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Accueil du site > Tribune Libre > Un pont trop près, part I (*)

Un pont trop près, part I (*)

Vous connaissiez le Brigadier-General Daniel Menard ? Non, à vrai dire moi non plus. Il était pourtant il y a peu à la tête des forces canadiennes en Afghanistan. A savoir le deuxième responsable des troupes après le général McCrystal. Or, il a été démis de ses fonctions le 29 mai dernier et renvoyé dans son pays avant que n’éclate le scandale des propos amers de McCrystal. Pourquoi n’a-t-on rien su de cette affaire, avant qu’elle n’apparaisse au grand jour avec son renvoi précipité, c’est bien là tout le problème. C’est celui à la fois de la censure (similaire à celle ayant sévi en Irak (**)) qui continue à sévir dans les forces de la coalition et celle de l’éviction de ceux qui pourraient évoquer ce genre de problèmes : notamment Michael Yon, ce correspondant indépendant accepté au sein des forces armées de la coalition (et non « embedded ») qui a lui aussi perdu son poste dans l’histoire : or je vous ai déjà présenté l’individu. C’est lui qui avait retrouvé le premier les porteurs de vêtements militaires et de Famas prélevés sur les corps des soldats français tués à Kapisa. L’homme qui en savait beaucoup sur les chefs talibans locaux vivant tranquillement au Pakistan... et retrouvés également par Sarah Daniel, vivants tranquillement à deux pas d’un MacDo pakistanais, près d’Islamabad. Les hommes-clés du conflit, les fameux « intermédiaires » talibans. Dont le dénommé « Farouk » (ou « Farouki », voire « Farook »)... un des hommes-clés, pour sûr, du conflit. Retour sur un énième scandale Afghan et sur la chape de plomb de cette guerre afghane privée d’information véritable depuis le début.

Le départ forcé de McCrystal après ses déclarations aventureuses sur Rolling Stone en a en en effet caché un autre. Celui qui avait sévèrement critiqué McCrystal et son savoir faire hérité de sa carrière dans les forces spéciales, à savoir le recours aux opérations commandos et aux assassinats ciblés, s’appelle Michael Yon. Il avait déjà émis des réserves sur le rôle de Daniel Menard en mars 2010, l’accusant notamment d’avoir permis l’incroyable bourde de laisser attaquer et couper le pont de Tarnak, vital pour le ravitaillement des troupes afghanes. Yon n’y était pas allé de main morte, en ouvrant son papier par un retentissant "l’axiome militaire "les amateurs parlent de stratégie alors que les professionnels parlent de logistique" a une signification spéciale en Afghanistan"... réduisant ainsi Ménard et son supérieur McCrystal a de piètres militaires, incapables de juger ce qui est vital de ce qui ne l’est pas. Yon, avait effectivement tout compris : ce pont était effectivement stratégique, la majeure partie du ravitaillement (y compris les fameuses "salades" fraîches) provenant du Pakistan et de Karachi y passant tous les jours. "Quand nous perdons un pont", nous dit Michael Yon, "nous ne pouvons pas simplement faire un détour de quelques km jusqu’au suivant, comme on peut dans les plaines de l’Europe. En Afghanistan, il peut ne pas y avoir d’autre voie avant des centaines de km. Inversement, Les combattants afghans, qui utilisent des tactiques de guérilla depuis des décennies, des siècles même, ne possédant pas de chars, de véhicules et de lignes d’alimentation massive, sont moins tributaires de l’infrastructure. La plupart des guérilleros à qui nous sommes confrontés sont de la région immédiate. Le maïs vient de leur propre champs, la nôtre provient d’autres continents". En ce sens, avoir laissé dynamiter le pont stratégique (par une attaque de kamikaze !) était donc pour Michael Yon une faute gravissime. Ce en quoi il avait parfaitement raison.
 
Et ce d’autant plus que l’armée américaine, en 2005, s’était fait toute une gloire, photo à l’appui, de la réouverture de ce fameux pont incontournable, inauguré en grande pompe par Asadullah Khalid, gouverneur de la province de Kandahar et le lieutenant colonel Bert Ges. Tout le monde alors se congratulait et se félicitait. Quatre années plus tard, le 3 mai 2009, le même Khalid était accusé de détourner les fonds publics d’aide étrangère à son seul profit par un site afghan dirigé par la "Harvard Kennedy School’s Carr Center for Human Rights Policy". L’année précédente déjà, un magazine canadien avait révélé qu’il était aussi impliqué dans le trafic de drogue : révélant que l’homme pratiquait même la torture sur les mauvais payeurs des commissions de passage qu’il réclamait.... notamment sur l’usage du pont de Tarnak, qui sert également de plaque tournante à la drogue ! Le site dénonçait en termes très clairs les ramifications et l’importance du trafic de drogue, ceux menant à une mafia institutionnelle : les membres présumés de cette mafia sont des personnes bien connues en Afghanistan comme Ezatullah Wasefi, Gulagha Sherzoy, Ahmad Wali Nawrozi, Aref Karzaï, Wafa Asadullah, et .... Ce serait un bon endroit pour commencer une enquête internationale sur les piliers du le trafic de drogue afghane. Après tout, comment des milliards de dollars de stupéfiants sont-ils exportés en toute sécurité de l’Afghanistan ? Où vont-ils ? Comment l’argent est-il distribué en Afghanistan ? Les pauvres agriculteurs semblent en toucher peu. Comment cela se pourrait-il que plusieurs milliards de dollars de ce commerce puissent se répandre sans que le gouvernement afghan ne puisse savoir qui est derrière tout cela ?" On retombe sur ce que je vous disais ici récemment dans une saga sur Karzaï : la corruption incommensurable du pouvoir afghan, et le rôle prédominant dans le pays du trafic de drogue, contrôlé notoirement par l’un des frères de Karzaï.
 
Le site joutant pour conclure les ramifications déjà connues, celle des liens entre cette mafia et un homme depuis toujours soupçonné de faire partie de la CIA : "enfin, Asadullah Khalid a un autre grand honneur. Il fait partie des criminels bien connus, la bande notoire d’Abdurrab Rasool Sayaf. Sayaf lui-même est l’un des auteurs du détournement, de l’abus et de l’usurpation des biens publics à Kaboul. En outre, on raconte qu’ Assadullah Khalid est le propre neveu de Sayaf." Sayaf, l’homme directement lié aux pétro-dollars d’Arabie Saoudite et au sulfureux prince Turki. L’homme qui n’hésitait pas à recruter dans les années 80 des Ouzbeks, des Tchéchènes, des Philippins des Arabes : ceux que les USA fournissaient alors à foison en armes et en dollars pour lutter contre les soviétiques. Les troupes.... d’Al-Qaida !  Car ne l’oublions pas non plus : c’est à la ferme de Tarnak, justement, que se tenait le principal camp d’entraînement de Ben Laden. Là aussi où un drone l’avait surpris et même photographié en 2000... Tarnak, là où soi-disant 19 des présumés pirates du 11 septembre se seraient entraînés, dont Mohammed Atta et Ziad Jarrah, en 1999. Les deux habitués de l’aéroport de Venice, dont on retrouvera (quel miracle !) les passeports brulés ou quasi intacts... dans les débris du Pentagone ou du WTC (celui d’Atta, volé en 1999)... celui de Jarrah brulé du bon côté, bien sûr. Enfin, quand on présente comme preuve l’une des deux sources sur ce passeport : celle montrée en premier était beaucoup moins explicite... celui de Satam Al Suqami, découvert "après" "quelques blocs plus loin" étant en bien meilleur état. Celui de Said Bahaji étant retrouvé un peu plus loin encore en 2009 : au Pakistan !
 
Rasool Sayaf, l’homme par qui les pires excès islamistes sont revenus : "Il a été membre du groupe radical Akhwan-ul-Muslimeen, fondé en 1969 par deux autres violeurs des droits de l’homme, Rabbani et Gulbuddin Hekmatyar M. Burhanuddin Syed. Ce groupe a été connu pour se livrer à des pratiques islamiques radicales, tels que le jet d’acide dans le visage des femmes non voilées." Sayaf, le seul pachtoune de l’alliance du Nord du défunt Massoud, devenu en 2003 un des 502 représentants de la Loya Jirga de Kabul. Endroit où il exerça une influence désastreuse comme le reconnaissent les américains eux-mêmes : "l’influence de Sayyaf dans la convention (Loya Jirga ) a été notable en outre lorsque son allié Fazal Hadi Shinwari a été nommé par Karzaï responsable de la Cour suprême. En violation de la Constitution, il avait dépassé pourtant la limite d’âge et sa formation avait été seulement religieuse, et pas laïque, et encore moins en droit. Shinwari a été suivi à la Cour suprême par des mollahs sympathisants, et a appelé à des peines de style taliban et même renouvelé le ministère redouté du temps des talibans "de la promotion de la vertu et la prévention du vice", rebaptisé "le ministère du Hadj et des affaires religieuses". Il déploiera des escadrons pour empêcher l’affichage public de publicités jugées « anti-islamiques" visant notamment le comportement des femmes afghanes". Avec lui, l’afghanistan est revenu... au moyen-âge.
 
Pour Yon, et pour le pont stratégique, ça ne faisait en tout cas pas de doute : "il n’y a qu’un seul fait important : un pont stratégique a été endommagé car les bonnes pratiques de sécurité n’ont pas été mises en place. Un général est responsable. Cette controverse n’aurait jamais eu lieu, si le général de brigade Daniel Menard avait assuré le pont situé à quelques km de de la porte de son bureau. Il a probablement entendu l’explosion". Evidemment, avec ce genre de remarque, le statut de Michael Yon change du tout au tout au sein de l’establishment. Le voilà devenu simple "bloggeur" dans les commentaires de l’armée : il fait remarquer avec humour que lorsque celle-ci est contente de son travail, elle le taxe plutôt "d’auteur" ou de "correspondant de guerre". Pire encore lorsque Yon, poussé dans ses recherches, découvre que Menard a d’autres choses encore à se reprocher...
 
Le 25 mars 2010 le fusil d’assaut non sécurisé de Menard s’était déchargé accidentellement deux fois de suite sur la base de Kandahar, manquant de blesser gravement du personnel, lors sa montée à bord d’un hélicoptère : Menard avait écopé d’une amende de 3500 dollars en cour martiale pour cette négligence, mais l’affaire n’avait pas ébruitée à l’extérieur. Mieux encore, quand Yon apprend que le commandant de la base de Kandahar, âgé de 42 ans, exerce une sorte de droit de cuissage sur la base qui le conduit alors qu’il est marié (et a eu deux enfants) à avoir des relations sexuelles avec une soldate, la caporale-chef Bianka Langlois : outré, il ne peut s’empêcher d’en faire part. "Le secret le moins bien gardé à la Force opérationnelle de Kandahar, ce sont les relations adultères du brigadier-général Menard avec des soldats féminins sous son commandement à Kandahar Airfield. Il s’agit d’un commandant distrait et égoïste " peut-on lire de la plume du correspondant outré. Résultat : Menard est promptement déchargé de son titre et rappelé en urgence au Canada... et McCrystal forcé de démissionner quelque temps après. La presse annonce non sans humour "deux scalps" pour Yon. La chape de plomb s’était fissurée grâce au travail de fond d’un journaliste talentueux qui a la particularité d’être accepté et apprécié par les militaires sur le terrain sans pour autant servir la louche à leur hiérarchie. Pour lui, comme pour l’ensemble de l’armée, un soldat et davantage encore un gradé, responsable de la conduite et du comportement de ceux qui sont sous ses ordres, se doivent d’être exemplaires. 
 
Demain, nous découvrirons que notre intrépide reporter a découvert bien d’autres choses encore que la vie privée de certains responsables (devenus irresponsables !), des choses encore plus embarrassantes pour les armées de la coalition. Des choses à ne pas dire, bien entendu : le contrôle sur cette lamentable guerre doit rester total, au mépris des vies des soldats, ballottés dans des hélicoptères devenus des cibles bien trop faciles... Avant même les révélations de Wikileaks, je vous l’avais déjà dit ici-même, Michael Yon avait montré les tares évidentes de ce conflit. Avant tout le monde, il avait su déceler le virage inquiétant que prenait ce conflit.
 
 
(*) c’est évidemment un hommage au film de 1977 de Richard Attenborough.
 
(**) extrait de l’article : 
" Hier, Zoriah Miller, un des photographes "embedded", a été prié de remettre tous ses objectifs aux militaires américains. Lors d’un attentat survenu le 26 juin dernier, il avait pris en photo les cadavres de trois marines américains déchiquetés par une bombe à Garma, dans la province d’Anbar. Ayant mis ses clichés en ligne, l’armée vient de lui retirer son accréditation et lui interdire à vie de filmer tout événement militaire. La censure, qui a toujours été le bras droit de la propagande, lui est tombée dessus. La même chose était arrivée à son confrère Stefan Zaklin en novembre 2004 : pour avoir photographié un soldat mort... à Fallujah, tué par un insurgé et baignant dans son sang. L’armée américaine ne VEUT pas voir ses soldats morts, et ne souhaite pas qu’on puisse les voir. C’est le traumatisme des images du Vietnam. L’Irak en est un nouveau, mais on ne le montre pas. C’est une politique de l’autruche caractérisée. Aux Etats-Unis, en 2008, on gère les images de guerre comme au bon temps du Dr Goebbels. "
 
 

Documents joints à cet article

Un pont trop près, part I (*) Un pont trop près, part I (*) Un pont trop près, part I (*) Un pont trop près, part I (*) Un pont trop près, part I (*)

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11 réactions à cet article    


  • Waldgänger 6 août 2010 12:51

    « Avec lui, l’afghanistan est revenu... au moyen-âge. »

    Prof d’histoire autoproclamé, et il recycle les clichés historiques les plus éculés.


    • LE CHAT LE CHAT 6 août 2010 14:13

      après les nuits de cristal , les nuits de Mc Crystal , et celui là il casse pas que des verres !


      • W.Best fonzibrain 6 août 2010 14:13

        pauvres afghans en tout cas, 


        30 ans de guerre, alors que nous en europe on se plaint encore des 6 années de guerre.


        les talibans n’esxistent plus, ce sont des resistants afghans qui on en marre de voir leur pays occupé et leurs proches mourrir, tués par l’OTAN.


        • Pyrathome pyralien 6 août 2010 15:11

          Éplucher plus de 90 000 documents publié par Wikileaks va demander du temps, certains s’y acharnent en ce moment même......mais le résultat en vaudra t-il la chandelle ?
          De plus Julian Assange a une opinion très ambiguë sur le 11 septembre ( oui je sais , beaucoup connaissent la vérité mais doivent encore se tairent pour rester dans le circuit....) ce qui me fait penser à quelque chose d’assez artificiel et convenu.....Pourtant il semblerait qu’il y ait le feu au lac...
          wait and see...


          • globulos nilasse 6 août 2010 18:54

            article passionnant et fouillé. comme les précédents d’ailleurs. si il n’y avait que des psot comme ça sur agora,ce ne serait que du bonheur. bravo a morice.


            • Causette Causette 6 août 2010 19:00

              Vous connaissiez le Brigadier-General Daniel Menard ? Non, à vrai dire moi non plus. par morice


              ben apparemment il était déjà connu en avril 2007
              Date de modification : 2007-04-23
              http://www.cmp-cpm.forces.gc.ca/dsa-dns/sa-ns/ab/sobv-vbos-fra.asp?mAction=View&mBiographyID=773

              OTTAWA - Le brigadier-général Daniel Ménard a été formellement accusé hier d’avoir eu une « relation inappropriée » avec une subalterne des Forces canadiennes. Il est passible d’une peine maximale d’emprisonnement de 10 ans en lien avec cette affaire. http://fr.canoe.ca/infos/quebeccanada/archives/2010/07/20100712-133621.html


              • staybehind 6 août 2010 21:09

                tres bon article morice !!!
                merci


                • moebius 7 août 2010 00:34

                  cette guerre apparemment n’a plus la péche, elle est en train de se tripatouiller, de se morfondre et de se chercher des poux dans la téte.
                   Elle revient sur elle et s’éteint sereinement en tapotant, clic, clic sur son clavier dans un transport aérien plutot rustique pour ne pas dire militaire alors qu’un gros con avec des écouteurs dans le fond assi dans une espéce de filet a provision à grosse maille écoute..mais qu’est ce que ce gros con (peut etre ne l’est ’il pas) écoute alors que cet autre là, en premier plan et à lunette aussi et tout auissi camouflé tapote ?
                  Que quoi est ce donc là que qui est ce de ce que nous sommes ici là en ce bas monde, cette vallée de larme pour placer des punaises sur des cartes satellite de google earth ? que quoi sommes nous donc de quoi est ce donc là notre affaire à nous ?


                  • Causette Causette 7 août 2010 02:08


                    TROC
                    échange char soviétique MS-1
                    http://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:MS-1.jpg
                    contre bazooka M1A1


                  • Causette Causette 7 août 2010 01:49


                    Brigadier-General Daniel Menard , ancien plus haut gradé militaire canadien, (Kitamissa pas Us) en Afghanistan a été relevé de ses fonctions en mai, lorsque les allégations selon lesquelles il aurait eu une aventure avec LA caporale-chef Bianka Langlois ont fait surface.

                    bref, un gars une fille qui se font chopé à faire une p’tite sieste ! hum Bianka oui Daniel
                    (on attend de voir la vidéo smiley )


                    • Céphale Céphale 7 août 2010 08:49

                      Bravo Morice !

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