Un monde sans héros ni salauds
Alors que Hollywood, traditionnellement démocrate mais toujours soucieuse de ne pas heurter le patriotisme des spectateurs américains, continue d’entretenir une relation ambiguë entre star-system et politique, entre nuit des Oscars et élection présidentielle, il semblerait que de plus en plus de réalisateurs sortent des rangs de l’industrie du cinéma pour réaliser leurs œuvres comme ils l’entendent.

Plusieurs films aux dénominateurs communs, La Guerre en Irak et Le Retour au pays après les combats, vont débarquer sur nos écrans. Si certains de ces films n’amèneront pas grand-chose sur le plan de la réflexion politique quant à l’ingérence des Etats-Unis en Irak et les conséquences de celle-ci, d’autres en revanche sont à souligner de par les intentions claires et cette fois-ci sans ambiguïté de leurs auteurs. Pour ceux-là, le temps des caricatures et des leçons d’héroïsme est révolu, reléguant définitivement l’époque où un Rambo gagnait à lui tout seul les guerres perdues sur le terrain, lui préférant un monde sans leurres.
Deux films sont à retenir : Dans la vallée d’Elah de Paul Haggis et Redacted
de
Brian de Palma, car ils en sont le parfait exemple. Ces deux
réalisateurs ont pris l’habitude d’aller glaner sur le web les infos
que les médias traditionnels occultent. « Cherchez sur YouTube "soldats morts en Irak", "viol", "meurtre" et vous trouverez
tout... », explique Brian de Palma qui, dans Redacted,
retrace sous forme éclatée, fragmentaire, à travers différents formats
numériques (téléphone portable, caméras de vidéo-surveillance...)
l’histoire vraie d’une Irakienne de 15 ans violée par des soldats
américains puis assassinée... Soulignons
juste que le docu-fiction au vitriol de Brian de Palma a bénéficié de
l’argent venu de structures indépendantes et ne voit défiler aucune star à son générique.
Paul Haggis, lui, a commencé à travailler sur le projet de la Vallée d’Elah en 2003 à l’époque où, Bush bénéficiant de 80% d’opinions favorables, on disait que remettre en question la guerre relevait de l’antipatriotisme et revenait à être du côté des terroristes. Imposant clairement son programme par le fameux : « Soit vous êtes avec nous, soit vous êtes contre nous ! », la part belle était faite aux patriotes exacerbés par de vieilles rancœurs et aux fous de guerre excités par des discours enflammés, muselant au passage « l’opposition peureuse ». « Hollywood était terrifié » raconte Haggis « personne n’avait envie d’être considéré comme un traître. Et puis un certain nombre de réalisateurs se sont interrogés : Qui est-il pour nous dire ce qu’on doit penser ? Pour désigner les bons et les méchants ? »
On se souvient des premiers artistes à avoir essuyer la colère, voire la haine, de leurs concitoyens : un Sean Penn black-listé, une Susan Sarandon menacée, tous deux en raison de leurs prises de position contre la guerre en Irak et du discours non moins engagé de Tim Robbins, le 15 avril 2003, lors d’un déjeuner donné au National Press Club de Washington, intitulé « On peut arrêter un petit tyran ».
Il faudra quatre ans et l’appui d’un Clint Eastwood pour que Paul Haggis puisse mener à bien son projet avec un financement monté principalement sur des capitaux étrangers. La trame de son scénario est simple, sa réalisation modeste, il n’y a ni effets spéciaux, ni attentats spectaculaires, et aucun discours outrancier. Haggis s’est juste attaché, de façon lancinante et oppressante, à suivre un vétéran du Viêtnam, Hank Deerfield, incarné par un Tommy Lee Jones (d’une sobriété bouleversante), dans une enquête douloureuse pour élucider la mort de son fils tout juste revenu d’Irak. Au travers de la puissance hallucinatoire d’images retrouvées sur le téléphone portable du fis de Hank, c’est tout le fiasco de la guerre qui ébranle notre vétéran. Haggis s’est appuyé sur un phénomène que nul gouvernement ne peut contrôler : les images que les soldats tournent sur le front et diffusent ensuite sur l’internet et qui constituent aujourd’hui les seules images vraies de la guerre. Une guerre dans ce qu’elle a de plus tragique et de plus sale, qui peut amener, de façon circonstancielle, des héros à devenir des salauds. Une guerre qui n’est qu’un monstre enfantant des monstres et qu’aucun patriotisme aveugle ne peut cautionner.
Et si Haggis a pris un titre qui fait référence au combat inégal que livra David contre Goliath, il faut peut-être y voir, au-delà de la symbolique, le signe d’un désaveu, voire d’un rejet de cette
trop grande fierté américaine qui aura amené la majorité de ce peuple à
appuyer une politique basée sur la terreur et le mensonge. Une
trop grande fierté que Haggis, au travers de son film, désigne comme un
défaut majeur, voire un péché d’orgueil, et qui valut à Goliath de
perdre la tête.
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