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Accueil du site > Tribune Libre > Un peuple qui se confie à des médiocres se suicide

Un peuple qui se confie à des médiocres se suicide

Fer de lance des Républicains parmi les plus animés d'un vif ressentiment à l'égard du régime monarchique, souvent éhontément galvaudé par celles et ceux qui ont hélas omis de se donner la peine d'en décrypter les fondements ainsi que les garde-fous pourtant mis en place par cette République qu'ils défendent parfois toutes griffes dehors, le concept d'égalité, renforcé par la très convenue anathématisation des « élites », n'a jamais constitué qu'un non-sens démocratique auquel on serait mieux inspiré de préférer une équité donnant à chaque individu la liberté de s'exprimer selon son domaine de compétence et son champ de connaissances.

Rousseau défend l'idée d'une société non pas égalitaire mais équitable
Emblématique philosophe des Lumières unanimement considéré par les Républicains convaincus comme l'un des pères spirituels de la Révolution française, Jean-Jacques Rousseau, dont le célèbre Contrat social (1762) est censé prôner l'égalitarisme le plus exacerbé et prête regrettablement le flanc à une vision erronée de la justice sociale colportée par l'enseignement scolaire, porte en réalité paradoxalement aux nues un système de gouvernement fondé sur la préséance des plus méritants. A la fin du XIXe siècle, le philosophe Jean Izoulet, docteur ès lettres et futur professeur de philosophie sociale au Collège de France, se plaît à exhumer, dans l'introduction judicieusement intitulée Le suicide des démocraties de la 2e édition de La Cité moderne et la métaphysique de la sociologie (1895), quelques passages sans ambages de cette Bible républicaine par excellence : « La volonté générale est toujours droite et tend toujours à l'utilité publique (...) Mais il ne s'ensuit pas que les délibérations du peuple aient la même rectitude. On veut toujours son bien mais on ne le voit pas toujours (...) Jamais on ne corrompt le peuple, mais souvent on le trompe. » (Contrat social, Livre II, Chapitre 3).

Et encore : « Comment une multitude aveugle, qui souvent ne sait ce qu'elle veut, parce qu'elle sait rarement ce qui lui est bon, exécuterait-elle d'elle-même une entreprise aussi grande, aussi difficile qu'un système de législation ? De lui-même le peuple veut toujours le bien, mais de lui-même il ne le voit pas toujours (...) La volonté est toujours droite, mais le jugement qui la guide n'est pas toujours éclairé. Il faut lui faire voir les objets tels qu'ils sont, quelquefois tels qu'il doivent lui paraître, lui montrer le bon chemin qu'elle cherche, le garantir de la séduction des volontés particulières, rapprocher à ses yeux les lieux et les temps, balancer l'attrait des avantages présents et sensibles par le danger des maux éloignés et cachés (...) Les particuliers voient le bien qu'ils rejettent, le public veut le bien qu'il ne voit pas. Tous ont également besoin de guides. » (Contrat social, Livre II, Chapitre 6) L'expression-clé « multitude aveugle » employée par Rousseau ne laisse guère de place à l'ambiguïté : « Est-ce donc là le mot d'un démagogue ? » s'interroge Izoulet. Si Rousseau reconnaît donc au peuple la volonté atavique du Bien Commun, il affirme que ses éléments constitutifs, pris individuellement, n'ont pas nécessairement le bagage requis pour juger des expédients les plus opportuns à employer, ni des hommes les plus aptes à les mettre en œuvre.

Une Déclaration des droits de l'Homme récusant l'idée d'une société égalitaire
Aux plus rétifs, notre docteur ès lettres oppose encore la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen de 1789, qu'il nous rappelle être « l'évangile de la Révolution » et dont l'article VI attire son attention : « Tous les citoyens (...) sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents  », avant de renchérir : « Ainsi, la Révolution le déclare expressément : les hommes diffèrent par les talents et par les vertus, c'est-à-dire par les qualités intellectuelles et par les qualités morales, c'est-à-dire par l'esprit et par le cœur ou le caractère. A cela près, ils sont égaux ! A la bonne heure. Et ceux-là seulement qui se distinguent par leurs talents et leurs vertus doivent avoir accès aux grands emplois ! Très bien ! Mais que demandé-je de plus ? Et n'est-ce pas là précisément la plus exacte et la plus parfaite définition de la hiérarchie, laquelle, selon l'étymologie, n'est autre chose que la prépondérance des purs et des saints dans la Cité. Ainsi la Révolution préconise et organise la sélection. »

Une véritable aristocratie ne s'exhibant pas dans la « presse de caniveau »
Pour Izoulet, l'un des travers dont se rendirent coupables les chantres de la Révolution française, fut précisément d'être impuissants à mettre en pratique cette sélection prônée par les philosophes du siècle des Lumières et sans laquelle tout système politique devient infailliblement instable et profondément injuste. Et de rappeler qu'en cette période troublée, « l'aristocratie fut jetée à l'échafaud ou à l'exil, au cri de à bas l'aristocratie ! Et ce cri est devenu notre devise. Il n'y a qu'un malheur, c'est que ce cri, pris ainsi tout brut, est une pure folie. Si vous voulez dire : à bas la fausse aristocratie, l'aristocratie qui n'est pas ou qui n'est plus vraiment une aristocratie ; à bas une Élite qui n'est pas vraiment l'Élite, une mensongère Élite usurpatrice du rang et de la place de l'Élite vraie, si c'est cela que vous voulez dire, à la bonne heure, vous avez raison mille fois, car il ne saurait y avoir rien de plus scandaleux à la fois et de plus funeste que des indignes mis au lieu et place des dignes, à la tête du gouvernement d'un peuple.

« Mais si vous voulez dire au contraire : à bas toute aristocratie, à bas toute Élite, à bas toute supériorité de talent et de vertu, alors vous êtes fou et sacrilège. Alors, vous blasphémez à la fois la raison et la Révolution, la philosophie politique et la Déclaration des droits qui met au sommet de l'Etat les hommes de talent et de vertu, les mieux doués d'entre tous leurs concitoyens, en un mot les meilleurs de la nation (aristoï). » Selon le futur professeur au Collège de France, qui estime que « la simple médiocrité des chefs entraîne sourdement et inéluctablement la ruine morale ou financière d'un pays » et qu' « un peuple qui se confie à des médiocres se suicide », Rousseau est en définitive un aristophile, et « la Révolution, en inaugurant la démocratie, a entendu organiser une sélection plus rigoureuse et plus intense » ; mais cette démocratie, qui pour être équitable ne devrait pas être « autre chose qu'une aristophilie aiguë », s'avère en être aujourd'hui hélas infiniment éloignée.

Une Révolution n'ayant jamais eu comme objectif le bien-être du peuple
Une estampe de 1790 dont une reproduction est donnée plus haut, vante les mérites suivants de la Révolution française : « Orgueil dompté, Avarice punie, Mérite reconnu, Union des quatre parties du monde ». Mais 200 ans plus tard, force est de reconnaître que nous vivons dans un système politique : 1. Exacerbant l'orgueil des gouvernants ; 2. Adoptant l'appât du gain comme seul mode de fonctionnement ; 3. Ecartant des rouages de l'État les plus méritants. Quant à l' « union des quatres parties du monde », s'il s'agit là de l'unique et réel dessein de la Révolution française, il est effectivement en passe d'être accompli avec la mise en place d'une gouvernance mondiale visant à asservir les peuples et dont l'idée, épaulée par l'alimentation continuelle de peurs sociale et écologique afin de mieux préparer les esprits, est lentement mais sûrement instillée...

H.B.


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7 réactions à cet article    


  • fifilafiloche fifilafiloche 12 avril 2011 16:15

    Le pays des droits de l homme a commence son expansion coloniale un peu après sa revolution. Le souvenir qu ont laissé les Francais dans leurs anciennes colonies n’avait pas grand chose d’égalitaire ni dans les institutions, ni dans les relations à « l indigène ».


    • ffi ffi 12 avril 2011 22:50

      Article très intéressant, merci.

      En fait, il me semble que l’idée de mettre les meilleurs au pouvoir est plus délicate qu’il n’y parait au premier abord.

      Chacun a tendance à se croire un peu le meilleur... Comment décide-t-on qui est le meilleur ? Le système électif n’a pas l’air de permettre d’éclairer grandement le peuple sur ce point. Y’a un bug quelque part. En fait, l’élection est une occasion formidable de corruption pour faire passer quelques intérêts particuliers pour le bien commun. Le terme de volonté générale ne désigne rien de réel dans le système actuel. Il n’y a que des volontés particulières. Mais le bien commun existe bel et bien, et celui-ci n’a rien à voir avec la somme arithmétique des volontés particulières, dénommée faussement volonté générale.

      Pour un groupe, il n’y a de volonté générale que si les membres du groupe se sont accordés à celle-ci. Si je n’ai pas donné mon accord, ma volonté particulière est frustrée. Le vote ne peut donc dégager une volonté générale, mais faire gagner certaines volontés particulières. Voter ne signifie pas s’accorder.

      Il serait intéressant de confronter Rousseau (théoricien de la révolution) à De Bonald (théoricien de la contre-révolution).

      De Bonald a un certain nombre d’axiomes politiques très intéressant (Théorie du pouvoir politique et religieux)
      -------------------------------------------------------------------------------------
      Là où toutes les volontés particulières, tous les amours particuliers, toutes les forces particulières, veulent nécessairement dominer, il est nécessaire qu’une volonté générale, un amour général, une force générale dominent ; c’est-à-dire que, pour que la société puisse se former, il faut que l’amour général des autres l’emporte sur l’amour particulier de soi.

      Voilà l’accord des intérêts opposés, voilà la société générale ou politique.
      ...
      Là où tous les hommes veulent dominer, avec des volontés égales et des forces inégales, il est nécessaire qu’un seul homme ou que tous se détruisent.
      -----------------------------------------------------------------------
      Le système actuel consiste à organiser le combat éternel pour la domination. Et ce pugilat institué comme continuel pose, à mon avis, plus de problème qu’il n’en résout eu égard au bien commun.

      Le bien commun pour le peuple, c’est de n’être pas confronté à une guerre civile continuelle pour le pouvoir, une guerre de religion politique (droite, gauche) permanente.

      Le système monarchique, du fait de sa stabilité, est bien meilleur que la République où la lutte pour le pouvoir est instituée, non pas parce que ceux au pouvoir sont meilleurs en monarchie, mais parce que c’est l’institution qui est meilleure. Le pouvoir, assuré de sa continuité, n’a qu’à s’assurer de sélectionner les meilleures compétences, sans être pollué par les stratégies visant à son maintient qui l’obligeraient à soigner toute sorte de lobbys.

      La République est le système idéal pour corrompre les élites politiques. La monarchie est beaucoup moins sensible à cela. Cela dit historiquement, les Rois de France ont été « corrompus » par l’idéologie libérale. Il a fallut, à l’époque, corrompre la science économique pour corrompre le gouvernement. Corrompre le vrai, pour corrompre le gouvernement. Louis XVI, en appelant Necker, qui tenta d’abolir le système des corporations, s’étant fait, j’imagine, beaucoup d’ennemis.

      Mais cela ne change rien. Le vrai est toujours autant corrompu aujourd’hui. Nos « élites », nos experts économiques médiatisé, étaient les meilleurs, d’un certain point de vue... On peut être le meilleur dans le faux.

      J’aime bien votre citation de Platon.


      • Mutamuta 15 avril 2011 10:22

        « Comment décide-t-on qui est le meilleur ? »

        Peut-être en ne fondant pas son opinion sur un programme dont on sait qu’il ne sera sans doute pas respecté.
        Peut-être en n’écoutant pas la musique des belles paroles et des promesses.
        Peut-être en ne se fiant pas aux sondages manipulateurs.
        ...

        Peut-être simplement en se fiant à son instinct et à sa sensibilité pour juger de la qualité des personnes qui prétendent organiser notre vie.
        Peut-être en sondant leur sincérité, leur droiture, leur enthousiasme, leur volonté et leur capacité à servir la population, ...


      • enréfléchissant 13 avril 2011 12:24

        Un peuple qui se confie se suicide. Tout court.


        • franc 14 avril 2011 16:07

          Oui il ne faut pas confondre Elite et Zélite ------------------------------------le zélite étant un faux élite ,un usurpateur ,un incompétent,un médiocre et un sophiste c’est à dire un trompeur ,un manipulateur ,tout le contraire d’un élite digne de ce nom c’est à dire un philosophe


          Donc oui,un peuple qui se confie à des zélites se suicide


          maintenant il est clair que le système démocratique issu de la révolution française qui au début était une démocratie plutôt censitaire a dégénéré en démocratisme où n’importe qui peut voter n’importe quoi et où l’ignorant équivaut au savant ,ce qui ne peut conduire qu’au nihilisme et à l’élection des zélites qui prennent le pouvoir pour exercer leur tyrannie ----------------------------c’est ce qu’avait prédit Platon disant que la démocratie aveugle aboutirait inéluctablement à la tyrannie

          Et c’est ce qui se passe actuellement dans la plupart des pays dits démocratiques occidentaux ---------------------------------une époque s’achève ,la démocratie a donné tout ce qu’elle a pu donner ,elle est aujourd’huis à bout de force ,même la force d’inertie qui continuait son chemin cahin caha après l’extinction de la force issue de l’impact originel des lumières de la Révolution française dans ce qu’il ya de meilleur s’est totalement arrêtée------------------------------les lumières sont éteintes et cèdent la place aux ténèbres qui inaugurent l’ère de l’obscurantisme d’un nouveau moyen-âge plus féroce encore avec son cortège d’épidémies et de guerres,de violences et d’exploitations ,le cycle de la Révolution française est terminé.


          Il faut donc une autre Révolution ,une nouvelle Renaissance ,et comme toujours cette nouvelle renaissance comme l’ancienne ne peut que s’inspirer que des lumières éternelles et divines de la Grèce antique du moins durant sa période la plus éblouissante pour réssusciter et déclencher à nouveau le processus du progrès ,comme l’a dit la philosophe hellèniste Simone Weil depuyis la fin de la Grèce antique ,l’humanité intellectuellement et spirituellement n’ a fait que se dégrader en une oscillation constante--------------------------------
          C’est donc encore à travers Platon que se trouve la solution de la renaissance et du réenchantemant ,Platon qui avec sa République royale est encore insurpassable et indépassable :-----------« le gouvernement le meilleur est celui où le philosphe est roi et les rois philosophes »

          Et le Roi philosophe est sélectionné à travers une éducation extrèmement rigoureuse pour être le meilleur et le plus vertueux de tous ,décrite dans la République ,plus rigoureuse encore que la sélection d’un pape 

          Et le dise de la République platonicienne est :-le Vrai ,le juste et le beau

           


          • franc 14 avril 2011 17:43

            Je re écrit la dernière phrase :

            La devise de la République platonicienne est :--------le Vrai ,le Juste et le Beau

            Ce triptyque platonicien est supérieur au triptyque républicain :Liberté ,Egalité ,Fraternité car celui -ci ne contient pas des valeurs absolues mais relatives alors que celui-là contiennent des valeurs absolues et transcendantes

            En effet les valeurs de liberté ,d’égalité et de fraternité n’a réellement de sens et de substance concrète qu’à travers les valeurs absolues du vrai ,du juste et du beau qui les transcendent


            • Leo Le Sage 17 avril 2011 20:32

              @HugoBremont (auteur)

              Si je me réfère à votre titre logiquement je vous pose la question :
              « Mais qu’entendez vous par médiocre ? Quel est la mesure de la médiocrité ? »
              Ce n’est pas plutôt : faire confiance à des personnes incompétentes est une grave erreur ?

              égalité ou Egalité ?
              Ce n’est pas pareil.
              On tente de créer une Egalité au nom de l’équité.
              Il est juste de faire payer plus les riches mais parfois dans l’intérêt de la France il est préférable de ne pas leur faire trop payer.
              Si les riches s’en vont, et beaucoup sont partis, cela sera un vrai soucis...

              Le vrai problème est de se demander comment on va faire pour expliquer ce qui est très technique à des profanes ?
              Comment même convaincre ces profanes qu’il faut s’informer sur le sujet en question avant d’affirmer ceci ou cela ?
              Certains parlent de non respect de leur liberté d’expression lorsqu’on leur fait remarquer qu’ils se trompent, je ne parle même pas de ceux qui sont de mauvaises foi.

              La démocratie permet-elle d’atteindre un idéal pour un peuple ?
              Apparemment les chinois ont décidé qu’il n’y aurait pas de démocratie pour un temps chez eux...
              Et on voit qu’ils avancent malgré tout...

              En Belgique, le Roi [comme le peuple] veut toujours la démocratie, mais elle est en panne...

              Ce n’est donc pas si simple, notamment s’il fallait se poser la question qui est expert dans quel domaine.
              (Quel est la bonne mesure pour les sciences molles ?)

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