Un pont trop près, part II
Hier, je vous ai proposé les premières découvertes de notre fin limier Michael Yon, dont je vous ai déjà à plusieurs reprises vanté les mérites. Celui qui avait découvert fortuitement le trafic de « bâtonnets » à la frontière afghane. Des pains de plastic, en provenance directe du Pakistan ! Ce Yon avait déjà tout flairé, aujourd’hui que l’on n’hésite plus à évoquer le rôle trouble du voisin de l’Afghanistan. Michael Yon a toujours eu de l’avance. Aujourd’hui, je vous propose de continuer à éplucher ses découvertes. L’une d’entre elles lui a peut être valu son exclusion du territoire, davantage que la conduite outrancière d’un Menard. C’est celle qui remet en cause beaucoup de choses, et qui explique pourquoi depuis l’arrivée de McCrystal les opérations aériennes se sont nettement ralenties, et pourquoi la merveille des merveilles qu’est soi-disant l’Osprey est rentré fissa aux Etats-Unis. Encore une fois, ces choses à ne pas dire. Mais Yon n’est pas Bradley Manning, car il a un avantage certain sur d’autres : ancien commando des forces spéciales, il plait aux soldats, avec qui il vit et avec qui il partage les frayeurs. Sans des hommes comme lui, il n’y aurait que de la propagande, dans cette guerre où les médias sont abusivement contrôlés depuis le début... En ce sens, pour le pouvoir militaire de la coalition, il est devenu extrêmement gênant, et c’est bien pourquoi on a cherché à l’évincer, après l’avoir menacé...
Question coup de massue, Yon en avait déjà décoché un autre il y a quelque temps : "Il y a des histoires contradictoires au sujet de ce qui s’est passé ensuite. Sa querelle publique avec le général Menard n’était pas sa première campagne contre un allié. Il avait précédemment interpelllé le Ministre de la Défense anglais, Bob Ainsworth, sur le manque d’appui aérien dans le théâtre des combats. "M. Ainsworth ment au public sur la question des hélicoptères en Afghanistan. M. Ainsworth raconte à l’opinion publique britannique que les soldats britanniques ont assez d’hélicoptères. Les troupes britanniques souffrent - et même meurent -de ces mensonges. M. Ainsworth tue des soldats en les privant de matériels". "Pour sûr, s’aliéner ainsi un partenaire clé de l’Amérique dans la coalition ne l’a pas aidé auprès des généraux commandant en chef du conflit. Mais selon le point de vue de Yon, celui-ci reportait seulement des vérités simples et cherchait à protéger les vies des soldats sur le terrain" apprend-t-on chez ceux qui l’apprécient. Car là encore, Yon disait cruellement vrai. En fait de "vérité simple", Yon révélait une chose dramatique : l’état de délabrement complet de l’équipement anglais en hélicoptères, en raison d’une incurie astronomique des dirigeants de la Défense anglaise.
Les anglais ne disposent en effet en tout et pour tout que de 8 à 10 Chinook seulement en Afghanistan, et sur les 48 que l’Angleterre possède seuls 18 sont en état de vol ! The Sun, reportait en août dernier qu’il leur en restait exactement 9 en état de vol, à 10 millions de livres pièces (20 millions de dollars !), pour transporter les 9150 soldats anglais présents encore en Afghanistan. Un hélico pour 1000 soldats ! L’un des politiciens anglais à se saisir du problème en parlant de "scandale" est en juin 2009... David Cameron, nouveau premier ministre... en juillet, c’est l’histoire du démontage et remontage à l"ancienne des Chinooks qui fait surface... pour Ainsworth, il n’y aura pourtant aucun envoi d’appareil supplémentaire... pour l’opération Panther’s Claw, qui voit engager 3000 soldats anglais, ces derniers doivent "emprunter" dix hélicoptères aux américains, révèle Brian Crowe, ancien ambassadeur en Autriche.
Ces "fameux" Chinooks anglais sont en effet à eux seuls un autre gigantesque scandale : "en outre, il existe huit Chinook qui n’ont jamais volé et sont cannibalisés par les ingénieurs de Boscombe Down, dans le Dorset. Ce sont les fameux Mark 3A qui ont été acheté pour 259 millions de livres sterling (- un demi-milliard de dollars !-) pour les forces spéciales et qui ont été livrés à la RAF en 2001, mais qui ont dû être stationnés pendant sept ans dans un hangar à air conditionné parce que le ministère de la Défense avait omis d’acheter les droits de Boeing d’utiliser leurs logiciels d’avionique." Une gabegie phénoménale ! Résultats, ils ont été désossés et toutes leurs commandes électriques remplacées par des câbles d’acier, à l’ancienne : un massacre technologique, que j’avais évoqué ici déjà. Par défaut de pièces, on est même allé jusqu’à refaire un Chinook avec une épave d’appareil argentin de 27 ans d’âge ramené des Malouines et l’envoyer à Kandahar ! Pendant ce temps, les Princes royaux, ces deux véritables pantins, jouaient sur les pelouses anglaises ou allaient draguer leurs copines avec ceux qui fonctionnaient... on n’ose imaginer la suite avec la décision prise en mai dernier par Harry.... Si un jour on doit montrer l’absurdité d’une guerre, on pourra prendre cet exemple de jouvenceaux frimeurs à qui on offre des moyens "royaux" que l’on est incapable de fournir aux soldats qui se font tuer sur place ! Pendant qu’ils font tranquillement du tourisme en Chinook, des soldats meurent en Afghanistan de ne pas avoir pu être évacués assez vite avec ce même appareil, menacé par des missiles air-sol talibans : révoltant !
Yon a raison sur toute la ligne encore une fois, comme le rappelle le Sun peu de temps après en citant le cas de deux soldats morts faute d’hélicoptères alentour : "s’ils avaient été disponible -les Chinooks ou les Lynx-, ils auraient pu sauver le Lt Colonel Rupert Thorneloe, 39 ans, gallois d’origine. On a dû le conduire à un point de rendez-vous dans un véhicule à chenilles Viking et il est mort aux côtés de Joshua Trooper Hammond, 18 ans, quand une bombe avait volatilisé le véhicule mal-blindé. Les Lynx ont été retirés parce que leurs moteurs vieillissants n’étaient plus assez puissante pour les soulever dans la chaleur de l’été afghan".
Car la censure a bel et bien caché également des attaques de missiles sur des Chinook, notamment en 2007 sur un appareil anglais, où il y avait eu 7 morts, dont un des camarades photographes de Yon ! Cette fois encore on avait raconté une fable à la presse : "plus tard, ce jour-là, l’OTAN et des responsables américains ont suggéré que l’hélicoptère, au nom de code Flipper, avait été abattu par une grenade propulsée par fusée - effectivement, un coup de chance. "Il n’est pas impossible pour des tirs d’armes d’abattre un hélicoptère," avait a déclaré chez Reuters à Kaboul le porte-parole de l’Otan, le Major John Thomas. Un responsable américain a déclaré qu’il avait "probablement été abattu par un tir de grenade propulsés par (RPG)". C’était faux, entièrement faux, et impossible en vol ! Les médias anglais s’efforçant de présenter la version officielle par une représentation graphique (hautement risible !). Aux USA, idem : "de dures conditions de vol" assène-t-on pour masquer la réalité. C’est vrai aussi, (c’est en altitude, par forte température, avec du sable qu’ingèrent les turbines), mais pas au point de tout attribuer à la météo...
Pas pour Michael Yon, qui parle fort car il est indépendant, clairement et nettement : il avait déjà été l’objet de pressions et de menaces, notamment en janvier 2010 où il avait été arrêté à Seattle, menottes aux poignées, ce qui ne lui était jamais arrivé de sa carrière. Aurait-on cherché à l’intimider et à ne rien révéler de l’affaire Menard ? Non, car elle n’a pas encore eu lieue : c’est bien en raison de l’affaire des missiles, plutôt. Tout été fait pour ne pas révéler que les Talibans détiennent effectivement des missiles 9K34 Strela-3 (SA-14 Gremlin) et Igla 1-S, le "stinger russe" qui clouent au sol les hélicoptères et les avions désormais, ce que Yon a déjà effectivement confirmé, et ce que Bill Roggio lui-même avait indiqué dès 2007. Or, sur le sujet, tous les communiqués de presse de Pentagone relatifs à des crashs d’hélico ne parlaient que de "problèmes mécaniques" (ou d’attaque au RPG !). Le crash d’un Osprey, en avril 2010, ce gouffre vertigineux à argent, et le retrait précipité de toute la flotte (douze appareils seulement de déployés !) ne doit pas être étranger à la chose : mais l’opinion américaine supporterait difficilement d’apprendre que sa merveille technologique, véritable danseuse du Pentagone est une proie aussi facile... les talibans avaient effectivement annoncé l’avoir abattu... "mais ils le font toujours" indiquait d’un revers de la main les responsables du Pentagone. C’est bien propagande contre propagande !
Selon la presse actuelle, la découverte de ces missiles provient des fuites de Wikileaks : nous venons de découvrir que Michael Yon et d’autres en avaient déjà évoqué l’usage bien avant. "Les documents divulgués pour la première fois que les insurgés talibans semblent avoir utilisé des missiles portables, sol-air, à infra-rouge pour abattre des hélicoptères américains. Des missiles à détecteur thermiques, que les États-Unis ont fourni à l’anti-soviétique en Afghanistan aux combattants appelés moudjahidines dans les années 1980, et qui ont contribué à infliger de lourdes pertes à l’Union soviétique jusqu’à ce qu’elle retire ses forces d’Afghanistan en 1989." Mais l’annonce de leur usage fait aujourd’hui l’effet d’une bombe, puisqu’on la relie automatiquement à la défaite russe : on comprend pourquoi l’armée américaine a tout fait pour étouffer l’affaire, avec Michael Yon, comme auprès d’autres journalistes. Certains on bien respecté le black-out forcé, qui leur promettait une place "embedded" assurée. Des missiles Strela ou Igla, capables de déjouer les "shafts" pour les plus récents modèles, mais aussi peut-être bien encore des Stinger, que l’amérique avait fourni en masse aux moudjahidines : imaginez la tête de l’américain moyen si la presse lui révèle que ses soldats sont tués par leurs propres armes, fournies il y a vingt-cinq ans... déjà que les mines sur lesquelles ils marchent à Marjah se révèlent être elles-aussi américaines... En réalité, on peut fortement douter du maintien en service d’engins aussi anciens : à moins d’être restés sagement en container (non pressurisé !)... les missiles talibans seraient bien plutôt des Igla, de dernière génération. Qui menacent toutes les voilures tournantes, y compris le fameux... Osprey.
Yon avait mis le nez ce jour là sans le savoir dans un autre énorme scandale : l’engin développé pendant vingt ans à un coût faramineux (plus de 100 millions de dollars pièce !) est tout simplement totalement inapte à la zone de combat ! Souvenons-nous du "débarquement" vite fait de Michael D. Hawley, responsable de l’ Afloat Training Group Atlantic et de l’USS Wasp (LHD-1), sur lequel l’Osprey avait fait des essais calamiteux... d’un engin à côté de la plaque sur toute la ligne comme le notait un posteur de talent à qui rien n’échappe, ici-même : "Pour résumer, selon un "congressman" américain : "le V-22 a des problèmes par temps chaud, a des problèmes par temps froid, a des problèmes en présence de sable, a des problèmes en haute altitude, et a une manoeuvrabilité volontairement réduite (domaine de vol qu’on a peut-être peur, à raison, d’explorer ?). Nous avons la moitié de l’avion, à trois fois le prix..." Quant à savoir qui leur amené, ces missiles Igla, ce n’est pas difficile à trouver : lors de son interrogatoire au Cambodge, Victor Bout dont les avions destinés aux Talibans ont été vus à Sharjah aux côtés d’avions de transport US avait avoué en apporter 100 aux Farcs... via son associé Andrew Smulian, manipulé par la CIA, qui semble bien être à l’origine de son arrestation. L’homme indiquant au passage que ses avions ne revenaient pas vides mais chargés de cocaïne. On retombe sur l’éternel problème armes+drogue. Et en Afghanistan, sur le rôle trouble du Pakistan, que je vous avais aussi décrit ici-même il y a plus de deux ans déjà.
Les 35 182 fans du site de Michael Yon (ancien lui-même des forces spéciales), servant en large majorité dans l’US Army (sauf moi !), l’applaudissent : contrairement à ce qu’on peut penser, ceux qui sont au premier plan du conflit ne partagent pas toujours l’absence d’information et la censure pesante qu’on leur demande de respecter en les menaçant de la cour martiale s’ils prétendent faire un écart médiatique. Prison à vie pour le responsable des fuites Wikileaks annonce-t-on déjà : on ne rigole pas aux USA avec le contrôle des images de guerre. Or la chape de plomb habituelle, par deux fois, pourtant, n’a pas fonctionné comme d’habitude. Michael Yon, interdit de séjour en Afghanistan après l’affaire Menard, se retrouve déjà en Thaïlande : parti couvrir en mai dernier les évènements que l’on a pu voir, avec son incroyable manière habituelle de penser à photographier les évènements de tous les jours, et en même temps les détails indispensables. Il est aujourd’hui au Népal "parti pêcher", annonce-t-il non sans humour ! Espérons qu’il revienne le plus vite possible en Afghanistan : il y en a peu de sa trempe, pour dénoncer les errements de ce conflit où la hiérarchie militaire est responsable de beaucoup de choses qui ne sont pas à son honneur, loin s’en faut.
En aurait-on profité, de cette affaire, pour réussir à éloigner un témoin devenu trop gênant des contacts se faisant entre les talibans de la trempe de Farouk et la hiérarchie de l’armée US ? Aurait-on sauté sur l’occasion pour se passer des services d’un homme qui doit savoir où se trouvent nos deux journalistes de FR3, ayant déjà découvert celui qui jouait déjà les intermédiaires pour que les français n’oublient pas de verser leur "péage" à Kapisa, comme l’armée US le fait avec les talibans désireux d’attaquer leurs convois ? Le gouvernement français aurait tout intérêt à contacter Michael Yon (et envoyer un hélico au Népal, ce dont il a l’habitude !) s’il veut apprendre où sont susceptibles d’être cachés les deux otages. Voire à convoquer par la même occasion Sarah Daniel, qui a eu affaire au même interlocuteur... qui doit obligatoirement savoir.
L’affaire Menard est en tout cas révélatrice d’un état d’esprit global qui mine toute l’armée de coalition, en se comportant ostensiblement en vainqueur potentiel qui impose ses droits et son mode de vie. C’est une faute impardonnable et irréversible, qui favorise le retour à la charia chez les Talibans. Comment voulez-vous séduire des populations locales très à cheval sur le code de l’honneur en leur parlant de probité, et en même temps draguer ouvertement une soldate engagée tout en étant marié (religieusement peut-être, qui sait) ? La valeur d’exemple s’effondre, on offre aux talibans un cadeau d’absence de vertu sur un plateau, on légitime leur ministère infamant. C’est bien aussi deux poids deux mesures : on ne badine pas avec le sort d’un soldat qui met en ligne un massacre, mais on badine en même temps avec le contingent féminin ! Comment la population locale peut-elle souscrire à une telle autorité ? Ou est sa crédibilité ? Comment voulez-vous faire croire à l’impossibilité de bavure militaire avec un commandant incapable de se rappeler la sécurité à activer sur son arme personnelle ? Avant même les révélations de Wikileaks, Michael Yon nous avait montré l’inanité et la brutalité sans nom de ce conflit, l’incompétence crasse et la corruption sidérante de ses responsables (*). Ce qui est à retenir, c’est que la piétaille l’écoutait et lui accordait sa confiance, ce qui n’a pas changé depuis : le malaise au sein de la coalition est donc bien plus profond que ne l’est un simple problème de management et de direction d’hommes. Le moral des troupes ne peut qu’être à zéro après ses nouvelles révélations : les soldats n’ont aucune envie de perdre la vie pour de pareils fanfarons à leur tête !
Si l’Afghanistan est perdu, comme vient juste de le proclamer le président d’un état pakistanais qui joue les dupes sur place lors de sa visite européenne, ce n’est pas la faute des soldats, mais bien de leurs dirigeants et des directives ineptes qu’ils ont données. "Avant tout, parce que nous avons perdu la bataille de la conquête des cœurs et des esprits " pouvait-il se permettre de dire plus ou moins ironiquement : ce n’est pas en effet en cachant des massacres de civils comme ceux que j’ai pu énumérer ici-même que l’on peut y arriver (**). Un président Asif Ali Zardari qui aurait pu ajouter qu’on leur a aussi raconté n’importe quoi pour les motiver, à ces soldats : n’avait-il pas déjà dit le 27 avril 2009 au journal The Telegraph qu’il n’y avait depuis longtemps plus "aucune trace de Ben Laden ?"... (sous entendu : il est mort depuis longtemps) : une phrase qui recevait en écho deux mois plus tard celle du directeur de la CIA toujours chargé de le capturer . Selon lui, également, en effert "aucune nouvelle depuis le début des années 2000 !" du fugitif le plus recherché de la planète ! A quoi riment alors ces fausses vidéos et ses faux messages vidéos qui lui ont été attribués depuis près de 10 années, et qui donc les fabrique et qui les distribue ? Et si Ben Laden est effectivement mort depuis, pourquoi entretenir un tel mythe (***), sinon pour en consolider un autre bien plus épouvantable encore ?
Peut-on gagner une guerre établie sur un tel mensonge ? Les derniers documents enfin dévoilés sur la fausse attaque du Golfe du Tonkin prouvent par l’exemple que non. Et c’est bien là tout le drame actuel de ce conflit absurde.
- http://www.agoravox.fr/tribune-libr...
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