Un iceberg dans mon whisky. Quand la technologie dérape, livre de Nicolas Chevassus-au-Louis
Voilà un livre que j'ai eu plaisir à lire.
Il conte des histoires d'aventures technologiques qui devaient changer la face du monde, qui ont été enjolivées par les médias et qui se sont terminées en queue de poisson. Elles remontent pour certaines au milieu du 20ème siècle.
Le style est aussi limpide que l'esprit de l'auteur est clair.
Chaque histoire nous porte en abordant les tenants et les aboutissants :
- la technologie, d'une manière simple et compréhensible pour tous, même quand il s'agit d'énergie nucléaire,
- la finance qui n'est pas toujours le ressort principal des décisions prises,
- la politique qui conduit à des choix qui ne sont pas objectivement raisonnables,
- et éventuellement d'autres domaines.
Ce qui m'a plu c'est qu'on lève le nez du guidon. On s'arrête et on regarde le chemin parcouru, avec parfois pour destination une impasse.
A humer l’air du temps, que sentez-vous de plus important dans les révolutions technologiques qui se préparent ? Notez-le quelque part, et promettez-moi d’y jeter un œil dans quelques décennies.
Maintenant sortez votre rétroviseur et dites-moi ce qui vous a le plus changé la vie en ce début de siècle.
- Le téléphone portable, me direz-vous. Il réduit les distances et permet de se parler de n’importe où, ou presque. C’est une prothèse communicative.
- Et internet. Il permet entre autre d’accéder à toutes sortes de communication, depuis les encyclopédies jusqu’aux réseaux sociaux en s'adaptant aux téléphones portables.
Qui les avait vu venir il y a ne serait-ce que vingt ans ?
Alors faisons un retour au milieu du siècle dernier. De quoi parlait-on ?
De l’atome. La bombe A avait frappé les iles nippones et marqué les esprits du monde.
Le livre raconte toutes les élucubrations autour de cette source d’énergie qui devait permettre, par exemple, de creuser des canaux rapidement. Elle devait façonner les décennies à venir. On voit ce qu'il advint : rien, ou presque.
Il raconte aussi la fantastique histoire de la mémoire de l’eau. Fantastique parce que tant de monde y a cru, y compris un grand journal auréolé de sérieux. Fantastique parce que les journalistes qui se sont abaissés à relayer ce délire ont fini par bénéficier de belles promotions. Et sans doute ces mêmes journalistes nous mettent-ils en garde contre les absurdités divulguées par le Net. Il n’y a pas de justice éditoriale !
Il y a aussi l’histoire de l’Aérotrain de Jean Bertin, qui était tout sauf une fumisterie. Il a englouti des millions de subventions avant de ne laisser qu’un rail rouiller dans la campagne.
Il y a, comme l'évoque le titre, le projet d'alimenter en eau les déserts arabiques en remorquant des icebergs. C'était l'époque où les sommités nous enseignaient que le climat se refroidissait. Soit dit en aparté : est-ce pour cela que les beaux discours sur le réchauffement de la planète me laissent froid ?
Ces histoires éclairent le rideau de fumée des bonimenteurs, les prévisions erronées des futurologues professionnels et les déceptions des inventeurs trahis par des puissants lobbies.
Au delà de cette dizaine d’anecdotes, c’est l’approche qui est intéressante.
Nous vivons dans une société de l’apparence et de l’instant. Elle nous infantilise et nous cache la marche de l’histoire. Elle veut nous faire ignorer les raisons et les causes des événements. Elle nous conduit à nous résigner. Elle nous fait croire que nous n’avons aucune emprise sur notre sort.
C’est sans doute pour cette raison que les politiques ont tenus à supprimer les cours d’histoire à l’école.
Ce livre nous enseigne d’une façon presque ludique que l’essentiel est d’avoir une vision globale, dans le temps et dans les dimensions multiples d’un sujet.
On n’arrête pas le progrès, dit le proverbe.
L’histoire de la technologie, elle, tient un autre discours : le progrès connaît des coups de frein et parfois de spectaculaires échecs dont les ruines hantent encore nos paysages.
Qui n’a vu le rail de béton du défunt aérotrain, entre Paris et Orléans, ou la carcasse de la raffinerie de Lavéra, censée fabriquer des « steaks de pétrole » à l’époque où ce dernier était bon marché ?
Qui n’a jamais entendu parler du glorieux projet de remorquer des icebergs jusqu’en Arabie Saoudite, des promesses de la voiture à propulsion nucléaire, des richesses des nodules de manganèse des grands fonds ou des mirages de l’énergie thermique des océans ?
Autant de sujets passionnants pour ce livre truffé d’anecdotes : de quoi nous interpeller sur le développement technologique.
L'auteur
Bernard Chevassus-au-Louis est normalien, Agrégé de sciences naturelles, Docteur en sciences (Université de Paris XI), Inspecteur général de l'agriculture (depuis 2007), membre du Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER), et notamment animateur de deux programmes de l’Agence nationale de la recherche ; sur les « Impacts des OGM » et sur « Agriculture et développement durable ».
Il est membre de l'Académie des technologies depuis 2008.
Fin 2012, Delphine Batho, ministre de l'Écologie, lui a confié la rédaction d'un premier document de préfiguration d'une « Agence de la biodiversité » en binome avec un haut fonctionnaire et scientifique, Jean-Marc Michel (ingénieur général des ponts, des eaux et des forêts, directeur général de l'aménagement et du logement, et de la nature).
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