Un autre monde est toujours possible
Opposer l'intermondialisme au mondialisme demeure aujourd'hui la seule alternative à un néocapitalisme imposant ses règles abusives à une humanité désarmée.
J’avoue que c’est ma première participation au Forum Social Mondial (FSM). Et pour tout vous dire, j’en étais impressionné. Du haut de mes quarante ans de vécu dans les domaines de l’enseignement de l’histoire, de l’économie, des luttes politiques et sociales, du militantisme syndical, j’ai encore appris. Ce que j’ai appris en une semaine à Tunis dépasse mes attentes. Cela se résume en quelques mots : il est toujours possible de changer le monde.
Un peu d’Histoire. L’évolution sociopolitique de l’humanité est attribuée à la lutte des classes. Qui aurait pu imaginer, sous l’antiquité romaine, assister, sous le commandement de Spartacus, à la rébellion des esclaves. La société esclavagiste ne s’est pas effondrée, certes. Seulement Spartacus a ouvert la voie à une lutte longue et acharnée d’une classe opprimée face à une classe opprimante. Au Moyen-âge, les tensions permanentes au sein de la société féodale entre les serfs et leurs maîtres et plus tard entre les bourgeois et la noblesse ne devraient-elles pas conduire à la Révolution française et à l’établissement d’un nouveau régime politique et social après des siècles d’obscurantisme ? Une page sombre et honteuse de l’Histoire de l’humanité sera définitivement tournée avec l’abolition de l’esclavage dans les colonies françaises en 1848. Aussi la preuve historique est-elle faite : tout progrès social ou politique ne peut être obtenu qu’à la suite d’une lutte acharnée. Lutte des femmes pour arracher leur droit de vote et l’égalité des sexes ; lutte des noirs américains privés, durant des siècles, de leurs droits civiques.
La révolution industrielle de la fin du XIXe siècle, modifie les structures sociales. La population paysanne, traditionnellement majoritaire, cède la place - exode rural oblige - à un prolétariat urbain de plus en plus nombreux et surtout inhumainement exploité. Malgré tous les abus infligés à la classe ouvrière par le capitalisme sauvage, le prolétariat, mal organisé, ne réussit pas à détruire le système. Il demeure déterminé cependant à poursuivre la lutte, seul moyen dont il dispose pour changer ses conditions de vie et de travail.
Aujourd’hui, dans un monde ouvert désormais aux libres échanges, le néocapitalisme impose ses lois sur les marchés. Un mot d’ordre : le profit d’abord. En quinze ans, le clivage socio-économique a dépassé tout entendement. Ce capitalisme à outrance, par son caractère mondialiste n’a engendré que la pauvreté, le chômage, la violence, la destruction de l’environnement, le terrorisme et les guerres. C’est tout le sens que revêt la tenue du FSM. Dénoncer cet état désastreux du monde qui, par les pratiques impérialistes et néocolonialistes effrénées risque de conduire l’humanité au désastre. Quatre-vingts individus vivant sur notre planète disposent en 2015 d’une fortune estimée, selon un rapport d’Oxfam, publié par la revue Forbes, à plus de sept mille milliards de dollars. Il s’agit d’un revenu équivalent à celui dont disposent les 3,5 milliards d’individus les plus pauvres. Inimaginable.
À Tunis, du 24 au 28 mars 2015, plus de 120 nations représentées par 45000 militants sont venus de tous les coins de la planète exprimer leur mécontentement face au mépris qu’affiche le fonctionnement du système capitaliste à l’égard des tranches des populations les plus démunies. C’est au nom de la dignité humaine et des droits fondamentaux que la lutte se poursuit. Jusqu’à l’établissement d’une justice mondiale fondée sur le partage équitable des richesses entre les citoyens du monde.
Le plan de sauvetage économique lancé par l’administration américaine au lendemain de la crise de 2008, consistait à puiser mille milliards de dollars dans les poches des contribuables afin de renflouer les caisses des grandes entreprises et des grandes banques. Signalons au passage que 95% de tous les gains de revenus générés alors par la reprise de l’économie américaine n’ont profité qu’à 1% de la population la plus riche. Ailleurs, notamment dans l’Union européenne, des pays dirigés par des gouvernements socialistes, sous influence du capitalisme mondial, n’ont pas un autre choix que d’appliquer des politiques économique et financière de type libéral. L’État providence disparaît progressivement de l’espace économique et social, impose l’austérité, coupe dans les services essentiels (santé, éducation…), privatise. Une instabilité politique, économique et sociale grave gagne plusieurs pays européens.
Plus scandaleux encore, ce sont ces ‘’guerres par procuration’’, rappelant les temps forts de la guerre froide, que se livrent les pays capitalistes pour le contrôle de marchés ou de zones d’influence. Les conflits armés se multiplient prenant pour chair à canons les populations les plus pauvres. De l’Ukraine au Yémen, du Mali à la Syrie, de la Libye à l’Irak, des peuples entiers payent le prix fort des rivalités postcoloniales du monde occidental capitaliste. Des centaines de milliers de morts et plus de cinquante millions de réfugiés. Cette crise humanitaire, par son ampleur, est la plus importante depuis la Seconde Guerre mondiale. Jouer sur les divisions sectaires pour régner et continuer à piller les ressources du Moyen-Orient. On fait répandre la terreur. On diffuse le message de la peur, subtilement exploité par les gouvernements des puissances impérialistes afin de légiférer dans le domaine des libertés publiques, museler la population et la réduire au seul rôle dont elle est destinée : la consommation.
La lutte continue et la résistance s’organise. Des milliers de jeunes, dans un élan d’unité dans la diversité, à l’image du monde qu’ils voudraient construire, ont répondu présents à l’appel de Tunis. Ils étaient là pour condamner un système qui ne procure à l’humanité que désolation et misère. C’est à eux qu’appartient le changement du monde. Opposer au mondialisme l’inter-mondialisme, c’est possible.
Ghassan Hélou
Professeur d’Histoire et d’économie au collège Stanislas (Montréal)
Président de l’Association des Professeurs du Collège Stanislas (APCS-CSN)
Membre du comité Action-internationale de la Fédération Nationales des Enseignates et Enseignants du Québec (FNEEQ)
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