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Accueil du site > Tribune Libre > Un dernier îlot d’humanité

Un dernier îlot d’humanité

 Dans un chuintement plaintif, un soupir pneumatique, la double porte vitrée s’ouvre sur un grand hall froid, impersonnel. Un labyrinthe d’interminables couloirs de lumières pâles, fléchés au sol par des traits de différentes couleurs qui vous indiquent le chemin à suivre vers le spécialiste de vos maux, calme les ardeurs conquérantes. Il y flotte dans l’air un capiteux parfum d’éther et de désinfectant bon marché. Quelques fées vêtues de blanc s’agitent ça et là poussant des chariots de produits sensés soulager la douleur physique des résidents. 

 De chaque côté de ces interminables travées, des portes tout les trois ou quatre mètres apparaissent dans un encadrement pastel, glacé, anonyme, comme des tableaux uniformes accrochés dans une galerie qu’on se passerait bien de visiter. Derrière chacune d’elle, un être humain en bout de course attend, sans trop d’illusion, le miracle de la médecine qui le ramènera dans la fourmilière de la vie consommatrice. Bienvenue dans la section des soins palliatifs adjacents au pavillon d’oncologie du professeur X.

 Ici, pas de blabla, de faux semblants. Chacun sait ce qui l’attend. Ca transpire l’humanité par tous les pores, elle est donnée gratuitement en sourire, par une caresse sur la joue ou une main délicatement prise. Finie l’usante compétition du monde extérieur, le paraître a fait place au réel, pas de far, pas de maquillage ou de faire valoir. Le vent des prochains départs a chassé la poudre des yeux pour mieux les ouvrir. La position sociale et les richesses matérielles sont laissées à l’entrée. Dans ce lieu les qualificatifs comme individualisme, superlatif ou ostentatoire n’ont pas lieu de citer, la grandeur est dans les cœurs et le supérieur est ailleurs. On est ce que l’on est ici et maintenant tel qu’à la naissance mais, pendant quelques temps, comme un reproche, avec ses doutes et ses regrets en plus.

 Dans leur lit, leur fauteuil roulant ou clopinant en traînant la potence de leur perfusion à la main, ils sont à nouveau frères et sœurs. Dans ce lieu propice à la méditation, Ils redeviennent petit à petit des êtres d’utopie, les pieds ici mais la tête ailleurs. Une indéfinissable lumière dans le fonds de leurs yeux semble nous dire ; « Je sais déjà, du moins je crois savoir et même si cela m’effraie, paradoxalement cela me rassure aussi… » 

 Ne vous méprenez pas, ils ne sont pas toujours tristes et par instant, ils ont encore assez de force pour se moquer d’eux-mêmes et pousser l’humour jusqu’à parier sous la forme d’un tiercé mortuaire sur ceux qui partiront les premiers ou sur celui qui arrivera à séduire l’infirmière de nuit et si par erreur vous sombrer dans le pathos, ils en feront le carburant qui alimente leur dérision…

 Leur plus grande joie c’est quand leur famille arrive, enfants, petit enfants. A cet instant, leur yeux pétillent, s’illuminent, comme si ils voulaient nous dire que rien, absolument rien d’autre, n’a plus d’importance que l’amour de ces êtres en vie. Certains n’ont plus de proches ou ils ne viennent plus alors il reste les amis, le compagnon ou la compagne de chambre.

 Ce qui est fabuleux, c’est que se sont ceux qui vont partir qui rassurent ceux qui vont rester. Quelle merveilleuse leçon de vie apprend-t-on de la part de ceux qui terminent la leur.

 Débranchez la prise de l’inutile courant affairiste qui vous meut, coupez les liens qui vous retiennent prisonnier des illusions externes, laissez vos certitudes à l’entrée, posez le sac de vos soucis quotidiens, oubliez la course à l’avoir, à la performance et écoutez ceux qui finissent le voyage. Ils vous diront à quel point il faut protéger et aimer la vie, que le reste est accessoire et souvent perte de temps car, celle-ci file à la vitesse de l’éclair et à peine vous a-t-elle éblouie que vos yeux commencent à se fermer.

 Nous aimerions tous revenir à la page on l’on aime, mais la page ou l’on meurt est déjà sous nos doigts.

 Si il y a une chose que ces quelques années d’errances m’ont apprises, c’est celle-ci : « La mort n'est pas une chose horrible, une chose à éviter, à différer, mais plutôt une compagne de chaque jour, l’indéfectible amie de notre périple terrestre. Sentez toujours sa présence et elle ne pourra jamais vous surprendre. De cette perception naît alors un sens extraordinaire d’humanité et d'immensité ».

Merci à tous ceux qui ont pris un peu de leur temps pour cette lecture.


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26 réactions à cet article    


  • Denis Thomas Denis Thomas 17 septembre 2013 10:32

    Merci pour ce texte émouvant et bouleversant.


    • brindfolie 17 septembre 2013 11:07

      Toujours magnifique dans sa simplicité.Merci Gabriel.


      • Dwaabala Dwaabala 17 septembre 2013 11:07

        C’est à nous de vous dire merci.


        • Gabriel Gabriel 17 septembre 2013 13:32

          @Denis Thomas, brindfolie & Dwaabala, merci à vous trois pour votre passage sur ce fil.


        • ZenZoe ZenZoe 17 septembre 2013 11:17

          Très beau texte effectivement.
          Merci aussi de nous rappeler ce très beau poème de Lamartine.
          Personnellement, j’appréhenderais de terminer mes jours dans un endroit où tous « savent ce qui les attend ». Beaucoup d’humanité dans ces lieux, mais aussi de désespoir aussi sûrement ?
          Quoi qu’il en soit, je préfère espérer que le lieu n’aura pas tellement d’importance au moment de faire le grand saut, mais plutôt le fait de savoir que je serai prête, que j’aurai mis mes affaires et mes sentiments en ordre, que je pourrai ainsi me détacher plus facilement de ceux qui qui seront encore là pour moi, et que j’aurai liquidé tous mes regrets. et là, je pourrai partir, que ce soit à l’hôpital, ou sur un banc au bord de la mer, ou encore mieux, brusquement chez moi dans mon sommeil.


          • Gabriel Gabriel 17 septembre 2013 11:50

            Bonjour ZenZoe,

            Vous avez raison, d’un point de vu géographique, à l’instant de tirer sa référence ce qui est important c’est la paix que vous aurez fait avec ce monde et vous-même. Aussi, est-il primordial de vivre comme si l’on vivait son dernier jour. Quant au lieu de soins palliatifs décrit ici, leur importance est humaine car ils permettent aux personnes en fin de vie de partir accompagné d’amour et dans la dignité.


          • foufouille foufouille 17 septembre 2013 18:38

            « Beaucoup d’humanité dans ces lieux, mais aussi de désespoir aussi sûrement ? »
            vu la description du lieu, je pense pas


          • Vipère Vipère 17 septembre 2013 13:14

            Très beau texte Gabriel

            Plein d’émotion, sans faux-semblants, mettant l’humain à nu, face à face avec avec sa propre finitude, avec celle des autres qui lui est renvoyée dans le même temps, dans un huit clos « un Ilot » où le temps est compté. De précieux moments qu’il faut vivre pleinement, avant le grand voyage.

            Merci


            • Gabriel Gabriel 17 septembre 2013 13:29

              C’est sans nul doute par là qu’il nous faut tous en passer pour grandir. Merci de votre intervention.


            • Gabriel Gabriel 17 septembre 2013 18:56

              Bonsoir Selena,

              Les mots ne sont rien par rapport à ce vous faites chaque jours pour ceux qui souffrent. Merci pour eux et merci de votre commentaire.


            • foufouille foufouille 17 septembre 2013 18:37

              " Ce qui est fabuleux, c’est que se sont ceux qui vont partir qui rassurent ceux qui vont rester. Quelle merveilleuse leçon de vie apprend-t-on de la part de ceux qui terminent la leur."

              ils savent de quoi ils parlent, tout simplement (on est jamais certain de partir)


              • Surya Surya 17 septembre 2013 19:36

                Bonsoir Gabriel,

                Mon commentaire va un peu détonner par rapport à ceux écrits plus hauts et je m’en excuse d’avance.
                Je n’ai connu qu’un seul service de soins palliatifs, pour l’un de mes proches, et c’était l’horreur. Pas une once de cette humanité que vous décrivez et qui m’a tellement touchée dans votre texte magnifique, mais qui ne correspond en rien à mon expérience personnelle. Un personnel soignant indifférent, parfois même froid, faisant mécaniquement les gestes qui soignent sans chercher à soulager, incapable de prononcer un seul mot de réconfort, et encore moins de prendre une main, d’offrir un sourire. Si la famille n’est pas là dans des moments pareils, la personne meurt dans la plus totale solitude et le dénuement affectif.
                Une fois la personne partie, on nous a virés manu militari de la chambre pour faire je ne sais quoi de médical, froidement, de façon robotisée, on ne nous a pas dis un mot, on ne nous a même pas offert un remontant alors que nous étions sous le choc.
                Certes, c’était il y a longtemps maintenant, et les choses ont peut être changé. Le personnel a été formé, sans doute, pour mieux répondre à ce genre de situation. Ne refusait-on pas, il n’y a pas si longtemps, d’’administrer de la morphine aux mourrant sous divers prétextes ?
                Mais que penser si l’on doit en arriver à « former » les gens à être humains ? Comme si cela ne devait pas venir spontanément, du plus profond de soi-même. Non, il faut « former » le personnel hospitalier.
                Merci pour ce texte superbe, Gabriel, je crains seulement qu’il ne reflète toujours pas l’ensemble de la réalité.


                • foufouille foufouille 17 septembre 2013 19:58

                  j’ai connu ce genre de chose en partie aussi. la réaction dépendait de la blouse blanche, mais il y en avait des très aimable, même un aumônier sympathique. le plus dur a supporter était le bruit des machines qui résonnait. a une époque la morphine était mal dosé (on doit connaitre ton poids) et te faisais planer, ce qui fait que j’ai refuser la deuxième


                • foufouille foufouille 17 septembre 2013 19:59

                  c’était mieux quand ils ont mis la radio


                • Gabriel Gabriel 18 septembre 2013 07:44

                  Bonjour Surya,

                  Ce que vous décrivez a une réalité car au début de la mise en place des unités de soins palliatifs, certain ont pensé que le personnel médical sans formation spécifique était apte à cette fonction d’accompagnement. Erreur car la fonction du personnel médical est de soigner et de guérir alors lorsque la mort survient, cela est considérée comme un échec. La très grande majorité des accompagnants sont des bénévoles bien que maintenant, du personnel médical est formé à cette fonction. Je pense pour ma part qu’une personne externe au milieu médicale est plus apte à l’accompagnement. Cependant attention, pour être accompagnant bénévole il faut aussi une formation mais surtout une très grande motivation, une disponibilité d’esprit et une écoute car il ne faut à aucun instant fleureter avec le misérabilisme. Bien sur qu’il faut être humain et pour cela, de la compassion pas de la pitié, de l’impermanence pas de l’indifférence.  Merci de votre apport à ce débat et désolé pour votre proche qui n’a pu bénéficier de cet accompagnement correctement mais, heureusement, vous étiez là et c’est déjà merveilleux.


                • Gabriel Gabriel 18 septembre 2013 07:46

                  Merci foufouille de vos commentaires et de votre retour d’expérience.


                • amipb amipb 17 septembre 2013 20:06

                  Merci beaucoup Gabriel pour ce témoignage.

                  L’humanité est toujours là dans nos cœurs, mais la société moderne et son stress presque recherché nous rend aveugles à notre propre lumière.

                  J’aimerai qu’un jour nous vivions véritablement tous en paix...


                  • Gabriel Gabriel 18 septembre 2013 07:50

                    Amipb, ne vous en faites pas pour cela, nous vivrons tous en paix un jour mais, pas ici et pas maintenant. Peut-être sommes nous justement là pour l’apprendre. Cordialement


                  • Luc-Laurent Salvador Luc-Laurent Salvador 22 septembre 2013 18:30

                    Magnifique texte.
                    Magnifique conclusion.
                    Magnifiquement actuel.

                    Il me semble en effet que la mort est à nos portes.
                    Qu’elle surgisse à Damas, Téhéran ou Jérusalem,
                    Si tant est que nous l’ayons oublié,
                    nous allons apprendre à vivre...

                    au présent !


                    • Gabriel Gabriel 23 septembre 2013 07:36

                      Vous avez trouvé Luc, c’est exactement cela, vivre au présent et ressentir pleinement l’instant. Merci de votre passage.


                    • paco 23 septembre 2013 09:35

                       Pourquoi meurt-on en hopital surtout les lundis, à cinq heures du matin ?


                      • Gabriel Gabriel 23 septembre 2013 09:46

                        Peut être la déprime de la fin du week end... Non sincèrement, drôle mais intéressante  question. Ne serait ce pas l’horloge biologique de l’individu qui se serait adaptée à des années d’habitude d’un rythme professionnel devenu rituel ?


                      • paco 23 septembre 2013 10:07

                         @ Gabriel, ma question n’était pas en mode déconnade, ou drole. Je parlais juste d’un fait troublant, et trés sérieusement. Renseignez vous.


                      • paco 23 septembre 2013 09:55

                         Meme si ce n’est pas le sujet, je préfèrerais mourir vite.
                         J’ai déjà perdu la vie, une fois, mais me souviens parfaitement des voix affolées des médecins aux urgences, « vite, vite, il part » «  » putain c’est foutu«  »Mais vas-y bordel, injecte«  » Et merde, laisse tomber."
                         C’est la vie aprés qui est difficile.


                        • Gabriel Gabriel 23 septembre 2013 10:08

                          Paco, chacun vie une expérience très personnelle dans ces moments là. Certains en garde souvenir d’autres pas. Le plus dur c’est pour les premiers car très souvent, sensation de bien être et des fois plus, ils ne voulaient pas revenir. Merci de vos remarques.


                        • paco 23 septembre 2013 10:30

                           Vous avez raison, Gabriel...« ne pas revenir... » Mais le sujet est vaste et dévaste toute conscience.

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