Un brassard noir durant la Coupe du monde de football au Qatar ?

Du 20 novembre au 8 décembre 2022 se tiendra dans l’émirat du Qatar la 22e édition de la Coupe du monde de football. Cet évènement constitue une aberration sportive et un scandale climatique. Il jette en outre un second linceul sur les cadavres des milliers d’ouvriers étrangers qui, nous informent les ONG, ont péri lors de la construction des stades…
Un peu partout sur la planète, des personnalités politiques, des intellectuels, des sportifs de renom – y compris dans le milieu du football – ont, avec le soutien de très nombreux citoyens, dénoncé la tenue au Qatar de la Coupe du monde 2022. Autant de décideurs, d’influenceurs et de particuliers qui ont décidé de « boycotter » cette compétition. Les uns en refusant, à l’instar des équipes municipales de la plupart des métropoles françaises, de mettre en place les traditionnels écrans géants dans les « fan zones » ou de se déplacer dans l’émirat. Les autres en affirmant leur volonté de ne pas brancher leurs postes de télévision lors des épreuves. « Regarder les matches, c’est cautionner cette mascarade humaine et climatique », affirment en substance toutes ces personnes.
Elles ont raison : jamais le Qatar n’aurait dû se voir attribuer, le 2 décembre 2010, l’organisation d’un tel évènement ! Et pour cause : l’émirat ne pouvait se prévaloir d’aucune culture footballistique populaire, et dans cette petite péninsule désertique comptant moins de 3 millions d’habitants aucun championnat sérieux n’existe qui fasse vibrer les foules, à Doha ou ailleurs sur ce territoire. Pour ces raisons, le Qatar ne disposait pas, lors de sa désignation, des équipements nécessaires à la tenue d’une compétition comme la Coupe du monde de football. Qui plus est, le climat local était à l’évidence incompatible avec l’organisation d’une telle compétition en été, période traditionnelle de tenue de l’épreuve, une fois terminés les grands championnats nationaux.
Malgré tous ces obstacles – qui eussent été rédhibitoires pour n’importe quelle autre candidature –, les responsables de la FIFA, n’écoutant que les intérêts financiers de leur mafia fédération, ont, notamment grâce à l’activisme de Nicolas Sarkozy et la douteuse complaisance de Sepp Blatter et Michel Platini, cédé aux sirènes des pétrodollars*. Et cela en « incitant » un nombre suffisant de délégués de petites nations du football à préférer la candidature d’un Qatar sans structures mais très ambitieux au plan géopolitique à celle des États-Unis, pays pourtant expérimenté en matière d’organisation de grands événements sportifs et de surcroît doté d’équipements parfaitement adaptés à la tenue d’une compétition de cette envergure. Bref, une aberration au plan sportif.
Et que dire du climat ? En été, les températures atteignent 40 à 50° dans l’émirat, ce qui rend évidemment tout match de football impossible, sauf à faire courir aux sportifs le risque de très graves insolations malgré un dispositif sanitaire de premier plan. D’où la décision, aussi baroque et inepte qu’inédite, qui a été prise par les autorités de la FIFA : déplacer les dates de la compétition en fin d’année afin que les épreuves puissent avoir lieu dans des conditions météorologiques plus supportables par les organismes des joueurs. Pour faire bonne mesure, les dirigeants qataris, forts de leur richesse pétro-gazière, se sont de surcroît engagés à climatiser les improbables stades de la péninsule, jusque-là surtout connue pour ses... courses de chameaux ou de dromadaires.
Encore fallait-il les construire, ces stades. Qu’à cela ne tienne, les autorités qataries ont, pour décrocher le graal géopolitique qu’ils convoitaient, pris l’engagement de rénover le vieux stade Khalifa de Doha et de construire 7 autres stades à la hauteur de cet évènement planétaire. Et le fait est qu’une fois acquise l’organisation de cette Coupe du monde au Qatar, les chantiers ont été ouverts et l’on a vu, ici et là, surgir peu à peu des sables du désert ces 7 nouvelles enceintes sportives dignes des meilleurs championnats occidentaux, toutes situées dans un rayon de 30 km ! Mais à quel terrible prix humain en l’absence de tout droit du travail ! Si l’on en croit les ONG, ce sont en effet des milliers de travailleurs immigrés qui ont péri lors de la construction de ces stades et des infrastructures urbaines associées !
En l’occurrence, ce sont principalement des travailleurs bangladais, népalais et pakistanais qui sont décédés au Qatar. Privés de leurs passeports par les esclavagistes qataris pour mieux les tenir sous leur coupe, tous ne sont cependant pas morts des suites d’accidents comme il s’en produit trop souvent lorsque les plannings de construction priment, au mépris des vies, sur la sécurité des ouvriers. Nombre de ces hommes, soumis à des taches harassantes dans la fournaise locale, ont probablement été victimes d’insolations mortelles sur les chantiers ou terrassés par des coups de chaud dans les logements indignes où ils étaient entassés. On n’en saura pas plus sur les causes de tous ces décès : les autorités du Qatar classent les dossiers sans enquête dans la plupart des cas.
Refuser de regarder les retransmissions télévisées de cette Coupe du monde ne changera sans doute rien aux équilibres géopolitiques. Mais c’est une bonne initiative, et l’on ne peut que saluer le choix de tous ceux qui adopteront cette position de boycott. Ce n’est toutefois pas suffisant, hélas ! Pas plus que les autres actes symboliques qui pourront être opposés à l’émir du Qatar et aux dirigeants de la FIFA. Faute de pouvoir empêcher la tenue de cet évènement, d’aucuns suggèrent par exemple d’arborer un brassard noir le temps de la compétition. Pour porter le deuil des valeurs d’un sport corrompu car toujours plus bradé aux intérêts financiers et politiques. Pour porter le deuil des milliers de morts étrangers, victimes sur le sol brûlant du Qatar d’enjeux qui les dépassaient et les ont broyés !
Tout cela évidemment en pure perte. Les amateurs de sport en général, et de football en particulier, détestent – pour une large majorité d’entre eux – que l’on porte atteinte à la passion qui les anime, que l’on critique leurs idoles, bref, que l’on abime leur jouet, tels des enfants gâtés. Plutôt qu’affronter une réalité dérangeante, tous ceux-là préfèrent jeter un voile pudique sur leurs yeux pour ne pas voir les scandales financiers, les affaires de dopage ou les manœuvres politiques qui, trop souvent, polluent les milieux sportifs professionnels et dénaturent l’esprit des épreuves. Et c’est ainsi que les matches de la 22e Coupe du monde de football seront suivis massivement par les téléspectateurs de la planète : peu importent les indignations extérieures exprimées ici et là, The Show Must Go On !
* En réalité, c’est moins au pétrole qu’à ses énormes réserves gazières que le Qatar doit sa fortune.
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