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Accueil du site > Tribune Libre > Un beau gâchis, en effet

Un beau gâchis, en effet

Je suis chaque fois plus stupéfaite des ersatz d’explication de la crise sociale guadeloupéenne. Je suis chaque fois plus stupéfaite de la voir réduite à une supplication pour plus d’intervention et d’exonérations fiscales ou comme une lutte entre les noirs et les blancs, les "fils d’esclaves" et "les maîtres békés". Mon « analyse » préférée est celle qui consiste à ne voir dans ce mouvement de contestation sociale, que les velléités indépendantistes de ses dirigeants. Qui, en premier, a parlé d’évolution statutaire ? Les hommes politiques, locaux et nationaux. Qui l’a demandée cette indépendance ?

Je suis peut-être stupide de ne pas m’intéresser au "fond des choses", de ne pas percevoir les intentions implicites du LKP (lyannaj kont pwofitasyon, collectif contre les abus) mais je préfère, pour l’heure en tout cas, ne m’en tenir qu’à la surface des choses. Celle qui m’intéresse. Je préfère parler économie que politique.

Interventions

La crise ultramarine coûtera donc à l’Etat 848 millions d’euros….

 Je me rappelle ces premières journées de négociation, à la fin du mois de janvier dernier, celles durant lesquelles aucun représentant de la presse dite nationale (ou étrangère, mais nous y reviendrons) n’était présent. Je me rappelle donc du LKP s’insurgeant contre le fait que, pour obtenir une augmentation de 200€ des salaires, il faille l’intervention de l’Etat et, dois-je le rappeler, des collectivités locales. Je me rends compte que, depuis plus de vingt ans, la seule solution économique avancée par le gouvernement passe par plus de défiscalisation, d’exonérations de charges (loi Pons, loi Paul, loi Girardin, et maintenant LODEOM) tout cela pour les mêmes, qui ne disposent tellement pas de visibilité d’exercice qu’ils refusent de signer un protocole qui entraînerait cette augmentation de fait… dans trois ans. Des entreprises qui bénéficient d’avantages fiscaux sans contrepartie réelle (formation continue, emploi, etc.) et sans évaluation donc sans moyen pour le gouvernement de se remettre en question et de réformer (refonder) un principe néfaste pour le contribuable guadeloupéen et hexagonal. La défiscalisation a généré, selon les analyses de l’IEDOM, l’institut d’émission des départements d’Outre-mer, parues fin 2008, une dépense fiscale de 690M€ soit le double de ce qu’elle était en 2003 à savoir 340M€. « Un régime spécifique d’exonération de charges patronales a été introduit en 1995. L’objectif visé est d’encourager la création d’emploi afin que les économies ultramarines soient en mesure d’offrir, notamment aux jeunes, des emplois durables (…). Selon un rapport datant de juin 2006, le montant des exonérations aurait augmenté de 54,7% entre 2001 et 2005. La progression des exonérations a été plus rapide que celle des effectifs employés » indique la même source. La Guadeloupe, la Martinique et la Réunion disposent de taux spécifiques de TVA (8,5% pour le taux normal et 2,2%). La dépense fiscale liée au différentiel de taux avec la France hexagonale est évaluée, en 2007, à 990M€… Pour quels résultats ? Un chômage équivalent à 22,7% de la population active et une crise sociale.

Non mais, vous, qu’en pensez-vous ? Ah oui. Que les Guadeloupéens sont paresseux. Qu’ils boivent du rhum, mangent des accras, touchent le RMI, bloquent la Guadeloupe et tuent les blancs qui passent par là.

Deux poids, deux mesures

Ce mouvement dit : il y a deux poids, deux mesures. Ce mouvement dit que le travail doit être rémunéré à sa juste valeur. Les 40% de vie chère me paraissent être la reconnaissance implicite par l’Etat d’une différence de pouvoir d’achat entre la France hexagonale et la France ultramarine. Ce mouvement dit qu’il est temps d’arrêter de favoriser les uns au détriment des autres. Pas les noirs, pas les blancs, pas les fils d’esclaves et les "békés". Non : celui qui travaille (salarié, petit entrepreneur) et celui qui profite, sans contrepartie réelle ni évaluation, d’avantages, fiscaux notamment. La situation est la même dans l’Hexagone ? Que n’êtes-vous pas descendus dans la rue pour dire votre soutien et votre indignation d’un système qui favorise les plus puissants ? Ah oui. Parce qu’on vous a dit, et vous l’avez cru, qu’il ne s’agissait ici que d’un conflit de « race », d’une prise avec l’Histoire à laquelle nous sommes attachés et au travers de laquelle nous nous « victimisons » au lieu de prendre les rênes de notre économie. Celui qui affirme que nous sommes l’égal des autres départements de France hexagonale est un menteur. La preuve par la couverture médiatique des évènements. La preuve par la réaction de nos compatriotes hexagonaux qui, en réaction au chant de contestation « la Guadeloupe est la nôtre, elle n’est pas celle des profiteurs, des voleurs », ont répondu, à 81%, « mais donnez leur l’indépendance ». Il arrive, en Corse, de voir des villas d’hexagonaux plastiquées au motif de la (bien connue ici) « colonisation par le peuplement ». Jamais je n’ai entendu ces mêmes hexagonaux réclamer pour elle l’indépendance.

Etrangers ?

Alors oui. Oui, il m’arrive, comme à d’autres, de penser que je vis en pays étranger. Les monopoles qui ont court ici m’interdisent de penser que notre système économique est libéral. La non-redistribution des richesses m’interdit de penser que nous sommes en système communiste. L’exclusif de vue et de marché, même si les choses tendent à changer, plus grâce à l’Union Européenne (Accord de partenariats économiques) que grâce à la France, m’amènent à penser que nous vivons, encore dans un système colonial. Peut-être qu’une meilleure instruction de l’histoire coloniale française aurait permis à la majorité de mes compatriotes de le comprendre. Les Etats généraux proposés par le gouvernement sont la dernière plaisanterie en date. Pourquoi faire, si la loi programme (LODEOM) qui engagera l’économie sur dix ans est discutée, et peut-être même votée, un mois avant ? Les choses doivent être claires : nous, Guadeloupéens, luttons pour la mise à mort d’un système qui nous asphyxie, pas contre des uns ou des autres mais contre un état de fait que n’importe lequel d’entre vous admettrait s’il vivait ici. Malgré « l’affaire » chloredécone, malgré 44 jours de conflit et des dizaines de milliers de personnes dans les rues, malgré la preuve des abus de la grande distribution, des grandes compagnies pétrolières, le gouvernement fait la sourde oreille et refuse de jouer son rôle de régulateur. Un gâchis, pour reprendre les mots du Figaro ? Oui. Et pas seulement pour nous. Pour vous aussi. Parce que, vous aurez beau faire la preuve que vous avez raison, vous aurez tort. On cherchera à minimiser les causes, à pervertir les idées pour que jamais rien ne change. Un beau gâchis, vous l’avez-dit.


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4 réactions à cet article    


  • hellwood 31 mars 2009 22:50

    bonjour

    j’habite gosier depuis 1996 et ai un petit magasin a jarry.

    je trouve pour ma part que la situation c’est dégradée en général parce que depuis le debut des années 2000, j’ai constaté (mais peut etre n’etait ce qu’une impression) que de plus en plus de metros venaient s’installer en guadeloupe, et de plus en plus de natifs s’expatriaient a paris ou ailleurs.
    alors peut etre que ce sentiment que j’ai c’est généralisé dans l’inconscient collectif pour arriver a la fameuse "gwadloup en nou"...

    en effet, si ce que j’ai constaté au fil des ans est confirmé (je n’ai pas de chiffres, juste une impression) je pense qu’il y a deux principales raisons a cela.

    1/ plus de facilités fiscales pour une frange favorisée de la population metro (defiscalisations etc)
    2/ manque de moyens formatifs pour la jeunesse locale. (etudes a paris ou ailleurs)

    je réduit sûrement le tableau, mais en gros, si les metros aisés sont incités a s’installer, et si les locaux incultes doivent s’expatrier, un inversement "coloré" se produit qui mène a ce que nous avons connu.

    je precise que je suis moi même "metro" comme on dit, et un simple citoyen de la terre.


    • Le péripate Le péripate 1er avril 2009 00:10

       Ce blog affirme que les jours de grève des employés de l’ANPE ont été payés. Savez-vous si c’est vrai ?


      • hellwood 1er avril 2009 02:30

        @peripate
        non, je ne le sais pas, mais je vais me renseigner. (et ce n’est plus l’ANPE, mais POLE EMPLOI)
        par contre, ce que je sais, c’est que les negociations pour le paiement des jours de greve continuent, et que les grèves eparses notament celle de la centrale thermique du moule fait que chaque jour, des coupures de courant tournantes d’environ 2 heures nous oblige a prevoir les bougies et autres camping gaz.
        l’accord bino n’est pas etendu a toutes les entreprises, et quand bien même il le serait, j’ai entendu personellement jeudi dernier a l’hotel de region lors d’une reunion sur l’aide aux entreprises mr LUREL dire : "c’est une usine a gaz..."
        la poste entame jeudi une greve illimitée, tandis que sur le port, bloqué depuis mardi dernier, un espoir de déblocage est permis. mais bon... les bandeaux rouges sont toujours sur les antennes des voitures (surtout sur les 4x4 flambants neufs) et les drapeaux CGTG plantés sur pas mal d’entreprises de jarry.




        • hellwood 1er avril 2009 02:43

          je voudrai ajouter que si l’auteur a fait des etudes sur l’audiovisuel et les médias, elle n’a pu, a mon avis, que constater que l’information, si elle n’est pas correlée avec des flammes et de la violence, s’eteint aussi vite que celles ci.

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