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Un ex-flic, un livre, un blog

Métier de chien, lettres à Nicolas.

C’est l’histoire d’un ex-flic, redevenu simple citoyen exerçant aujourd’hui le métier de journaliste. A-t-il tourné la page de son ancienne vie ? Peu probable, car cette vie-là doit être difficile à oublier. En tout cas l’homme est passé à autre chose : la photo, les voyages, beau métier que celui de reporter. Et pourtant, nombre d’enfants trouvent que le métier de policier est un beau métier et rêvent d’être un jour des redresseurs de torts tels leurs héros masqués ou non, volant au secours de "la veuve et de l’orphelin" ; mais voilà la réalité a une toute autre résonance et celle de cet ex-flic a l’écho d’un glas funeste.13b23ffa925c04d645d280504907ac1f.jpg

"Si tu es prêt à sacrifier un peu de liberté pour te sentir en sécurité, tu ne mérites ni l’une ni l’autre" disait Thomas Jefferson et ce n’est pas un hasard si cette phrase figure en exergue d’un chapitre du livre de Marc Louboutin. Lorsqu’en 2002 commence l’invasion des « Nicolas » comme l’auteur nomme les obsédés d’une sécurité à tout prix, même si la plupart des gens ne saisissent pas tous les traquenards politiques que recèle ce mot, il se souvient que dans une autre existence, il a été officier de police. Durant dix-sept longues années, presque une moitié de vie. A Paris, Chambéry et Quimper. Et qu’il a démissionné, écoeuré de ce métier de chien qui fut le sien.

Le livre de Marc, c’est un longue descente aux enfers, parce qu’il n’y a ni héros, ni salaud dans cette histoire : il y a des hommes, des bons, des mauvais, des justes et des menteurs, des ambitieux et des besogneux, des cons et des moins cons, comme dans la vie, mais dans cette vie-là, tous sont, à un moment donné ou à un autre, amenés à franchir la ligne blanche. Loin de la rhétorique et des discussions stériles de salon, le voyage que nous propose cet ancien flic, c’est celui de la vérité crue et nue où l’on apprend que pour faire respecter la loi, les policiers sont parfois amenés à la violer, que dire la vérité n’est pas le meilleur moyen de grimper les échelons de la hiérarchie et que rien ne se passe comme on le croit. Que le mot "sécurité", devenu le credo du pouvoir politique, s’est trouvé perverti par le même pouvoir et qu’à plus ou moins long terme, il reviendra tel un boomerang à la face de ceux qui brandissent cet étendard pour justifier de leurs actions. Le prix à payer, hélas, c’est nous tous qui devrons nous en acquitter.

Le style de Marc Louboutin est comme l’homme : direct, sans concession et forcément "impolitiquement correct". Et de sucroît, c’est un vrai écrivain. Cet homme-là écrit comme il photographie, et il flashe chaque scène méticuleusement, balayant de son regard professionnel la "scène du crime" mais au-delà de cette implacabilité, le regard qu’il porte sur son ancienne vie est terriblement humain. Marc s’adresse au lecteur, à un Nicolas anonyme, il le tutoie, le rudoie, s’adoucit parfois et finit par dévoiler son quotidien de flic : page après page, le lecteur est happé par l’odeur de la mort, de la misère humaine ; le lecteur entend le cri des victimes, il touche du doigt la solitude du policier face à ce que les êtres humains sont capables de se faire, et finit avec la nausée d’un monde en marge que la nuit rend encore plus tragique. La rage, le désespoir, l’immense tristesse et l’obligation de tourner les talons et de continuer coûte que coûte, parce que c’est aussi ça le métier de flic, ne pas s’arrêter trop longtemps de peur de ne jamais repartir. Le long voyage entrepris par Marc, c’est le voyage d’une conscience tel que décrit au verso de son livre : "Pour qu’au-delà du mot sécurité ce Nicolas-là comprenne enfin ce que le travail de policier peut signifier. En terme d’horreurs, de violences, de reniements de soi, de l’éducation et de toutes les valeurs sociétales. De l’arrestation d’une balle en pleine tête d’un « ennemi » public à la fréquentation quotidienne de dealers d’une mort opiacée, passant par-dessus les cadavres, des plus communs aux plus immondes, Nicolas va apprendre. Avec réticence, dégoût, fascination ou stupéfaction. Que les héros de la sécurité en sont aussi les victimes. Il va lui aussi connaitre les nuits blanches d’avoir entendu se répéter l’explosion cristalline : le signe qu’une barrière s’est brisée en lui et qu’il ne pourra jamais revenir en arrière. Il va se noyer d’illusions puis se perdre, tabasser et prendre des coups, boire jusqu’à la lie et se purger de tous ses vices avant de déserter. Il saura à la fin de l’histoire que le métier de flic peut aussi rendre fou." Marc qui écrit : " Ce livre est mon dernier acte de police, le compte rendu de la moitié d’une vie dédiée à la sécurité quotidienne. (...) Il est la preuve que je n’ai pas déserté." Et on le croit volontiers.

Aprés avoir refermé "Métier de chien", on a comme un sale goût dans la bouche. De ce voyage-là, on n’en revient pas intact. Hélas, en ces temps où il ne fait pas bon être du mauvais côté, Marc Louboutin n’est pas relayé par la presse nationale. A la Fnac, il faut chercher son bouquin et il est peu probable que l’auteur soit invité dans une émission à une heure de grande écoute. Guy Birenbaum, son éditeur, s’est fait virer des éditions Privé quatre jours après l’élection présidentielle. Hasard, coïncidence, peu importe ! En revanche, ce qu’il est important de souligner, c’est ce que le mot "sécurité" finit par générer : "la supression de la liberté de parole". En clair : la censure. Alors, relayons l’info : blogs, sites, amis, relations, et faisons en sorte que ce livre vive dans tous les sens du terme car c’est un ouvrage courageux et les hommes de combat doivent pouvoir se faire entendre par tous. N’était-ce pas ce que disait Voltaire à Rousseau : "Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour que vous puissiez continuer à le dire."

Si vous n’êtes toujours pas convaincu, lisez ce qui suit et qui donne un éclairage de l’intérieur : c’est André Guéguen, brigadier chef à la retraite, qui écrit à Marc Louboutin.

"J’ai lu ton livre d’une traite, sentant grandir au fil de la lecture un malaise qui n’a pas encore complètement disparu, causé certainement moins par le contenu que par le fait que je découvrais que tous ceux qui ont vécu des expériences similaires les gardaient par devers eux, sans en parler à quiconque, accumulant ainsi la souffrance. Tout cela m’est revenu, mes propres erreurs, mes excès, la descente aux enfers, ces franchissements continuels de légalité, la violence et cette espèce de folie qui nous place entre d’un côté les impératifs de tranquillité administrative de nos patrons et le besoin d’action né du désir de servir, de tout simplement faire ce pour quoi l’on estime être payé, par nos concitoyens et pour eux. Tout cela avec la compassion, l’amour de ceux qui souffrent, la haine quelquefois des auteurs d’infraction(s) et ce besoin inexplicable de "fun" : La chasse, l’adrénaline, la peur, la "gagne"...
Je n’avais pas vomi de bile depuis mon départ à la retraite, que j’ai pris comme une fuite, c’est fait depuis que ton livre a fait remonter mes propres souvenirs, mes regrets, mes désillusions, mes souffrances et mes combats perdus d’avance contre une hiérarchie souvent incompétente et malhonnête dont je n’aurais jamais imaginé qu’elle puisse "bidonner" un dossier pour me faire tomber, sans doute lasse d’attendre que je trébuche tout seul.
Pour avoir vécu des situations similaires, je sais que tout ce que contient ton livre est vrai, qu’on pourrait même en rajouter à l’envie, que beaucoup de flics vont s’y reconnaitre , j’espère se sentir moins seuls et moins sales et se dire l’inverse de ce que je me suis dit en partant : que ma vie professionnelle n’avait servi à rien ni personne et que tout cela avait été vain, que nos enfants vivraient dans un monde encore plus dégueulasse que celui dans lequel nous étions nés.
Reste le dégoût, des politiques, des institutions, des gens qui agissent au nom de la légalité ou de la République avec toute la latitude permise à ceux qui n’ont jamais à rendre compte à titre personnel de leurs décisions.
Tout le contraire des flics de base. Ceux qui travaillent dans la rue. Ceux qui font au quotidien un "Métier de chien"..."

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"Métier de chien, lettres à Nicolas" paru aux éditions Privé

Le blog de Marc Louboutin consacré à son livre : http://metierdechien.blog.20minutes.fr


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10 réactions à cet article    


  • Sandro Ferretti SANDRO 1er juin 2007 12:32

    N’exagérons rien. Pour tous ceux qui sont à la fois de la « maison » et amoureux des belles lettres ( ca existe), Hugues PAGAN reste le must,deux pointures au dessus, le seul à pouvoir nous faire -parfois- oublier Manchette.

    Certes, il a souvent des références (littéraires et parfois méme littérales) à Céline ( phrases entières piquées au « Voyage »), mais ca ne nuit pas, quand ca vient de chez les grands.

    Noirceur, style, réalisme, Pagan est un grand (Guériff ne s’y est pas trompé, il est édité chez « Rivages Noir »). Pour ceux qui ne connaissent pas, débuter par « la mort dans une voiture solitaire » et « dernière station avant l’autoroute ». C’est à ma connaissance la meilleure description de « l’usine », de l’homme, de ce qu’il vaut. De petites bibles paiennes, de vrais voyages au bout de la nuit.


    • marc louboutin marc louboutin 3 juin 2007 10:52

      Bonjour, Réponses en vrac. Tout d’abord il n’y a pas de concurrence avec Hugues Pagan (Yves de son vrai prénom). j’apprécie à la fois l’homme (j’ai travaillé avec lui la nuit à l’ex 4ème DPJ il y a une vingtaine d’années) et l’écriture. Je ne fais pas (et je n’ai jamais fait) d’extras dans la sécurité. Certaines de ces pratiques sont racontées dans ce livre. Il suffit de le lire smiley C’est sans doute comme cela pour tout. Avant de parler (et de critiquer assez bêtement) de la police ou de ce bouquin, il faut (un peu) se donner le mal de savoir de quoi l’on discute. C’est justement ce pourquoi j’ai écrit « Métier de Chien ». Merci Frankie de cet article ici, je te remercie du fond du coeur.


    • tvargentine.com lerma 1er juin 2007 13:29

      Vous avez oublié les paragraphes qui ne semblent pas exister dans la carrière de ce fonctionnaire de police.

      Les extras dans les boites de sécurités privées (emploi dissimulé et fraude fiscale) non déclaré bien sur !

      Maintenant il cumule sa retraite de fonctionnaire et il fait des extras dans le journalisme ?

      Un exemple à suivre ?


      • Frankie Frankie 1er juin 2007 15:13

        Bonjour, Un exemple à suivre ? Oui Marc Louboutin en est un parce qu’il a écrit, avec ses tripes, un livre honnête et courageux ! Et c’est justement pour en finir avec les amalgames, les idées toutes faites et ce genre d’à-priori qu’il faut lire ce livre. En ces temps ambigüs et hypocrites où beaucoup parlent à tort et à travers de ce qu’ils connaissent peu ou pas, alors que d’autres savent mais se taisent par lâcheté, par peur ou pour préserver leurs intérêts personnels, ce livre a au moins le mérite d’éclairer de l’intérieur le malaise de cette profession. Le parcours de Marc Louboutin, vous pouvez le découvrir sur son blog, et vous verrez que l’emploi dissimulé et la fraude fiscale n’y figurent pas.


      • TSS 1er juin 2007 14:25

        « dernière station avant l’autoroute » est un un titre qui a été piqué à une chanson de H F Thièfaine !


        • Sandro Ferretti SANDRO 1er juin 2007 15:54

          Tout à fait exact. C’est pas joli, joli, mais cela prouve au mions que Pagan a du gout , en particulier pour « les dingues et les paumés », et voyage sur Nictalopus Airlines....


        • ExSam 2 juin 2007 21:56

          En parlant de difficultés de distribution, on peut signaler les plus grandes difficultés.

          Dernièrement, les petits éditeurs étranglés par la Poste qui a augmenté ses tarifs privatisation/profit obligeant, se sont vus contraints de faire une petition.

          Pétition qui a obtenu des milliers de signatures, de tout ceux qui aiment les livres, de préférences libres et bons.

          Car le monde des petits éditeurs dépérit, disparaît au rythme du cours de la concentration médiatique.

          Aux dernières nouvelles, les Editions du Temps qu’il Fait, éditions de qualité constante, loin des modes, toujours au plus près de l’écrit restituant l’humain avec style, sont en grand péril.

          Ils ont lancé une souscription.

          Il n’est pas interdit d’y penser et des les aider.

          Le Net c’est l’info qui vient, qui donne le dernier « la » du monde et permet de saisir l’évolution dernière. Les livres, c’est notre capital durable pour comprendre en profondeur l’homme, pour saisir ses sensibilités les plus intimes, pour analyser le long terme de nos incessantes évolutions sociales.

          Il faut lire et acheter des livres, si possible.


          • Phileas Phileas 4 juin 2007 07:42

            Salut Frankie

            Sur Télérama pour indicer la satisfaction des critiques, il y a le personnage d’Ulysse qui témoigne de son engouement en réagissant avec plus ou moins d’enthousiasme aux différentes lectures, écoutes musicales et visionnages filmiques. L’ancêtre du smiley en quelque sorte. Et bien moi là je dis Youpi de savoir que d’autres que moi vont enfin partager les joies de ta belle écriture.

            Quand à ton ami Marc qui publie chez Guy Birenbaum, ta critique donne envie de le lire.

            Grosses Bises et bienvenue


            • hibernatus hibernatus 4 juin 2007 16:09

              Bonjour et merci pour cet article Ce livre est dur à trouver à la fnac ? he bien je vais le commander en ligne ce sera plus simple smiley

              Je vous propose aussi cette interview d’un autre ancien policier reconverti dans l’éducation nationale lui :

              http://regardeavue.com/index.php/2006/05/21/10-sans-casque-ni-bouclier-temoignage-d

              J’ai trouvé ce témoignage assez émouvant. Merci encore donc et bon courage avec le fiel qui risque à n’en point douter de se déverser incessamment sous peu sur ce fil Bien à vous

              Hiber


              • Frankie Frankie 4 juin 2007 16:27

                Merci pour vos encouragements Hiber (merci pour Marc Louboutin surtout) le livre n’est pas dur à trouver, il faut juste bien le chercher smileymais ça vaut la peine !

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