Lettre à Monsieur le président de la République
Monsieur le président,
Vous venez de recevoir le prix humanitaire de la Fondation Elie Wiesel. Ceci vous honore comme vous honorent les paroles que vous avez prononcées à cette occasion.
Oui, vous avez raison, des millions de gens à travers le monde sont dans l’incertitude, une incertitude qui parfois confine à l’angoisse, voire à la ruine, dégradant ainsi leur quotidien de manière intolérable. Au passage, rappelons cependant – car elle ne doit pas avoir moins de poids dans nos consciences, vous me l’accorderez Monsieur le président –, la souffrance de ces quinze mille enfants qui chaque jour meurent de faim, la souffrance de ces millions de personnes qui n’ont accès ni à la santé ni à l’éducation, la souffrance de ces millions de pauvres à la dignité si malmenée, si entamée chaque jour et depuis si longtemps. Alors, certes, la crise financière nous secoue dans toutes nos certitudes d’Occidentaux, mais nous rend-elle prioritaires dans la file d’attente de ceux qui appellent à l’aide et crient justice ?
Vous avez encore raison lorsque vous plaidez pour une meilleure et donc pour une nouvelle gouvernance économique qui mettrait – enfin ! – la finance au service de l’économie réelle, au service du développement de l’homme, dans l’équité et la dignité. Car c’est vrai, beaucoup, trop de décideurs, donc d’autant plus responsables, se sont ces derniers temps couverts d’or et d’argent, mais encore plus de honte. Pour vous conforter, sachez que nous sommes prêts à vous accompagner dans votre colère et votre détermination.
Enfin, vous avez encore raison lorsque vous dites, comme dans votre discours sur la nécessaire mobilisation du monde face au défis et aux menaces de l’évolution climatique, que la France, forte de sa tradition universaliste, se doit d’être au premier rang dans l’action, et ce de manière exemplaire, s’imposant à elle-même plus qu’elle n’attend des autres. Rude tâche, il est vrai, mais n’oubliez pas que, mieux et plus facilement que les référendums, chacune de vos décisions peut se retrouver forte de l’énergie conquérante de l’adhésion populaire, si le peuple y voit clairement le sens de la justice et le souffle du courage.
Car qui peut le plus peut le moins. Après avoir eu raison et avoir fait honneur à la France en l’engageant comme vous l’avez fait à New York, vous allez, ce jeudi, vous exprimer à Toulon. Même si la tribune est plus modeste, vous pourrez la rehausser de fortes paroles dans lesquelles, sachez-le, nous espérons retrouver la même exigence, la même force, voire la même indignation américaines.
Oui Monsieur le président, à Toulon, vous serez en droit, et nous vous suivrons, de demander, dans les difficultés que nous traversons, qui et où sont les responsables des engagements douteux et des pertes des grandes banques françaises. Dans le cas de l’une d’entre elles, vous l’avez déjà entrepris : continuez, ne lâchez pas le morceau ! Vous aurez encore raison de demander quels sont les efforts que ne font pas nos grandes sociétés, pétrolières ou commerciales, dans la lutte contre le renchérissement du coût de la vie, elles qui naguère affichaient – et vraisemblablement affichent encore – des profits colossaux. Et vous aurez raison d’exiger de connaître les responsables de cet état des choses. Raison encore vous aurez si, avec votre Premier ministre, vous exigez de savoir pourquoi notre pays est quasi en faillite, et quelle part y ont prise ceux qui ont multiplié les niches fiscales, ceux qui ont organisé leur virginité face à l’impôt, ceux qui réclament toujours plus d’allègements de charges, tout en délocalisant toujours davantage. Ceux enfin, insouciants, qui butinent grassement de stock-options en parachutes dorés aussi faramineux qu’obscènes. Tous réunis pour priver chaque jour et toujours davantage la France de projets d’avenir ferments de justice et de cohésion sociale.
Nous vivons une époque difficile certes, mais passionnante et riche d’espérance, car beaucoup est à réinventer. Monsieur le président, vous en avez l’énergie, nous le savons, et nous en aurons le courage, n’en doutez pas. Nous le pourrons, tous ensemble, si vous décidez de mobiliser, dans la transparence et dans l’équité. Dès jeudi, à Toulon.
Claude Bernard