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Un adepte de la syndicratie

Les syndicats n’ont besoin de personne pour faire leur propagande et encore moins des intellectuels de profession. Depuis la guerre l’intelligentsia française est toujours restée marginale par rapport à la lutte des classes. Aucun « maître à penser » n’a eu droit de cité pour prétendre « aider à penser » ou « guider » le prolétariat, ce rôle restant dévolu aux partis de la contre révolution PCF et PS, lesquels prenant toujours le soin d’englober la classe des travailleurs dans le concept de français ou d’électeur. Debout sur une poubelle de Billancourt, le petit Jean-Paul Sartre a été successivement le bouffon du stalinisme et du maoïsme et ses écrits politiques font pitié. Pierre Bourdieu, sociologue transcendé par le mouvement bâtard de 1995, s’est pris pour un Sartre qui aurait souhaité vendre ses pensums en milieu ouvrier. Avec une tartuferie impayable Bourdieu s’est senti pousser des ailes en 2003 en produisant un texte, s’il vous plaît dans Le Monde Diplomatique : « Pour un savoir engagé ». Après les engagements croquignolesques de Sartre, Bourdieu se couvrit d’un saint suaire dégagé : « penser la politique sans penser politiquement ». Ce degré zéro de l’engagement politique d’un professeur au Collège de France debout sur une corbeille à papier qui plaidait pour un assistanat théorique aux ouvriers grévistes, laissa de côté un texte totalement insipide, pour lancer une boulette à l’aristocratie syndicale : « Il faut prendre des risques. Il ne s’agit pas de défiler, bras dessus bras dessous, comme le font traditionnellement les syndicalistes le 1er mai. Il faut faire des actions, des occupations de locaux, etc. Ce qui demande à la fois de l’imagination et du courage. Mais je vais dire aussi : « Attention, pas de ‘syndicalophobie’. Il y a une logique des appareils syndicaux qu’il faut comprendre ».

Sommet d’ubiquité que ces sonnets de professeur : un coup à gauche, un coup à droite. On ne peut demander en effet ni imagination ni courage aux appareils syndicaux, mais pour se rattraper Bourdieu proteste qu’il n’est pas « syndicalophobe ». Un nouveau concept bourdieusien ? Une maladie honteuse ? Bourdieu n’en dira pas plus et nous égare à la fin de son texte de mandarin médiatisé sur les problèmes de communication entre syndicats et cette truie « les mouvements sociaux » et cette évidence pas incontournable, les cadres parlent les langues étrangères moins les militants. Même si quelques bulles de Champagne ont pétillé de colère dans quelques salons de la rive gauche, il n’y eût pas de quoi fouetter un chat avec cette ambiguïté de raisonnement inoffensif de professeur confus et les appareils syndicaux n’ont pas été égratigné par la plume légère du mandarin du Collège de France.

Accessoirement sur le web un certain Luc Paul Roche, qui n’est point de ma fratrie, mais professeur de philo et prototype parfait de l’aristocrate syndical s’est senti transcendé par le texte de maître Bourdieu et tel Jeanne d’Arc a entendu des voix lui sussurer qu’il fallait sauver le syndicalisme de France et de Navarre ([1]). Il a donc fourni une définition à la nouvelle perfide Albion, ultime produit collégien de Bourdieu, amendé et définit par LP Roche :

Syndicalophobie : N. f. Attitude de détestation, de mépris des syndicats. Particulièrement : attitude visant à discréditer, voire à entraver l’action des syndicats de salariés, et pouvant se traduire par des propos blessants, des agressions verbales ou même physiques contre les représentants syndicaux. A distinguer de l’antisyndicalisme qui émane des pouvoirs et des hiérarchies (politiques, étatiques, économiques, etc.), la syndicalophobie représente essentiellement un rejet des organisations syndicales de salariés par les salariés eux-mêmes, et, plus généralement, par la base des milieux populaires.

Délégué syndical expérimenté qui a vécu les mouvements pour les retraites de 1995 et 2003, LP Roche s’indigne que Bourdieu ait pu soupçonner que les syndicats aient été étrangers à ces mouvements alors qu’ils étaient « en première ligne ». Quant à l’accusation de « manque de courage » des appareils, LP Roche estime qu’il faut être lucide : « une organisation syndicale ne saurait appeler officiellement à des actions illégales, ne serait-ce que pour assurer sa survie, sa crédibilité, son efficacité ». LP Roche n’est pas un révolutionnaire maximaliste, par conséquent personne ne lui reprochera de vouloir éviter que les syndicats se risquent à perdre leurs prébendes étatiques en mordant la main qui les nourrit. Comment ne pas partager son émotion quand l’intellectuel confus a lancé une bourde typiquement bourdieusienne et « syndicalophobe » qui réduit le syndicalisme à des défilés « bras dessus bras dessous », quand on sent bien que cet universitaire « bien payé » flirte avec le gauchisme intellectuel qui nous présente « les syndicats comme de vieilles bureaucraties sclérosées, incapables de comprendre les intérêts du prolétariat » ? Pourtant, l’intello Bourdieu, quoiqu’ambigu, pressentait bien mieux qu’au lieu d’un vieux milieu bureaucratique mais « ouvrier » imaginé par les syndicalistes trotskistes ou mafia invisible pour les anarcho-syndicalistes concurrents, existait un monde institutionnel clivé entre professionnels (permanents et porteurs d’eau) et profanes (syndiqués et non-syndiqués) avec ses rites étrangers à la classe ouvrière : congrès avec confetis, pugilats dans les CE, les caisses de sécurité sociale, et une bagarre annuelle feutrée entre tous pour la représentation nationale de chaque syndicat.

L’antisyndicalisme vient d’en haut, « émane des pouvoirs » ([2]). La syndicalophobie est une maladie qui vient d’en bas, mais le docteur LP Roche ne nous en explique jamais les causes. Les deux sont complices, « en parfaite collusion » : « C’est le prolétariat lui-même qui mène sa propre politique d’autodestruction en méprisant (et parfois en agressant) ceux qui (…) ont le courage de se constituer en sections syndicales (…) La bourgeoisie en rêvait, le prolétariat l’a fait ».

LP Roche affiche ainsi son entier mépris pour la classe ouvrière, comme n’importe quel aspirant leader syndicaliste libertaire ou trotskien : « Les salariés n’ont que les syndicats qu’ils méritent ! » et se réfugient dans « l’assistanat » : « Le calcul du salarié syndicalophobe est en réalité très simple. A) Je ne prends pas de carte parce que c’est trop cher. B) Toutefois, j’essaie de faire intervenir le délégué syndical si j’ai un problème. C) Si le délégué réussit à résoudre mon affaire, c’est tout bénéfice, je n’ai pas déboursé un centime, et c’est le délégué syndical qui a pris les plus gros risques en allant ferrailler auprès du chef ou du patron. D) Si le délégué échoue, j’aurais le plaisir de calmer haut et fort que le syndicalisme ne sert à rien et que les syndicalistes sont tous des vendus… L’assistanat salarial, on le constate, est une forme particulièrement saisissante d’individualisme salarial et de refus de l’action collective ».

Or, notre prototype d’intellectuel syndicalisés type nous donne ici la définition du… syndiqué moyen ! Et les coups physiques et le harcèlement moral qu’il évoque, ont été le fait de la mafia stalinienne pendant des décennies contre ceux qui refusaient de prendre la carte et nullement des travailleurs eux-mêmes dans les diverses situations où ils ne croisent jamais ces faux défenseurs du peuple salarié. L’aristocrate LP Roche se démasque comme républicain national dans un autre texte au titre nunuche : « Une conscience politique se réduit-elle à la conscience de classe ? ». Un adhérent d’un parti bourgeois comme le PS peut naturellement considérer réductrice l’idée de « conscience de classe » puisque pour tout bourgeois démocratique il n’existe pas des classes mais des citoyens au libre arbitre limité par leur porte-monnaie. Notre ovni philosophe est dans la même navette spacieuse car sa conscience politique « est le souci permanent des institutions publiques, du bien commun au plan moral et matériel » et « un modeste syndicaliste en sait bien plus sur l’avenir de son pays (…) que tel ou tel idéologue à succès », et, du reste : « les centrales syndicales ont eu à cœur de développer une immense littérature militante, à travers leurs organes de presse, qui contribuent fondamentalement à constituer l’élite éclairée du prolétariat. La prose limpide de grandes figures du syndicalisme telles que Pelloutier ou Jouhaux nous montre à quel point ces hommes étaient d’authentiques penseurs ». Nous aimerions connaître cette immense littérature militante – les pensums des sociologues du travail et les mémoires des bonzes ? – pour mieux sentir cette « élite éclairée » et la féliciter de rester en phase avec la nation ; le syndicat de Roche reste national et donc identifié à l’Etat. Il a du mérite cependant notre prototype ultra-syndicalophile, il résume assez bien la bonne conscience du sergent recruteur syndicaliste de base, le gauchiste moyen, l’anarcho-syndicaliste dévoué et les intellectuels conseillistes des Cahiers Spartacus : « Le paradoxe effrayant de la conscience de classe est qu’elle a irrémédiablement besoin d’appareils pour se développer (partis ouvriers et syndicats) alors même que ces appareils finissent toujours plus ou moins par adopter une logique propre, totalement détachée des vraies aspirations des travailleurs ». Sans les appareils syndicaux, plus fiables que les partis politiques même s’ils sont capables de trahison, les travailleurs n’existent pas. Le gauchisme républicain rejoint l’ultra-gauche marxologue (jeune) : le prolétariat est tout (organisé) ou il n’est rien (désorganisé). Pour lutter contre la « servitude volontaire », LP Roche ne vous propose pas simplement de vous syndiquer mais exige que vous éleviez votre conscience politique au niveau de la restauration républicaine, c’est-à-dire la forme la plus achevée de la collaboration avec l’ordre établi.

[1] Sur AGORA VOX, De l’antisyndicalisme à la syndicalophobie (janvier 2010).

 

[2] Voir par exemple les nombreuses félicitations de Sarkozy à la CGT.

 


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6 réactions à cet article    


  • jef88 jef88 6 novembre 2010 11:45

    Qui a fait le plus de bien aux syndicats ?
    - Les partis PS, PC.
    Qui a fait le plus de mal aux syndicats ?

    -  Les partis PS, PC. parce q’ils ont fait passer l’esprit partisan avant la défense des travailleurs


    • juluch 6 novembre 2010 13:01

      +1 pour vous !!!!




    • plancherDesVaches 6 novembre 2010 19:53

      Votre réveil sera dur.


      • Guy Liguili Guy Liguili 6 novembre 2010 19:59

        Heu......Gné ?


        • LE CHAT LE CHAT 6 novembre 2010 22:07

          mes collègues et moi avant lutté au portail de l’usine contre notre direction , les seuls élus venus nous soutenir étaient les communistes du coin ! le harcelement moral venait lui du patronat ......


          • Luc Paul ROCHE Luc Paul ROCHE 6 novembre 2010 23:48

            Une superbe publicité pour mes écrits, si modestes soient-ils...
            Je me suis même payé le luxe de voter pour !
            Sinon, pour la version plus scientifique de mon article sur la syndicalophobie, voir la notice que je viens de publier sur DicoPo, le Dictionnaire des Idées Politiques en Ligne (à noter que DicoPo est une entreprise sérieuse et que ma notice a patienté un an avant validation et après différentes modifications)

            http://www.dicopo.fr/spip.php?article124

            Très amicalement.

            Et je conclurai comme d’habitude : je me mââââârre
             smiley

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Hempel


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