Un mariage et quatre enterrements
Avertissement au lecteur. Ce billet tente d’exprimer le ressenti d’une étrange atmosphère en cette année 2008 commençante, ainsi qu’un constat sur la démocratie et quatre de ces piliers, qui, vacillants, seront présentés sous l’angle d’un enterrement dans un style caricatural à l’excès, le tout en relation avec ce mariage annoncé de Carla Bruni et Nicolas Sarkozy. Afin qu’il n’y ait pas de contresens, précisons que Sarkozy n’est pas responsable de la situation problématique de la démocratie. Il ne fait que surfer avec aisance sur une conjoncture vieille de deux décennies ; mais nulle réjouissance en perspective pour les citoyens français. En guise de facétie, cette photo de Sarkozy (se) contemplant (dans) la croix de Lorraine et se voyant en sauveur de la France alors qu’on pourrait l’imaginer tel un Néron jouant avec le feu à son insu.
L’info fut diffusée au compte-gouttes. Par on ne sait quelle facétieuse fuite de la plomberie médiatique, le JDD croit savoir que Nicolas Sarkozy et Carla Bruni devraient se marier le 9 février prochain. Qui a organisé les fuites ? Il paraîtrait que la mère de Carla serait à l’origine de la révélation. Un 6 janvier, le jour de l’épiphanie, fut annoncé le prochain mariage de Nicolas et Carla. C’est un sacré événement, plus puissant que la présentation de l’enfant Jésus et bientôt, ce couple légendaire sera plus connu que les Beatles qui eux, étaient plus connus que Jésus. De quoi faire oublier l’augmentation du prix de la galette des rois et la baisse du pouvoir d’achat chez les Français moyens.
Un mariage ? Trois ! Car c’est son troisième mariage à Sarkozy (loin derrière Eddy Barclay). Le premier en 1982 après l’élection de Mitterrand, le second en 1996 après l’élection de Chirac, le troisième en 2008 après sa propre élection ; mais le passé étant oublié seul compte le présent. Quand on veut participer au protocole des grands de ce monde avec sa dame de cœur, il faut aussi que cette dame soit de loi et donc, officiellement mariée, sinon c’est niet surtout en Arabie ou en Inde. Rien que du détail, du fignolage qui ne nous autorise aucunement à mettre en doute les sentiments de ce couple inattendu. Dont on s’amuse ! Ce côté adolescent du jeune premier qui présente sa promise à ses parents, enfin disons, à ses ministres, puis à la France entière quand Sarkozy se sera exprimé. Il y a quelque chose d’innocent dans cette romance et qui sait si un jour on ne lira pas la lettre d’amour de Nicolas à Carla (ou l’inverse plus sûrement), comme on impose de nos jours la lettre de Guy Môquet aux collégiens. Pour sûr, ces deux-là ne vont enterrer ni leur vie de garçon ni leur vie de jeune fille mais que va-t-on enterrer au juste ? Les Grolandais sont à l’affût de quelque parodie alors que les chansonniers se préparent à quelque moquerie. Et ici, une évocation de quatre piliers de la démocratie.
Acte I : les médias. Pour commencer, enterrons les médias un moment. Il sera décrété un deuil médiatique pendant un mois, jusqu’à la date du 9 février. Pendant cette période, on ne parlera pas des SDF, du prix du pétrole, des difficultés que rencontrent les Français, des couacs dans les réformes, de la législation sur le temps de travail. Le mariage du millénaire sera régulièrement commenté et comme à l’approche de Noël, il y aura un calendrier de l’avent. Oui, ce morceau de carton où chaque jour, on déchire le papier pour dévoiler une image ou une friandise, et faire patienter les mômes en faisant monter la tension jusqu’au 24 décembre, quand le sapin et les cadeaux illumineront des millions de regards innocents. Chaque jour, avant le 9 février, la presse supputera sur le lieu des épousailles présidentielles, les témoins, les invités, le menu. On appellera cela le calendrier de l’après, parce que c’est la France d’après ; et que contrairement aux journées de l’avent, les grands enfants que nous sommes sont pressés d’en finir avec cette mise en scène.
Acte II : l’opposition. Après avoir débauché quelques personnalités de la gauche, dont Bernard Kouchner en bonne forme et belle frime, caracolant dans les sondages, fier de sa popularité mais pitoyable au final car s’il est si populaire, c’est qu’il n’a rien fait dans ce gouvernement et s’est contenté de jouer les piliers de boîte dans cette mise en scène d’un perpétuel Saturday Night avec Sarkozy en John Travolta du discours et disco politicien. Sarkozy va se marier avec une ancienne égérie de la gauche dixit le JDD. Oui et alors ? Schwarzy, le gouverneur républicain de la Californie, est bien marié avec Maria Schriver, une démocrate du clan Kennedy. Mais c’est sûr, ce mariage accompagne élégamment l’enterrement de la gauche et d’un certain PS qui un soir après Louxor, et quelques cris agonisants contre Bolloré, puis les vœux présidentiels, ne donna plus signe de vie politique, excepté quelques fantômes venus hanter les médias d’une mortitude bravitude. Il reste heureusement Fabius, bien en forme sur la 5, et comme par « hasard », l’homme qui a dit non au TCE un soir d’automne 2004.
Acte III : les ministres. Le gouvernement est mort et la vie démocratique qui l’accompagnait jusqu’alors. Il est remplacé par une équipe de responsables de secteurs dont le chiffre d’affaires politique sera évalué par un conseil de surveillance et ses audits experts. Les entreprises ont leurs segments d’activité, les ministres leurs domaines de service public avec des critères de réussite mesurables. On se demande bien alors à quoi vont servir les questions parlementaires qui, par les temps d’avant, marquaient de quelques saillies percutantes la vie politique. La démocratie va devenir d’un mortel ennui. Ce n’est pas la couronne des rois qu’il nous faut mais une couronne funéraire, pour chaque mardi et mercredi après-midi, à 15 heures pétantes, décorer notre poste de télévision. Mais tel un phénix ayant organisé les cendres de la République, Sarkozy renaîtra sous les caméras et répondra aux questions des journalistes qui, soyons-en sûrs, sont diablement plus compétents pour les questions de société, que nos parlementaires devenus paillementaires, autrement dit, les hommes de paille de la démocratie.
Acte IV : la morale. Les valeurs sont mortes. En ce jour d’épiphanie, Benoît XVI rappelle à l’intention du monde qu’il n’est ni raisonnable, ni moral, ni acceptable, que quelques-uns, minoritaires sur cette planète, se complaisent dans un luxe arrogant, alors que des milliards d’individus peinent à exister et à subvenir aux besoins élémentaires de leur famille. En ce même jour, on apprend (fausse-vraie info ?) que notre Président a offert à sa promise un bijou griffé Victoire de Castellane, hyper luxe de chez Dior, et en retour, a reçu une montre suisse Philippe Patek, jouet de luxe coûtant au minimum 10 000 euros, auprès duquel une Rolex fait figure de Swatch. Cela ne nous regarde pas. Mais que Sarkozy ne nous donne pas de leçon de morale sur le matérialisme qui corrompt les sociétés et éloigne les individus des biens moraux et spirituels. Cette arrogance ne va pas forcément de pair avec la confiance des Français mais je ne commenterai pas cette non-information sur la baisse de popularité du Président, dont le seul intérêt est de faire causer des gens, payés pour le faire, sur la vie politique, quitte à éloigner les gens des problèmes plus essentiels. Mais paraphrasant Nietzsche, on dira que les médias sont morts et que ce sont les journalistes qui les ont tués ! Et Sarkozy et Carla, « Hérodés » par un voyage en Egypte, de convoler en orgies fastueuses alors que Marysa Bruni, en Salomé de passage, se paya la tête des médias, exécutant telle une diva éprise de son destin de paillettes, une danse face à des médias médusés. Les valeurs sont mortes, qu’on se le dise !
A travers ce mariage, nous voyons symbolisé l’enterrement de quatre piliers fondamentaux de la vie citoyenne, de la démocratie. Un événement anodin traduisant, à l’instar de Mai 68, des évolutions de la société. D’abord, un effritement de l’opposition décapitée, ensuite, la mise au pas de la gouvernance sous la coupe d’un comité d’évaluation, le tout sur fond de délitement du débat public, tandis qu’on ne voit plus qu’une star présidentielle dans les médias. Puis la mise au rancart des valeurs et pourtant, Ortega y Gasset ne dirait pas le contraire, une démocratie a grandement besoin d’exigences morales. Enfin, point souligné en premier, le naufrage des médias dans cette affaire qui précède et suit d’autres événements.
Le 9 février 2008, la mariée sera en blanc, alors faisons que les écrans de télé soient en noir !
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