Un pays comme on n’en fait plus
Lequel ? - Mais le nôtre ! - Mais pourquoi ? – Enfin, réveillez-vous, regardez, écoutez, lisez ! - Et vous voyez quoi ? - Vous, le visionnaire.
Je doute que ça vous intéresse, tellement vous êtes occupés à mieux faire. Mais enfin, essayons.
Les pays qui nous entourent ont accepté depuis longtemps la théorie de Darwin et croient à l’évolution des espèces. Ils ont assimilé l’idée que, pour survivre, il fallait s’adapter au monde qui change, ne pas être dépassés par des nouveaux arrivants qui chassent sur les mêmes terres, qui veulent acquérir des territoires dont on se croyait les maîtres. Ils savent qu’il faut vivre dans un environnement qui bouge. Des nouvelles idées, des nouvelles techniques, des nouveaux pouvoirs, des nouvelles perspectives bouleversent la tradition, les fortunes établies, les rentes viagères et de situation, les monopoles, les services publics, les emplois à vie, les emprunts d’État et pire que tout, les idées reçues.
Forts de cette évidence et animés par une volonté qui se forge dans la logique et la raison, ces peuples-là réforment leur État, remboursent leurs dettes, investissent dans le soleil, éduquent leurs enfants, innovent autant qu’ils le peuvent. Ils s’y essaient en tout cas. Certains réussissent, d’autres moins. Ils savent, en tout cas, ce qu’ils doivent faire et comment le faire. La droite comme la gauche, chez eux, ont compris qu’il n’y avait qu’un seul chemin possible et, même s’ils s’en défendent – mollement –, ils poussent dans le même sens.
La France, elle, se vautre dans une autre posture. Elle croit, adossée à une prétention bâtie sur 2000 ans d’une Histoire qu’elle pense exemplaire, unique et qui, l’ayant mise où elle s’imagine, c’est-à-dire au centre du monde, qu’elle n’a pas de raison de changer.
La France, sans le savoir, a donc opté pour le créationnisme, ce joli conte poétique, piqué dans la Bible par des échappés de Sainte-Anne. Fille aînée de l’Église, elle est un miracle de la nature, de la géographie et de l’Histoire. Une fois pour toutes réussie, la perfection lui suffit. Seuls les imparfaits, les idiots, les attardés, les insatisfaits, les esprits légers, les sans-racines, les sans-domicile fixe, les opportunistes doivent évoluer. Être opportuniste est, chez nous, une injure et la France s’en défend au point, maintenant, de regarder un certain passé avec gourmandise et envie.
Démonstration :
La France de Monsieur le président Sarkozy est donc en train de retrouver sa place dans l’Otan. Au moment où la menace russe sur l’Atlantique Nord a la magnitude que vous connaissez, il était urgent d’opérer un retour dans le passé et renouer avec une tradition de vassalisation, héritée des deux guerres. L’armée française – ou ce qu’il en reste – avait grand besoin, pour retrouver quelques moyens, de revenir dans le giron américain et son haut commandement, désespérait, sans doute, de ne plus être sous la férule d’un ancien de West Point. Le général John Craddock (si, si, c’est son nom), commandant suprême de l’Otan est le maréchal qu’il nous fallait. Fontainebleau va retrouver certainement le Shape et son lustre d’antan et les forces d’occupation occuper à nouveau le terrain. Pour preuve de son allégeance, le chef de nos armées va bientôt envoyer une brigade légère se faire décimer en Afghanistan pour renforcer le moral des GIs’ au bord de la crise des nerfs. Encore un effort et notre gendarmerie bientôt rétablira l’ordre dans les faubourgs de Bagdad.
Notre défense internationale va être le catalyseur de la victoire des forces démocratiques sur les forces du mal qui se cachent dans des vallées interdites. Notre apport va être décisif. Notre connaissance du terrain depuis Kessel, notre science de la guérilla, l’expérience de notre élite guerrière dans les guerres perdues d’avance, vont trouver là un terrain d’exercice tellement propice que notre top model président prévoit, devant le Parlement britannique enthousiaste, une victoire certaine à échéance indéterminée. Il se situait manifestement dans une perspective de guerre de trente ans voire de cent ans, mais nos amis anglais et nous en avons l’habitude.
De toute façon, un esprit décidé ne s’arrête pas à ce genre de détail. Ora pro nobis. Une fois effacé le souvenir d’une politique gaulliste aventurière et revenus à la raison d’un protecteur - tout étonné du retour de cette brebis égarée - le voyage dans le passé va pouvoir continuer sous une protection encore plus haut placée, je veux parler de la divine. La République était laïque, elle va devenir sacrée ; elle restera laïque aussi, enfin, s’il reste de la place. La religion est en effet une bien belle chose et qui n’en a pas est bien à plaindre, tel est le message présidentiel. La vie avec le RMI, le Smic serait insupportable si la transcendance, la vie rêvée des anges n’existaient pas pour calmer les impatients, faire régner l’ordre et attendre des jours meilleurs. Cela a marché du temps de la royauté. Pourquoi pas aujourd’hui dans notre République monarchique ? Les Eglises sont prêtes à reprendre du service. Elles n’attendent même que ça, elles qui ne sont bonnes qu’à ça. Avec la lune ou le paradis comme appât, politiciens et religieux parlent le même langage. On sent qu’il y a du Constantin chez Sarkozy.
Vous me direz : les choses bougent. Il est faux de prétendre qu’il n’y a pas d’évolution. D’accord, mais c’est pire car c’est une évolution à rebours. Au lieu d’avancer, on recule. Au lieu d’accompagner le flux et même d’aller un peu plus vite pour garder une liberté de manœuvre, nous, on rame à contre-courant, on essaie de remonter le torrent, à la nage. Du jamais vu, du jamais fait. Toujours cette devise imbécile : « impossible n’est pas français ».
Notre classe politique est, comme vous le savez, un grand motif de satisfaction pour ceux qui ne l’aiment pas. Elle a, en effet, beaucoup pour déplaire.
Elle se forme dans une fabrique à tout faire, selon une technologie dépassée, avec des produits de mauvaise qualité. La seule qui doit être bonne est la mémoire et la récitation de ce qui a été appris par cœur. Une fois sur le marché public, elle sévit, plastronne, discourt, vote et prétend gouverner.
Ses idées, si l’on peut dire, car en réalité elle n’en a aucune, sont empruntées aux vieilles lunes. Elles ont – dans un temps que généralement on préfère oublier tant il contient de catastrophes, de guerres ou de préparations aux précédentes – été à la mode. Elles survivent à leur mort dans les esprits fatigués, encombrés de cette élite capable de tout pour elle et de rien pour nous. Aucun échec, aucun démenti par les faits, aucune mise en examen, aucun flagrant délit de mensonge, aucun retournement de veste, aucun scrupule ne l’atteint, ne la fait réfléchir, ne peut la faire partir, retourner à son néant naturel.
Ses représentants sont à droite ou à gauche selon des choix qui doivent tout au calcul. C’est ainsi que le politicien, s’il vient d’un milieu bourgeois, aisé, riche, nanti sera plus volontiers de gauche. Il y aura le délicieux frisson de trahir les siens à qui il doit tout. Rassurez-vous, il continuera de payer l’ISF et trahira tout aussi bien ses électeurs. On ne se refait pas même quand on croit au libre-arbitre.
A droite, le parcours est le même, à l’inverse. S’il est fils de petits, de mal-logés, de mal-élevés il n’aura de cesse de prendre sa revanche, de grandir, de s’élever, de s’enrichir. Le RPR, l’UMP est fait pour lui. Une preuve que Darwin, là encore, avait raison.
Aux extrêmes, la situation a tout pour séduire les suicidaires, les amnésiques. Les uns aspirent à refaire la révolution et, s’il le faut, à faire table rase du présent, façon Khmers rouges. Leurs vis-à-vis, de l’autre côté de la barricade veulent aussi en découdre. Pour ceux-là, Deat, Daudet et d’autres sont des grands-parents tout à fait présentables dont il convient de s’inspirer. Les croix de feu sont, pour eux, des croisés très modernes.
Je pourrais continuer à gémir sur notre vision de l’avenir, notre tendance à croire qu’il sera le modèle du passé, sur notre éducation nationale, ce grand corps malade et qui pourtant refuse tous les traitements. J’arrête là car on pourrait m’accuser de noircir le tableau. Si je suis déçu c’est que : tout laissait croire que le bateau allait tailler sa route au grand large, à bonne allure, toutes voiles dehors et voilà qu’à peine amariné le capitaine – à la surprise générale et à la mer encore d’huile – est en train de faire machine arrière toute, mais les réservoirs sont à sec, le moral au plus bas et les mutins s’organisent. À la vigie, je sens tanguer la galère et ne suis pas rassuré, et vous ?
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