiennes [RIANovosti18avr14]. Une armée sous équipée et aujourd’hui, dépendantes – un comble ! - des rations de combat envoyées par les É-U au titre de l’aide humanitaire. Rations dont des quantités significatives sont écoulées sur le marché noir ! Une armée désorganisée qui ne croit plus à sa mission et surtout pas à une mission au service d’une classe dirigeante largement composée d’oligarques non repentis. Ainsi quelque soixante soldats ukrainiens envoyés à Kramatorsk et leurs blindés ont-ils choisi de prendre le parti des manifestants.
Un potentiel coup d’État militaire ?
« Le gouvernement illégitime, le coup d’État et le banditisme qui prospèrent en de pareilles circonstances indignent les soldats et les officiers. Quand ce gouvernement leur donne l’ordre de mener une guerre contre leurs propres compatriotes, ces soldats et officiers prennent la bonne décision, la seule qui puisse être prise » commente le général Leonid Ivachov, ancien commandant de la Direction générale de la coopération militaire internationale du ministère russe de la Défense [ibid].
Ajoutant que la situation s’étant déjà « renversée en Ukraine et l’euphorie du Maïdan étant passée, il est tout naturel qu’aujourd’hui l’armée s’affirme comme la principale force politique du pays ». La situation intérieure de l’Ukraine étant à ce point dégradé qu’« aujourd’hui le gouvernement de Kiev craint que les militaires ne fomentent un coup d’État en vue de rétablir l’ordre ». Igor Korotchenko, rédacteur en chef de la revue moscovite « Défense nationale » partage ce point de vue : « L’armée ukrainienne refusera simplement d’obéir aux ordres. Aujourd’hui elle passe de facto du côté du peuple et c’est un facteur crucial qui déterminera à terme la dynamique d’évolution de la situation dans le sud-est de l’Ukraine où ont lieu des manifestations de masse contre le régime de Kiev… l’armée a fait un “choix historique” en décidant de ne pas tirer sur les civils. Le passage de l’armée ukrainienne dans le camp de l’opposition montre que jusqu’à un certain point l’armée a déjà effectué ses choix politiques et ceux-ci ne seront pas en faveur de Tourtchinov et d’Iatseniouk » [ibid].
Dans le même registre, l’ancien responsable de la direction des accords internationaux auprès du ministère russe de la Défense, le général Evgueni Boujinski, juge que l’armée ukrainienne est à tel point affaiblie qu’elle est incapable de mener une opération militaire… « son état est déplorable du point de vue opérationnel et les matériels sont dans un état lamentable, globalement obsolète et hors service ». Et ce ne sont pas les conseillers militaires américains, ou israéliens, opérant putativement sur le territoire ukrainien qui changeront la donne… ou encore les « contractors » de telle ou telle transnationale de mercenariat privé, sous-traitant des grandes Agences fédérales. Présence sur le sol ukrainien que dénie Greystone filiale de Blackwater… rebaptisée Academi après quelques épisodes particulièrement scabreux en Irak et ailleurs. Début avril, Sergueï Lavrov avait à ce sujet accusé Kiev d’avoir fait infiltrer le groupe paramilitaire ultranationaliste Pravy Sektor [Secteur droit] par 150 contractants de Greystone sous l’uniforme d’une unité d’élite ukrainienne [RadiofreeEurope/rferl.org8avr14]. Une assertion qualifiée sur Twitter de « foutaises » [rubbish] par Geoffrey Pyatt, l’ambassadeur américain à Kiev [ibid].
Ce même Pravy Sektor qui vient de diffuser une impressionnante vidéo en raison de son caractère sordide, celle de l’égorgement - en direct et en gros plan, un véritable snuff film - d’un ancien chef de la police de Donetsk en présence de son épouse(2). Les tueurs encagoulés l’accusent de ne pas avoir suffisamment protégé les rassemblements anti-russes contre la détermination des russophiles [reseauinternational.net19avr14]. On savait que des actes de barbaries avaient été commis auparavant, notamment au cours des nuits chaudes du Maïdan… au cours desquelles des Bercout [personnels des unités anti-émeute] avaient eu les yeux volontairement crevés. L’on savait aussi que des combattants des différents fronts djihadistes syriens, Tchétchènes, Ouzbeks et Tatars, étaient venus grossir les rangs des “manifestants”. Or l’on découvre à présent que ces mêmes fanatiques islamistes, ceux qui - hier en Algérie et aujourd’hui en territoire syrien - se livraient à un djihad sauvage, sont maintenant à l’œuvre dans les terres de l’est ukrainien. Leurs commanditaires ne sont d’ailleurs pas forcément ou uniquement les deux pétromonarchies wahhabites, le Qatar et l’Arabie. Mais bien tous ceux qui ayant échoué à redresser la barre à leur profit – oligarques compris - entendent dès lors recourir à d’autres méthodes plus radicales… comme par exemple faire basculer le pays dans la guerre civile.
Les Services américains ont acquis en ce domaine un indéniable savoir-faire… notamment en Afghanistan avec Al Qaïda dans le cadre de l’Opération Cyclone à partir de juillet 1979, autrement dit avant même l’intervention soviétique au mois de décembre suivant. Zbigniew Brzezinski alors conseiller du président Carter, avant d’être celui officieux de Barak Obama, fut l’un des auteurs inspirés de ce stratagème. Certains de ces djihadistes furent ensuite recyclés en Bosnie et au Kossovo. Resterait à savoir qui aujourd’hui manipule, infiltre ou instrumente Pravy Sektor à de telles fins de déstabilisation et de guerre terroriste sur le modèle syrien. Dans un tel contexte, l’on comprendra mieux la fermentation à l’œuvre dans l’armée ukrainienne et les rumeurs de golpe !
Ingérences euratlantistes
Au demeurant, la question d’une aide militaire, discrète mais directe, provenant de Washington est bien dans l’air du temps ! Le 18 avril, Ioulia Timochenko, candidate à la présidence ukrainienne et chef du parti Batkivtchina - par une déclaration mise en ligne le 11 avril sur le site de son mouvement - appelait les États-Unis à accorder une aide militaire à l’Ukraine. « J’appelle les membres du Congrès américain à tout faire pour aider l’Ukraine, protéger sa souveraineté et son intégrité territoriale... L’Ukraine a besoin d’aide militaire et technique qui doit être se traduire par l’envoi de conseillers techniques, par des livraisons d’armes antiaériennes et antichars ». Comme quoi !
Ajoutons qu’à en croire l’hebdomadaire polonais de gauche, Nie [Non] repris par le Réseau Voltaire [http://www.voltairenet.org/article1...], le ministre polonais des Affaires étrangères, Radosław Sikorski aurait invité en Pologne, en septembre 2013 et sous couvert d’un programme de coopération interuniversitaire, 86 membres de Pravy Sektor. Or ce n’est pas à l’université technique de Varsovie que ce se seraient rendus ces étudiants très particuliers, mais au centre de formation de la police de Legionowo où pendant quatre semaines, ils auraient bénéficié d’un entrainement intensif à la gestion des foules en colère, aux techniques de combat de rue, à la protection contre les gaz incapacitants, à la construction de barricades… et surtout au tir d’élite [Nie18avr14]. Révélations qui, si elles se trouvaient validées, jetteraient une lumière originale sur la résolution, adoptée à la même époque par la Diète polonaise, en vertu de laquelle le Parlement affirmait son « entière solidarité avec les citoyens ukrainiens qui, avec une grande détermination montrent au monde leur volonté de garantir la pleine appartenance de leur pays à l’Union européenne » [ibid].
Précisions que le ministre Radosław Sikorski fut l’un des trois représentants de l’Union européenne à négocier l’accord du 21 février 2014 entre le président Viktor Ianoukovitch et les trois principaux chefs d’EuroMaïdan. Accord au lendemain duquel le susdit Ianoukovitch fut destitué par un coup d’État de velours avant d’être poursuivi et pourchassé deux jours plus tard pour « meurtres de masses ». Sergueï Lavrov faisait alors observer à son homologue américain John Kerry que l’opposition ukrainienne, non contente de ne pas appliquer l’accord du 21 février sur un règlement de la crise, s’était « de facto emparée du pouvoir en Ukraine, cela en refusant de déposer les armes et en continuant de miser sur la violence » [voltairenet.org17avr14]. Un constat et un diagnostic que rien jusqu’à présent n’est venu contredire. Pire : « en refusant de tenir compte des droits linguistiques, ethniques, historiques et politiques des populations de l’Est, la première mesure du gouvernement de Kiev ayant été de bafouer les droits linguistiques des russophones en interdisant le Russe », les ultras de Kiev ont sciemment mis le feu aux poudres [atlantico.fr17avr14].
Bilan d’étape
Le compromis de Genève était attendu. Ni les É-U ni l’Ue et encore moins l’Ukraine ne peuvent bouger. Moscou attend patiemment que le fruit, ou blet, finisse par tomber. Kiev est réduit à l’impuissance malgré ses rodomontades eu égard à l’état de décomposition avancée et de démoralisation de ses forces armées. Quant aux Euratlantistes ils ne pourraient faire face à une rupture brutale des échanges commerciaux d’avec la Fédération de Russie… singulièrement pour ce qui regarde les fournitures de gaz à l’Europe. Un tel divorce n’est pas impossible mais certainement pas de but en blanc, dans l’improvisation. Cela supposerait d’ailleurs de mettre sérieusement à mal l’économie allemande sur laquelle repose en grande partie le branlant édifice européen.
La dernière chance de l’Ukraine serait de saisir la perche tendue par la Russie et de conduire sans délai une consultation pour ou contre la fédéralisation du pays, sauf à précipiter une partition peut-être encore évitable ! Mais contre toute logique le couple É-U/UE refuse cette issue à la crise. Au mieux elle y répugne et cherchera tous moyens d’y couper. Comme toujours en pareilles circonstances des forces obscures sont à l’œuvre qui ne reculeront peut-être pas devant les brasiers la guerre civile. Le recours à la force vive contre les villes dissidentes étant pour l’heure a priori exclu, un deus ex machina pourrait pourtant s’inviter sur la scène politique ukrainienne tel un coup d’état militaire… tant l’armée ukrainienne est ulcérée par la situation actuelle de chaos institutionnalisé, par l’absence de ligne directrice claire et le sentiment d’être instrumentée par une classe politique elle-même au service d’intérêts équivoques. L’armée n’entend donc pas obéir aux ordres de Kiev et se refusera à mater la rébellion par la violence… « nous ne tirerons pas sur des civils ». Une sourde rébellion qui pourrait déborder à tout moment si ce n’était l’échéance maintenant rapprochée des élections présidentielles du 25 mai.
Dans ces conditions, Moscou n’a évidemment pas besoin d’intervenir dans un processus qui suit son cours de façon vraisemblablement réversible. Le pourrissement est à l’œuvre, et les militants indépendantistes, loin de désarmer et d’évacuer les bâtiments officiels occupés, renforcent leurs positions et affichent leur volonté. Ainsi la crise loin de s’apaiser, se radicalise au contraire. Le fragile collagène qui unissait depuis l’indépendance des régions linguistiquement et économiquement hétérogènes, se délite devant nous. Le consensus national, pour réel ou artificiel qu’il ait été, n’est plus.
Pour le camp occidentaliste la fédéralisation limiterait pourtant la casse. Kiev pourrait élire un gouvernement totalement inféodé à Bruxelles et à Washington sans perdre pour autant et définitivement les zones minières et industrielles de l’est. L’équilibre obtenu resterait malgré tout précaire en raison même de son caractère presque artificiel. L’expérience tend à nous prévenir contre cette solution qui, sauf recomposition générale – effondrement de l’€uro comme monnaie unique et refondation de l’Europe débouchant sur une solide alliance de partenariat euro-russe – ne pourrait qu’être temporaire. En l’absence, disions-nous, d’une situation entièrement nouvelle, laquelle effacerait l’actuelle fracture géopolitique séparant le monde russe de l’Europe occidentale.
Péril en la demeure
Maintenant que le Kremlin maintienne quarante mille hommes sur sa frontière, quoi de plus naturel ! Ce fait constitue un rappel pour Kiev à ne pas dépasser certaines limites dans la répression des poussées indépendantistes, soit à conserver le sens de la mesure à l’heure où parfois les esprits s’échauffent en favorisant les provocations… Le chef d’État major ukrainien ne menaçait-il pas tout récemment de « liquider » tous ceux qui ne déposeraient pas immédiatement les armes ? Ne parlons pas de l’Égérie de la Révolution, Mme Timochenko qui voulait nettoyer la dissidence à « l’arme nucléaire »(3). Curieux propos sur les lèvres d’un ancien Premier ministre supposé posséder le sens de la mesure ! Or quelque soit le ridicule du propos, il doit nous faire souvenir que tout risque de confrontation n’est pas totalement écarté.
Certains stratèges concoctent-ils, dès que l’Ukraine se sera doté d’un gouvernement plus présentable, c’est-à-dire “légitime” selon les critères occidentaux, d’intégrer aussitôt le pays dans l’Otan ? Dans ce cas de figure le rapport de force serait modifié et le bargaining power des euratlantistes en serait accru d’autant… par les seules dispositions mécaniques du Traité de l’Alliance atlantique qui dans son Article 5 crée une solidarité de défense entre les membres en les soudant en bloc compact et offensif.
Maintenant, hypothèse basse, si Bruxelles, Paris, Londres et Washington continuent leur primitive partie de poker diplomatique, un jeu habituel qui au final commence à être archi connu, ils seront perdants au-delà de toute espérance et la partition sera le résultat de leur obstination et de leur cécité. Le monde change et certains paramètres d’évaluation des rapports de forces sont désormais obsolètes. Justement le recours à l’intimidation et à la force a montré ses limites cette dernière décennie.
Pour ce qui est des hommes c’est malheureusement une autre paire de manches… Par exemple les politiques hexagonaux censés représenter les intérêts nationaux ne font pas dans la dentelle. Le tout nouveau, tout neuf Premier secrétaire du Parti socialiste, Jean-Christophe Cambadélis, ci-devant repris de justice(4), ne lançait-il pas jeudi 17 un avertissement au président de la Russie… « M. Poutine, bas les pattes devant [sic] l’Ukraine ! » [AFP17avr14]. Nous devons, hélas prendre ces écarts de langage, comme ceux de Mme Timocheko, relativement au sérieux parce qu’ils montrent à l’envi quel est le véritable état d’esprit des élites dirigeantes des nations occidentales. Et ne parlons pas du sénateur américain John McCain ou du vice-président Joe Biden en visite à Kiev ce 21 avril sans doute pour y orchestrer de prochains dirty tricks [coups tordus] militaro-diplomatiques [telegraph.co.uk13avr14].
Léon Camus 19 avril 2014
Notes :
1 – Le quotidien turc Cumhuriyet informait le 10 avril dernier que le destroyer américain Donald Cook et le navire collecteur de renseignements français Dupuy-de-Lôme étaient entrés dans la mer de Marmara après avoir franchi les Dardanelles à destination de la mer Noire où ils devraient naviguer durant trois semaines. L’USS Donald Cook possède un système d’alerte et de défense Aegis doté d’antimissiles et de missiles de croisière Tomahawk. En février dernier, Washington avait déjà dépêché dans la région la frégate Taylor lors des Jeux olympiques de Sotchi. En mars, le destroyer Truxtun avait participé en mer Noire à des exercices de concert avec la marine bulgare et roumaine. Aux termes de la Convention de Montreux [1936], le tonnage global des bâtiments de guerre des puissances non riveraines de la mer Noire se trouve limité à 30.000 tonnes et la durée de leur présence à 21 jours au maximum [ruvr.ru10avr14].
2 – Le texte de la revendication sur fond de musique patriotique -lequel semble furieusement s’inspirer des vidéos d’Al Qaïda et des divers maquis takfiristes au Levant non encore islamiste - traduit sommairement de l’ukrainien : « Ces derniers temps, on essaie de nous imposer la répétition du scénario de la Crimée. Ces activités se trouvent encouragées par le laxisme des organes de pouvoir y compris la police. La police est chargée de maintenir l’ordre et l’intangibilité des frontières de l’État. La passivité de la police sera jugée par le Pravy Sektor comme un cas de haute trahison ».
3 - L’ancien premier ministre ukrainien, Ioulia Timocheko a reconnu sur Twitter avoir proféré des menaces contre les Russes et la Russie dans un entretien téléphonique avec l’ex secrétaire adjoint du Conseil de sécurité nationale et de défense d’Ukraine Nestor Choufritch [AFP/RIANovosti25mars14]. Selon l’enregistrement de la conversation en russe disponible sur YouTube et rediffusé par la chaîne de télévision Russia Today, Mme Timochenko dit précisément à propos de la situation en Crimée : « Je suis prête à prendre un fusil d’assaut et à aller tirer sur ce bâtard en pleine tête [Vladimir Poutine]… il faut prendre les armes et aller tuer ces « katsap » [bougnoules russes ukrainiens]. « Je ferai tout mon possible, je mobiliserai le monde entier dès que je pourrai pour qu’il ne reste de cette Russie qu’un champ brûlé ». Nestor Choufrich demande alors quel sera le sort réservés aux huit millions de Russes vivant en Ukraine et qui sont, de son point de vue, « marginalisés ». Réponse : « Il faut les tuer à l’arme nucléaire ». Conversation qui donne le ton du “débat hors antenne”.
4 - Jean-Christophe Cambadélis, ancien trotskyste lambertiste sous le pseudonyme de Kostas, et ex bras droit de Dominique Strauss-Kahn, poursuivi pour recel et abus de biens sociaux, est condamné en janvier 2000 par le tribunal correctionnel de Paris. Le 7 juin de la même année il est à nouveau poursuivi pour « abus de confiance » dans le scandale de la mutuelle étudiante, affaire dite de la Mnef. Ceci alors qu’il est déjà député. En juin 2006 reconnu coupable de « recel d’abus de confiance » il est légèrement condamné… avec l’indulgence du jury ! Proches de l’ancien trotskyste et Premier ministre Lionel Jospin, il est en 1995 porte-parole de la campagne de la campagne présidentielle. On voit par cet exemple emblématique que la classe dirigeante hexagonale est non exceptionnellement constituée de délinquants récidivistes qui, bien que reconnus coupables et condamnés, sont promis aux plus hautes destinées dans le giron de la République.
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