John Pilger, 25 mars 2010
Voici des
nouvelles de la Troisième guerre mondiale. Les États-Unis ont envahi
l’Afrique. Leurs troupes sont entrées en Somalie, élargissant leur
front de guerre d’Afghanistan et Pakistan au Yémen, et à présent à la
Corne de l’Afrique. Dans les préparatifs en vue de l’attaque de l’Iran,
des missiles ont été placés dans quatre États du Golfe Persique et des
bombes « brise bunker » seraient arrivées à la base étasunienne sur
l’île britannique de Diego Garcia dans l’Océan Indien.
À Gaza, la
population malade et abandonnée, la plupart des enfants, est ensevelie
sous terre derrière des murs fournis par les États-Unis afin de
renforcer un siège criminel. En Amérique latine, l’administration Obama
a obtenu sept bases en Colombie, à partir desquelles elle mène une
guerre d’usure contre les démocraties populaires du Venezuela, de
Bolivie, d’Équateur et du Paraguay. Pendant ce temps, le secrétaire de
la « Défense, » Robert Gates, se plaint du fait que « le grand public
et la classe politique [européens] » sont tellement opposés à la guerre
qu’ils sont un « obstacle » à la paix. Souvenez-vous que nous sommes au
mois du Lièvre de mars.
Selon un général
étasunien, l’invasion et l’occupation de l’Afghanistan ne sont pas tant
une véritable guerre qu’une « guerre au discernement » (war of perception).
De cette manière, la récente « libération de la ville de Marja » du
« commandement et des structures de contrôle » Talibans était du pur
Hollywood. Marja n’est pas une ville ; il n’y avait aucun commandement
ni contrôle Taliban. Les libérateurs héroïques ont tué les habituels
civils, les plus pauvres des pauvres. Autrement, c’était simulé. Cette
guerre au discernement est destinée à fournir de fausses nouvelles aux
gens à la maison, à faire qu’une aventure coloniale ratée semble utile
et patriote, comme si The Hurt Locker [le film Démineurs]
était réel et que les parades de cercueils enveloppés du drapeau à
travers la ville de Wiltshire de Wooten Basset n’étaient pas une
manœuvre cynique de propagande.
« La guerre est
divertissante, » disaient avec l’ironie la plus glauque les casques au
Viêt-nam, voulant dire que, si une guerre se révèle n’avoir d’autre but
que de justifier la puissance rapace pour la cause de fanatismes
lucratifs tels que l’industrie de l’armement, le danger de la vérité
fait signe. Ce danger peut être illustré par la perception libérale de
Tony Blair en 1997, comme celui « qui veut créer un monde [où]
l’idéologie a complètement cédé devant les valeurs » (Hugo Young, The Guardian), comparée au menteur et criminel de guerre dans le jugement du public d’aujourd’hui.
Les États
va-t-en-guerre occidentaux, comme les États-Unis et la Grande-Bretagne,
ne sont pas menacés par les Taliban ni par quelques autres tribus
repliées en des lieux lointains, mais par l’instinct pacifique de leurs
propres citoyens. Considérez les sentences draconiennes prononcées à
Londres pour admonester de jeunes gens qui ont protesté contre
l’agression d’Israël sur Gaza en janvier de l’année dernière. À la
suite des manifestations, au cours desquelles la police paramilitaire a
parqué des milliers de gens, des délinquants primaires ont obtenu deux
ans et demi d’incarcération pour de petites infractions non passibles
de prison normalement. Des deux côtés de l’Atlantique, la contestation
sérieuse qui étale l’illégalité de la guerre est devenue un délit grave.
Le silence dans
les autres hauts lieux permet cette parodie morale. S’étant vite
éloignées des détritus de Blair et d’Obama aujourd’hui, les élites
libérales continuent à feindre leur indifférence à la barbarie et aux
objectifs des crimes des États occidentaux, en promouvant
rétrospectivement la malfaisance de leurs démons bienvenus, comme
Saddam Hussein, à travers les arts, la littérature, le journalisme et
la loi. Avec Harold Pinter disparu, essayez de compiler une liste
d’écrivains célèbres, d’artistes et d’avocats, dont les principes ne
sont pas dévorés par le « marché » ou neutralisés par leur célébrité.
Qui parmi eux a osé dénoncer l’holocauste en Irak durant près de 20 ans
de blocus et d’agression meurtrière ? Et tout cela était délibéré. Le
22 janvier 1991, avec un détail impressionnant, la US Defence Intelligence Agency
a prévu comment un blocus détruirait systématiquement le réseau
d’adduction et de distribution d’eau potable de l’Irak et entraînerait
« une incidence accrue, si ce n’est épidémique, des maladies. » C’est
pourquoi les États-Unis se sont mis à éradiquer l’eau potable dans la
population irakienne : l’une des causes, a indiqué l’Unicef, de la mort
d’un demi-million de bébés irakiens de moins de cinq ans. Mais cet
extrémisme n’a apparemment pas de nom.
Norman Mailer a
dit autrefois qu’il pensait que, dans leur quête sans fin de guerre et
de domination, les États-Unis étaient entrés dans une ère
« pré-fasciste. » Mailer semblait circonspect, comme s’il cherchait à
mettre en garde contre quelque chose qu’il n’était pas encore capable
de définir. « Fascisme » n’est pas exact, car il remémore des
précédents de paresse historiques, évoquant une fois encore
l’iconographie de la répression allemande et italienne. D’autre part,
l’autoritarisme étasunien, tel que le désignait naguère le critique
culturel Henry Giroux, est « plus nuancé, moins théâtral, plus rusé,
moins préoccupé par les modes de contrôle répressifs que par les façons
de manipuler le consentement. »
C’est
l’Américanisme, la seule idéologie prédatrice qui nie être une
idéologie. Il est sans précédent que, dans leur ascension, les
compagnies tentaculaires, qui sont en elles-mêmes des dictatures et une
armée représentant désormais un État dans l’État, installent à
Washington derrière la façade de la meilleure démocratie 35.000
lobbyistes ayant le pouvoir de soudoyer, et une culture populaire
programmée pour divertir et abrutir. Plus nuancé peut-être, mais les
résultats sont à la fois tout à fait clairs et familiers. Denis
Halliday et Hans von Sponeck, les hauts fonctionnaires des Nations
Unies en Irak pendant le blocus dirigé par les Étasuniens et les
Britanniques, ne doutent absolument pas d’avoir été témoins d’un
génocide. Ils ne voient pas de chambres à gaz. Insidieuse, non déclaré,
présentée même avec esprit comme une illumination en marche, la
Troisième guerre mondiale et ses génocides avancent, être humain après
être humain.
Dans la prochaine
campagne électorale en Grande-Bretagne, les candidats ne pourront
parler de cette guerre que pour faire l’éloge de « nos boys. » Les
candidats sont des momies politiques quasi identiques, enveloppées dans
l’Union Jack et la bannière étoilée. Comme Blair l’a démontré avec un
peu trop d’empressement, l’élite britannique aime les États-Unis parce
qu’ils leur permettent de se moquer et de bombarder des autochtones et
se qualifier elle-même de « partenaire. » Nous devons interrompre leur
amusement.
Original : www.johnpilger.com/page.asp ?partid=570
Traduction copyleft de Pétrus Lombard