Qu’y a-t-il, en effet, de plus intelligent que l’ironie ? Là où l’indignation avec ses cris ne peut aller, parce ce que l’indignité qui la provoque est si inouïe qu’elle reste hors d’atteinte des criailleries, l’ironie, elle, l’investit de l’intérieur à son insu en feignant d’acquiescer et la dynamite par le sourire, fût-il jaune ou grinçant. L’ironie est, en effet, le procédé qui permet de dire le contraire de ce qu’on pense en le laissant deviner par des indices plus ou moins perceptibles, comme une contradiction par exemple.
Stéphane Guillon, une fois n’est pas coutume, a prétendu, lundi matin, se faire critique de théâtre (2) . Il tenait à parler d’une pièce inédite de boulevard qui se donnerait en ce moment à Paris, intitulée « Panique à l’Élysée ». L’action en est toute simple même si les gags font dans l’outrance selon la loi du genre : l’histoire se passe dans un pays en crise économique où le peuple est appelé à des sacrifices tandis que les ministres se gobergent avec cynisme.
Un pastiche de « Ruy Blas » ?
Toute ressemblance avec la vie politique française contemporaine ne serait, selon la formule, que le fait du hasard. Serait-ce un pastiche de la tragédie de Victor Hugo « Ruy Blas » ? On songe à cette sortie où le héros qui donne son nom à la pièce, invective les ministres qu’il surprend dans leurs conciliabules : « Bon appétit ! Messieurs ! Ô ministres intègres ! / Conseillers vertueux ! Voilà votre façon / De servir, serviteurs qui pillez la maison ! / Donc vous n’avez pas honte et vous choisissez l’heure, / L’heure sombre ou l’Espagne agonisante pleure ! Donc vous n’avez ici pas d’autres intérêts / Que d’emplir votre poche et vous enfuir après. » (3)
Des scènes vaudevillesques de la vie politique française
Non, à l’énumération des récentes frasques des ministres français en exercice, malgré le rire forcé de l’humoriste, on rectifie aussitôt le contexte. On n’est pas dans un vaudeville comme annoncé, mais bien dans la sérieuse réalité crue de la vie politique française. M. Blanc, secrétaire d’État se fait payer par le contribuable 12.000 euros de cigares et quand il apprend que le Canard Enchaîné va en parler, il en rembourse 3.000. M. Joyandet, Secrétaire d’État à la Coopération et à la Francophonie, claque 116.500 euros de jet privé pour aller aux Antillles animer une conférence sur la recontruction d’Haïti et truque un permis de construire pour agrandir sa villa dans un site protégé. Mme Boutin, connue pour ses convictions religieuses rigoristes, se voit offrir 9.500 euros mensuels pour une mission sur les effets sociaux de la mondialisation. Le ministre de l’intérieur « fait des vannes racistes hyper-lourdingues ». La secrétaire d’État à la ville loge sa famille dans son appartement de fonction. Enfin les ministres font le contraire de ce pour quoi ils ont été nommés.
L’ironie sur l’ironie
Le raffinement de cette chronique de Stéphane Guillon est alors de faire de l’ironie sur sa propre critique ironique, comme deux poupées gigognes s’emboîtent l’une dans l’autre. Le prétendu vaudeville cesse bientôt d’en être un non parce qu’il s’agit de scènes de la vie politique française, mais parce que, selon l’humoriste, les gags deviennent invraisemblables. L’exemple qui, dit-il, l’a fait « décrocher » pendant le spectacle, c’est l’histoire de cet ancien ministre du budget, chargé en principe de combattre la fraude fiscale, dont l’ épouse pendant ce temps-là travaillait pour une milliardaire soupçonnée d’évasion fiscale. « Même un vaudeville, proteste-t-il, il faut que ça reste plausible ».
Et l’auditeur de traduire ce que Boileau avait déjà perçu : « Le vrai peut quelquefois n’être pas vraisemblable ». La réalité dépasse la fiction, renchérit une expression courante. Il arrive, en effet, que l’indécence d’un certain personnel politique soit telle que même l’outrance du vaudeville est outrepassée. Il faut dire que la pièce se passe en plus pendant une certaine Coupe du monde de football où l’équipe nationale par sa prétention, son cynisme et sa nullité est vue comme une « allégorie du gouvernement ».
C’est alors qu’est assénée la dernière pointe ironique : le critique voit en fait dans cette « pièce très noire » ni plus ni moins qu’ « une tragédie ». L’ambiguïté du mot permet enfin à l’humoriste et à son auditeur de se rejoindre et de s’entendre car le sens théâtral et le sens existentiel du mot « tragédie » s’appellent pour exprimer ensemble le même malheur des hommes.
On aimerait que Stéphane Guillon reste surfer à l’avenir sur ces cimes de l’esprit. Mais il a annoncé, ce matin, sa probable éviction de France Inter à la rentrée. Il l’a apprise élégamment par un magazine à qui son patron, Philippe Val, a choisi de se confier en priorité, en bon ancien humoriste qu’il est. Paul Villach
(1) Paul Villach, « DSK « dynamité » par Stéphane Guillon sur France Inter, « façon puzzle » : méchanceté ou critique légitime ? », AgoraVox, 23 fvrier 2009.
(3) Victor Hugo, « Ruy Blas », scène 2, acte III