Un front populiste en 2022, pourquoi pas ?
Une longue tribune déjà présente sur mon blog, inspirée par le projet de Michel Onfray.

Introduction : le camp national et ses maladies internes
Le camp national – une galaxie beaucoup plus large que le RN, du reste – ne se porte pas bien du tout.
Il y a bien sûr, pour expliquer la maladie, les raisons que tout un chacun pourrait alléguer, et qui se ramènent à une cause unique, à savoir : la force considérable de ce qu’on nomme le Système, c’est-à-dire le mondialisme autodestructeur des peuples européens, particulièrement en France, qui semble, et de loin, le pays le plus suicidaire.
Mais la vraie cause de la maladie ne se situe pas à l’extérieur. Les forces systémiques ne sauraient à elles seules expliquer la faillite perpétuelle des idées souverainistes, patriotiques ou nationalistes, appelons-les comme on voudra. Un tsunami, par exemple, n’explique pas la destruction d’un village. La vraie cause vient du fait qu’on a un jour décidé de bâtir un village au bord de la mer plutôt qu’au sommet des falaises ou bien à l’intérieur des terres. En d’autres termes, la véritable cause de la faillite se situe à l’intérieur, au plus intime, au plus profond du camp national lui-même, dans la pensée de ses cadres et de ses militants, également de ses sympathisants.
Cette cause a un nom : le décadentisme, et toutes les idéologies funestes qui s’y rattachent, le conspirationnisme, l’obscurantisme, le puritanisme, le moralisme, l’intégrisme chrétien, bien plus dangereux qu’on ne le soupçonne, les nostalgies réactionnaires, la haine des sciences et de la philosophie, l’incapacité à valider certains progrès sociétaux, le médiévalisme, le monarchisme, l’absolutisme, bref : une culture de mort, travestie, par quelques tours de passe-passe langagiers, en « culture de vie » – comme si la volonté de refaire le Moyen-Âge, l’Ancien Régime ou l’Inquisition, une entreprise perdue d’avance, était autre chose que la pire des cultures de mort, une culture de mort bien plus dangereuse en définitive que la culture de mort habituellement imputée au Système.
I — Le culte des Morts déguisé en culture de Vie
Je suis moi-même catholique, mais un catholique raisonnable et moderne.
Mais, lorsque j’entends des prêtres intégristes, ou des laïcs fanatisés, dénier au malade en fin de vie – qui le demande explicitement – le droit d’abréger un peu ses souffrances par une euthanasie concertée plutôt qu’un lamentable supplice, lorsque je les entends aussi, moralistes ennuyeux, nous raconter que la France serait envahies de « pervers » et de « dépravés » ne pensant qu’au sexe et plus dangereux que les dealers, lorsque je les écoute hurler contre l’avortement, même pour une fille qui vient de se faire violer, ou dont le bébé à naître est manifestement monstrueux, lorsque je les observe en train de s’extasier sur les crimes de l’Inquisition au motif que la torture et les bûchers sont d’excellents moyens pour le maintien de l’ordre, lorsque je les vois vomir sur René Descartes ou Jean-Jacques Rousseau réduits à des possédés du diable, sous prétexte que ces grands penseurs sont nés après saint Thomas d’Aquin, lorsque je constate, par ailleurs, leur absence totale de sensibilité écologique sur une planète pourtant déjà bien dévastée, sans compter leur absence de sensibilité sociale, puisque beaucoup d’entre eux sont des bourgeois hypocrites qui nous ramènent la charité chrétienne à chaque phrase et ne l’appliquent jamais qu’en fantasme, lorsque je constate que certains, même, estiment que négationnisme et révisionnisme, voire complaisance aux camps nazis, sont les conditions doctrinales sine qua non du salut temporel et spirituel de la France, bref, lorsque je m’imprègne de toutes ces « informations » ridicules et abjectes qui suintent à longueur de vidéos et de pages internet sur leur sites fâcheux, je me dis que la vraie culture de mort, bien davantage que celle du Système, de M. Emmanuel Macron ou du mondialisme triomphant, la vraie culture de mort, de loin la pire, car elle se pare des beaux habits de la résistance, de la « dissidence », la vraie culture de mort, la plus hypocrite, la plus dangereuse, c’est la culture de mort de tous ces réactionnaires à triple menton qui se réclament pourtant de la Vie temporelle et éternelle.
Leur culture de mort, en réalité, ne fait que renforcer celle du Système qui, on en conviendra, présente au moins les choses sous un aspect plus riant. Il y a, chez les tenants du Système, au moins une parodie d’érotisme et de vitalisme. Il reste chez les systémiques un peu d’hédonisme, un certain goût pour les plaisirs de la vie. Il n’y a, en revanche, chez les réactionnaires, aucun vitalisme, aucun érotisme, tout au plus une hypocrisie, doublée d’un purisme et d’un puritanisme insupportables. Ils se réclament sempiternellement de l’Amour et de la Vie ; ils ne sont que haine et que mort. Leurs bouches, leurs paroles fétides dégagent l’odeur insupportable des cadavres en décomposition. C’est l’Église des catacombes en un sens strictement matériel : ça pue le macchabée.
Comme je l’écrivais d’ailleurs dans un ouvrage précédent :
Bel exemple de charité chrétienne ! On le voit : la police de la pensée n’est pas l’apanage de l’extrême gauche et des tenants du politiquement correct. Chez les francs-tireurs d’ultradroite shootés à l’eau bénite, nous avons à peu près le même genre de types. [...]
Bon nombre d’entre nous, surtout si nous avons une sensibilité conservatrice et patriotique sincère, les ont assidûment fréquentés, invités à nos tables… En la matière, les intégristes les plus enragés ont lancé sur le patriotisme français une OPA sans précédent, dont la dissidence antisystème ne se remettra pas tout de suite.[...]
Ces gens sont des boulets pour les militants qui aiment la France. Eux n’aiment pas la France, ne manifestent aucun vrai patriotisme, mais ils font bien semblant. Et c’est pour cette raison qu’ils sont, au premier abord, très agréables à fréquenter. Un petit apéro sympa – après la messe en latin – et c’est parti ! Le pervers narcissique a déjà tissé sa toile, et vous ne le savez pas encore. En réalité, vous leur servez rapidement de secrétaire et, souvent, de larbin ; ils vous contrôlent, vous utilisent pour promouvoir leur enfer intellectuel et moral, tissé d’obscurantisme, de théories du complots sans cesse renouvelées pour attirer la clientèle, d’appels à la haine contre tous ceux qui refusent leur intégrisme, d’obsessions sexuelles refoulées jusqu’à la psychose, d’insultes et de menaces à l’encontre des croyants modérés.
Bref : vous l’aurez compris, là où le Système promeut un mauvais rêve, la Dissidence cherche à nous imposer un cauchemar. À la limite, je préfère encore l’individu systémique à l’individu dissident. Comme je viens de l’écrire : il est tout de même un petit peu plus riant, même s’il s’agit d’un rire à la grimace. Le ci-devant dissident, c’est un Savonarole, un ayatollah, un inquisiteur en costume-cravate et, au final, un Robespierre en soutane.
II — La Terreur n’existe pas seulement chez Robespierre…
Le Système nous plonge indéniablement dans des océans de merde. Eux – les « résistants » – veulent nous sauver par la Terreur. Du côté systémique, la haine de soi du petit occidental névrosé qui se voudrait indigène de la République. Du côté dissident, la honte de soi du gros occidental psychotique qui renie tous les acquis de sa culture, du moins tout ce qui s’écarte un peu de la scolastique thomiste, du Concile de Trente et du catholicisme lugubre des papes du XIX° siècle.
Entre Emmanuel Macron, qui organise des soirées techno à Élysée avec des drag-queens, et tel parano sédévacantiste en soutane qui appelle à castrer les homosexuels, voyez-vous une différence ? Personnellement, je n’en vois aucune. Ce sont pile et face de la même pièce, deux aspects opposés de la même décadence. L’un s’amuse comme un satrape au lieu de travailler pour son peuple, l’autre rassemble ses troupes de fanatiques parmi lesquels, probablement, des voyous. D’un côté l’oligarchie qui nous méprise. De l’autre, la pègre réactionnaire qui veut tout noyer, tout baptiser dans le sang. À la limite, je préfère encore les amusements de M. Macron ; c’est tout de même plus coloré, moins sinistre.
Certes, je n’ai rien contre le port de la soutane, et je ne supporte pas les athées militants qui agressent injustement les prêtres et leurs paroissiens. Mais on ne me fera jamais écrire qu’il faut balancer les drag-queens en camp de concentration et je combattrai toujours ceux qui fantasment sur ces atrocités. Je suis un catholique moderne, libéral-conservateur sur les questions sociétales, un tant soit peu socialiste et marxiste sur les questions économiques, en tout état de cause : pas réactionnaire pour deux sous. N’en déplaise à la racaille intégriste laïque ou cléricale : je crois encore au Progrès. Je sais bien que le Progrès n’est qu’une valeur temporelle, qu’il n’a rien en commun avec le Salut post-mortem. Mais alors, je donne un conseil d’ami à ceux qui ne s’occupent que du Salut. Puisque votre Royaume, décidément, n’est pas de ce monde, occupez-vous exclusivement du spirituel, de l’au-delà, arrêtez de nous emmerder, cessez de faire de la politique !
Et notamment – c’est là tout l’objet de cet essai : cessez votre OPA funeste et obscène sur le camp national ! La politique, avec sa logique propre, sa logique terrestre, n’a pas besoin de vous. J’ose crier, référence inattendue, comme Jean-Luc Mélenchon : Pas de religion en politique ! Et, surtout, j’ose dire, comme dans le Contrat social de Rousseau : la loi civile, fixée par les suffrages d’un peuple souverain, est au-dessus de toute injonction théocratique.
L’alliance du trône et de l’autel, qui, d’ailleurs, n’a jamais vraiment existé, est une forme d’organisation de la vie collective aujourd’hui totalement caduque. Elle ne séduit que de sombres paranoïaques qui se prennent pour des saints ou des mystiques. C’est pour cette raison qu’elle pue la mort, au moins autant, sinon plus, que l’hyper-démocratie mondialiste actuelle.
Une grande femme de Lettres, une vraie, Mme Margaret Atwood, avait bien tout compris, tout analysé, dans la Servante écarlate. À trop vouloir rompre avec une société malade de trop de droits, nous risquons de nous jeter à corps perdus dans la sinistre République de Gilead. Les païens grecs, plus sages que nous, disaient : tomber de Charybde en Scylla. En clair, s’il nous faut troquer les vampires du Système contre les zombis de la Dissidence, c’est un marché de dupe. Et, de ce point de vue, les masses, même aveugles, ne s’y trompent pas. Elle préféreront toujours les vampires habituels, qu’elles connaissent un peu, à des zombis équarrisseurs qu’elles ne connaissent point, mais dont elles devinent assez bien les pulsions. Ce qui se traduit alors par le fameux plafond de verre des nationalistes.
Réactionnaires et nationalistes ne sont pas du tout le même monde. Les vrais nationalistes sont de braves gens, des populistes sociaux, issus de milieux modestes, partisans d’un contrôle sérieux des flux migratoires, d’une restauration de la sécurité publique, d’un État fort sans tyrannie, et l’affaire s’arrête là. La Réaction, déguisée en « dissidence », c’est tout autre chose. C’est le regroupement de tous les dingues, tellement dingues que même un Système lui-même devenu fou n’a pas voulu d’eux. C’est la mafia des laissés-pour-compte, c’est le conglomérat des marginaux idéologiques, parfois des marginaux tout court. Malheureusement, depuis bien des années, cette mafia rackette les idées du camp national, elle tord les doctrines politiques les plus légitimes dans le sens d’une répugnante idéologie réactionnaire – qui pue la mort, répétons-le – et, de cela, ni masse, ni peuple, ni électorat ne veulent. Et ils ont bien raison.
III — Le plafond de verre, stade sénile de la Réaction
Il s’agit bien d’un racket. Les mafieux réactionnaires sont évidemment les protecteurs-prédateurs, ou plutôt les parasites du camp national. Ils multiplient les pressions sur le national-populisme pour que celui-ci adopte leurs idées d’un autre âge. En échange d’un vague soutien, d’une promesse de vote… Jolie protection ! En réalité, ils trahissent à la moindre occasion. Ils ont même toujours déjà trahi.
Le royaliste pur et dur ne connaît que l’abstention. L’intégriste catholique voit dans le suffrage populaire un péché, dans la loi civile un blasphème contre la loi de Dieu. L’homophobe obsessionnel veut éradiquer les cadres et les militants gays patriotes. L’antisémite ou le complotiste notoire ne veulent pas d’un État, même souverainiste, qu’ils supposent à l’avance infiltré par des francs-maçons israélites. Les hystériques de la lutte contre l’avortement et l’euthanasie récusent tout pouvoir, même nationaliste, qui envisagerait la moindre concession en la matière. Les pro-capitalistes nationaux façon De Lesquen ne désirent au fond qu’une dictature ultralibérale odieuse, pour détruire un à un tous les acquis sociaux. Les obscurantistes veulent remplacer les professeurs de philosophie, partisans des Lumières, par des historiens-maison agressifs qui substituent, à la légende dorée du XVIII° siècle, une contre-légende noire, bien plus nuisible et ridicule. Et je ne compte pas la masse des cas sociaux de la politique, tous ces QI à deux chiffres, plus ou moins violents, qui infestent les groupuscules réactionnaires et qui servent irrémédiablement de repoussoir.
Bref : de la racaille réactionnaire, il n’y a strictement rien à espérer, pas même un bulletin de vote.
Mais, en attendant, les dégâts sont considérables. Toute l’image du nationalisme est tombée par terre. Avec elle, le populisme, le souverainisme, le patriotisme, le besoin, bien légitime, de sécurité, l’indispensable souci du bien commun. Voilà pourquoi, de la création du Front national jusqu’à aujourd’hui, les braves gens qui aiment la France ont toujours été globalement considérés comme la lie du peuple, pires que les voyous des zones sensibles. Voilà où mène l’OPA de la Réaction.
Au moins, ceux qui se réclament de l’idée inverse, de la Révolution, comme au Front de Gauche, n’ont pas eu ce genre de difficultés. Le plafond de verre, c’est un problème de perception. À chaque fois que des idées s’agitent à droite ou à gauche, y compris et surtout sur la Toile, le grand public, toujours myope, ne voit que ceux qui occupent le devant de la scène sur un écran d’ordinateur : les extrémistes, au vrai sens du terme, les grandes gueules, les imbéciles, les sociopathes… Si, en outre, dans un pays qui a connu la Révolution française et 1968, ceux-là mêmes qui se démènent au premier plan du net se réclament d’un projet réactionnaire, alors, c’est la faillite assurée. La thématique du grand retour en arrière ne pourra jamais concurrencer celle des lendemains qui chantent. Une pensée fortement régressive joue le même rôle que le vinaigre pour les mouches.
Il faut reconnaître à Marine Le Pen le mérite d’avoir chassé la Réaction de ce qui constitue encore aujourd’hui le premier parti populiste de France. Mais la Réaction, chassée par la porte, très officiellement, est rentrée par les fenêtres du cyberespace et des réseaux peu sociaux, plus forte, plus hargneuse que jamais. Le pire du pire du camp national, à défaut de se retrouver au siège du parti, sévit aujourd’hui dans des groupuscules d’ultradroite, tenus par blogueurs et youtubeurs ineptes, jeunes et moins jeunes, en tout cas de plus en plus agressifs et bas de plafond. Même la vieille culture réactionnaire d’il y a un siècle en est absente. Pour dire les choses à la vérité : il n’y a plus de culture du tout. La vieille Réaction pouvait encore avoir des penseurs et des savants, partiaux sans doute, mais pas sans érudition. Aujourd’hui, tout n’est plus qu’illettrisme et voyoucratie. J’y ai même entraperçu des loubards en soutane.
Conclusion : promouvoir la joie de vivre
Mais, arrêtons les contemplations moroses ! Puisque ce court essai appelle à un renouveau du vitalisme politique, essayons d’en cerner les moyens. La politique, ça doit être un peu sexy, la chose est certaine, le but est là, sinon ça tombe à l’eau. De la vie, de l’amour, du rêve en somme… Il nous faudra donc :
– associer tous les populismes de droite et de gauche ;
– diminuer la pression fiscale contre ceux qui n’ont déjà pas grand chose ;
– éviter d’opposer salariés du privé et salariés du public ;
– rétablir la sécurité, arrêter les grands leaders de crime ;
– renouveler la magistrature et ses principes de fonctionnement ;
– faire cesser la police de la pensée par l’abrogation des lois liberticides ;
– consolider les frontières, installer un contrôle concerté des flux migratoires ;
– maintenir les acquis sociaux dans un programme proche de celui du CNR ;
– maintenir les services publics ;
– relocaliser l’économie agricole, artisanale, industrielle et de services ;
– supprimer un grand nombre de radars sur les routes et les limitations de vitesse absurdes ;
– respecter la liberté pédagogique des enseignants ;
– valoriser le christianisme sans tomber dans un cléricalisme moralisateur ;
– ne jamais opposer entre elles les trois strates de la civilisation occidentale : paganisme, christianisme, humanisme moderne, montrer leurs complémentarités ;
– valoriser l’histoire des sciences et la philosophie, y compris les grands penseurs modernes ;
– éviter, en histoire, la navrante opposition des légendes noires et des légendes dorées sur une même époque, promouvoir l’impartialité ;
– cesser de subventionner les associations communautaristes ;
– maintenir le principe d’un syndicalisme de défense du monde du travail ;
– promouvoir une écologie de bon sens contre les deux extrémismes de l’écologie punitive et de l’anti-écologisme ;
– promouvoir une vraie souveraineté populaire en procédant à des referendums nombreux sur les sujets importants ;
– unir toutes les bonnes volontés de droite et de gauche pour rompre avec la culture d’aujourd’hui qui ressemble à un libéral-stalinisme ;
– promouvoir un pragmatisme sans a priori, socialiste s’il le faut, libéral dans certain cas, étatique éventuellement, entrepreneurial le cas échéant, autoritaire parfois, souple toujours, la seule doctrine étant d’intégrer ce qui, dans toutes les doctrines, constitue la meilleure solution au cas par cas.
Être seulement de droite ou seulement de gauche sont les deux formes que l’homme choisit pour être un imbécile, les deux faces d’une même hémiplégie morale.
José Ortega y Gasset
Florian Mazé
15 mai 2020
26 réactions à cet article
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