Un Président ne devrait pas faire ça...
Les élections législatives approchent, et nombreuses sont les voix nous enjoignant de vous donner, Monsieur le Président de la République, un maximum d'élus au Parlement, voire la majorité absolue, pour vous permettre de mener votre politique. Selon ces augures, tout autre choix conduirait à déstabiliser la France. Allons-nous nous laisser manipuler une fois de plus ?
Le soir des élections, du premier tour des élections qui donnait le nom du futur Président de la République, vous avez voulu, Monsieur le nouveau Président, fêté joyeusement votre victoire. Cela vous a été très vite reproché. Vous avez alors répondu, avec la naïveté d'un débutant récemment reçu en bonne place à un concours, sur la joie d'être bien classé que vous vouliez partager avec ceux qui vous avaient soutenu pendant la candidature. Vous avez d'ailleurs, sagement, davantage insisté sur les secrétaires qui étaient invitées que sur les personnes connues ou de pouvoir.
Dame, vous prétendez faire de la politique « autrement » et les banquets d'ancien régime sont peu compatibles avec l'image de ce renouveau revendiqué. Vous l'avez compris à vos dépends le lendemain de ces résultats.
Mais vous apprenez vite, Monsieur le Président, et même très vite.
Vous l'aviez dit, l'avant-veille des élections, lors d'une longe interview à Mediapart : du jour où vous seriez Président, vous en endosseriez entièrement la fonction "Le jour d'après, je change" (c'est ici, à partir de la minute 16 ) J'avais pensé « le costume », d'autant plus que vous veniez de faire le parallèle avec le passage que vous aviez effectué sans problème de banquier d'affaire à Conseiller du Président de la République. Un peu plus tard dans l'interview j'avais noté un moment suspendu, une forme d'aveu, en forme de dénégation, vite recouvert sous les rires. C'est ici, à partir de la minute 21).
Donc, dans les jours qui ont suivi, nous avons vu une nouvelle métamorphose : celle du jeune homme parfait en Président : l'allure, le ton, les décisions. Un Président jupitérien avez-vous annoncé. Diantre, on n'en attendait pas tant. Mais on a dû vous dire que la France avait envie d'être prise comme une femme : donc Jupiter, le roi des Dieux, cela a dû vous sembler parfait comme image…
Mais moi, je suis insoumise, alors Jupiter, vous savez...
Moi, comme d'autres, je ne vois que les actes. Et je les compare aux dits. Et j'essaie d'analyser l'ensemble de la façon la plus dépassionnée possible. Et c'est clair : Monsieur le Président, malgré votre jeune sourire, malgré votre allure sportive et ce charme qui ne marche pas sur moi, vous nous mentez.
Et ça, il ne faut pas le faire. Il ne fallait pas nous le faire.
Oh, je sais, l'exercice du pouvoir nécessite un peu de dissimulation, que l'on va appeler pudiquement diplomatie. Cela, je l'accepte. La lutte pour l'obtention du pouvoir nécessite d'user de stratégie, cela ne peut pas être autrement, et il est d'ailleurs indispensable de savoir user de cette arme dans les relations internationales : regardez comme les conseillers du Président Donald Trump craignent fort la capacité de celui-ci à improviser, risquant à chaque instant l'incident diplomatique...
Mais, dans ces usages, il existe une limite entre une marge de manipulation de l'opinion publique « raisonnable » c'est-à-dire non toxique (pas utilisée contre le peuple qui en est l'objet) et l'usage de tous les ressorts possibles de la manipulation et de la propagande contre l'intérêt du peuple.
Or, cette élection, ce qui l'a entouré et ce qui la suit, démontre que nous sommes passés d'un fonctionnement de vieux pays oligarchique avec quelques contre-pouvoirs, à celui de l'emprise majeure de l'oligarchie financière sur les élections et donc sur le pouvoir. En douceur...
Qui sait, Monsieur le Président, que vous êtes, comme François Hollande avant vous, un « Young leader » de la « French-American-Foundation » (2012) ( voir ici sur Wikipedia ou directement sur le site) chargée officiellement, de favoriser les liens entre les USA et les futurs dirigeants français, et, en fait, ou en tout cas on peut largement le supposer, de construire un réseau de dirigeants pro-USA ? Comme votre Premier ministre Edouard Philippe (2012)...
Qui a noté, hors réseaux complotistes, que vous êtes allé au Bilderberg (Wikipedia sur le Bilderberg ici ) en 2014, juste avant d'être nommé ministre ? Tandis que Edouard Philippe y est allé en 2016 (voir la note 33 de l'article de Wikipedia). Pour ceux qui croient encore que cette rencontre annuelle des membres de l'oligarchie mondiale n'a aucun rapport avec l'adoubement des futurs Présidents de la République et autres dirigeants politiques, qu'ils se renseignent.
Cela ne se fait pas, en tout cas, pas à ce point, Monsieur le Président, de cacher aux citoyens que l'on est un homme de réseaux, et encore plus à ce niveau-là, et que l'on doit son ascension à un certain nombre de vieux dirigeants, séduits par vos capacités et votre jeunesse, lesquels vous ont mis en avant parce qu'ils savaient bien que le peuple n'en pouvait plus de leur politique de vieux dominants délestant les pauvres pour s'enrichir eux-mêmes.
Avec vous, tout cela ne se voit pas. Grâce, entre autre, à ce talent de séducteur de plus âgés que vous, que nul ne vous conteste. Vous avez l'air jeune, Monsieur le Président. Cela vous sert, et sert vos sponsors. Énormément. Ils se cachent derrière votre prétendue jeunesse, mais ils sont derrière vous, ce sont vos tuteurs...
Grâce à votre charme vous cachez que vous voulez faire une politique de vieux : une politique pour défendre les retraités allemands, les banques et les industries mondialisées que vous connaissez si bien pour avoir été un des membres de ce monde-là il y a peu. Une politique de réduction des dépenses publiques et donc des protections sociales pour permettre à l'oligarchie de faire encore plus de bénéfices.
D'ailleurs, vous êtes allé demandé leur obole électorale à de très nombreux possédants, et pas seulement en France, lesquels se sont laissés faire avec plaisir parce qu'ils savaient qu'avec vous, les français allaient mettre au pouvoir leur plus farouche défenseur. Et vous l'avez fait avec un systématisme qui dit bien comment vos fonctionnez : rien n'est laissé au hasard. Tout est calculé. Mais avec le sourire.
Ainsi vous avez présenté, lors de la campagne électorale, un pourcentage de petits donateurs élevé, à la place d'avouer que l'essentiel des dons, en somme d'argent, provient de gros contributeurs... Le diable se niche dans les détails (article de Mediapart ""Macron leaks" : les secrets d'une levée de fonds hors norme" ).
Un candidat, pour se faire élire, peut maquiller un peu son image, c'est de bonne guerre. Mais de là à faire exactement l'inverse de ce qu'il dit ? De se présenter comme le candidat des citoyens alors qu'on est soutenu par le Capital ? De se décrire en candidat du renouveau alors que l'on est aux manettes de la politique du gouvernement sortant depuis des années ?
Vous n'auriez pas dû nous faire ça, Monsieur le nouveau Président.
Mais ça marche. A force de communication volontairement ambivalente : à la fois de droite et de gauche, pour les chefs d'entreprise et « en même temps » pour les salariés, pour les multinationales et aussi pour les PME etc. Vous avez induit une dissonance cognitive généralisée chez beaucoup de citoyens qui sont assaillis de messages contradictoires vous concernant ( la dissonance cognitive sur Wikipedia ). Or on sait que cette dissonance, quand elle se produit, entraîne chez ceux qui y sont soumis une plus grande adhésion à la personne de l'énonciateur confusionnant. C'est désolant mais c'est comme ça. Avec ses explications limpides, Jean-Luc Mélenchon permet l'exercice d'une liberté de pensée que freinent aux contraires vos discours creux et ambigus. Et c'est donc vous qui emportez l'adhésion de ceux qui ne s'astreignent pas à une rigueur intellectuelle un peu déstabilisante.
Enfin, qui emportez l' « adhésion », c'est vite dit : il y a moins de 5% de différence de pourcentage entre les électeurs de J-L Mélenchon et les vôtres au premier tour. Et Jean-Luc Mélenchon aurait, lui aussi, gagné largement contre Marine Le Pen au deuxième tour de l'élection présidentielle. Donc, 5%, c'est peu. On ne peut pas se targuer d'avoir été élu pour réformer de fond en comble le pays de façon néolibérale quand un petit 5% nous sépare de celui qui voulait une Constituante pour une sixième République beaucoup plus démocratique et non inféodée aux diktats de l'UE financière. Mais ce n'est pas ces 5 % que vous metez en avant pour prétendre que les français vous ont élu « sur un projet ». Oui, 65 % des français vous ont élu sur un projet : celui de ne pas avoir Marine Le Pen Présidente de la République. Pour le reste, on ne peut s'en tenir qu'à ces 5 %. C'est peu… Mais c'est vrai que votre rhétorique est extraordinaire de rouerie : puisque vous n'êtes ni de droite, ni de gauche, c'est que vous êtes les deux à la fois, et donc que les deux projets de ces mouvements se fondent dans le vôtre. Je vous concède que le projet du PS se rapproche d'un projet libéral, au point de s'y superposer sans problème… mais le PS, au moins au niveau des éléphants qui le dirigent, n'est plus de gauche depuis longtemps. C'est ce qui a causé la déchéance de François Hollande au niveau de sa popularité : la majorité de ses électeurs pensaient vraiment avoir élu un Président de gauche. De là à laisser entendre que les projets des Républicains et du Parti socialiste sont les mêmes : il fallait oser, comme de faire un gouvernement de coalition qui est en fait un gouvernement de droite néolibérale.
L'ensemble des médias ont renvoyé de vous une image très positive pendant des mois (voir "Le matraquage Macron ou les ressorts de la popularité"), vous désignant comme le seul capable de battre Le Pen, ce qui était (cf liste des sondages préelectoraux sur Wikipedia) complètement faux. Une chaîne SMS a même circulé le jour de l'élection pour dire que François Fillon remontait et qu'il fallait voter pour vous afin d'éviter un deuxième tour Le Pen-Fillon… Les petits ruisseaux font les grandes rivières...
Vous avez réussi à faire croire à beaucoup de gens que vous étiez de gauche, Monsieur le Président, comme l'avait fait avant vous celui que vous alliez trahir, François Hollande. Certes, cela fait des années qu'on nous vend cette salade, celle de la gauche libérale, celle qui prétend qu'il faut soutenir les entreprises et que la richesse engendrée par celles-ci ruissellera sur les citoyens (alors qu'elle ne fait qu'augmenter les bénéfices des patrons et des actionnaires et disparaît dans des paradis fiscaux), celle qui énonce qu'il faut continuer à augmenter la productivité en durcissant encore les conditions de travail et en diminuant encore plus les salaires, pour sauver l'emploi, alors que concentrer le travail sur un moins grand nombre de personnes augmente mathématiquement le chômage, et que diminuer le pouvoir d'achat ralentit la consommation et donc augmente le chômage… Tout en réduisant les recettes fiscales, ce qui implique d'augmenter les impôts et de trouver une raison de plus de réduire l'efficacité de notre système social. Mais si notre système social va plus mal, les citoyens sont plus mal soignés, moins efficaces au travail, tombent plus souvent malades, deviennent invalides plus tôt, etc.
Bref une politique de droite, mais, en plus, idiote.
On voit bien comment la Grèce, laboratoire des conséquences de ces politiques poussées au maximum, est en train de s'enfoncer dans une récession dont on ne sait si elle pourra se relever un jour. La mortalité infantile a semble-t-il doublé en Grèce depuis la mise en place des injonctions de la Troïka ( voir ici, sur RTL Info, mais on doit pouvoir trouver des sources plus précises) Combien de bébés morts avant que les économistes néo-libéraux ne réalisent qu'ils sont les fossoyeurs de l'Europe ?
Certains doutent encore que vous êtes un Président néolibéral ? Qu'ils étudient le parcours du Premier ministre que vous vous êtes choisi. Quelqu'un qui s'est opposé au compte pénibilité, au projet concernant la transparence de la vie publique (article Edouard Philippe sur Le Monde ici "Votes, assiduité : quel député était Edouard Philippe, nouveau Premier Ministre) quelqu'un qui aurait dit « Et les gens qui ne pensent qu’aux aspects de fond sont des belles âmes, mais comme ils gagnent pas, on n’en a un peu rien à foutre".
Et le fait que vous ayez mis des personnalités semblant être de gauche à des ministères où ils ne pourront rien faire sans l'accord financier de leurs collègues de l'économie et du budget, n'est que de la poudre aux yeux pour les électeurs socialistes qui sont encore de gauche, eux…
L'oligarchie mondiale, après le krach de 29 et les révolutions faites au nom du communisme dans le courant du vingtième siècle, a réfléchi à comment empêcher que de telles horreurs ne surviennent à nouveau un jour. Le bipartisme à l'américaine et tout ce qui est mis en place pour le maintenir inchangé est une solution, l'infiltration des milieux de gauche par une idéologie visant à faire disparaître la notion de dictature du prolétariat et de lutte des classes, en est une autre. La civilisation des loisirs et l'omnipotence de médias néolibéraux abêtissant les citoyens et leur déversant à tous la même soupe molle sont des éléments majeurs de cette stratégie ( quel élan révolutionnaire peut résister à une coupe du monde football ? ). Et, sur le plan politique, la disparition de la notion de lutte des classes, comme s'il ne s'agissait, en politique, que de discuter du mariage homosexuel ou du port du voile : tous les groupes auraient un intérêt commun, il n'y aurait pas de conflit entre des intérêts opposés. Pour le reste, on serait tous d'accord sur tout : en particulier défendre l'entreprise, nerf de la guerre et pourvoyeur d'emploi… et réduire les protections sociales qui freineraient l'emploi. Selon cette théorie répétée en mantra on vivrait depuis des décennies « au-dessus de nos moyens » (alors que les services publics sont de grands pourvoyeurs d'emploi : seule différence, leurs patrons ne mettent pas des milliards dans les paradis fiscaux) et lutteraient déloyalement contre le privé…
Le but, ce serait d'aboutir à une gouvernance mondiale, hors conflictualité, ignorant les intérêts des petites gens dans un équilibre des puissances d'argent se partageant le monde.
C'est pour cela que, là aussi, Monsieur le Président, vous auriez dû annoncer la couleur : vous êtes, m'a-t-il semblé, pour une Europe fédérale, dont la politique serait déterminée par des instances non élues, comme cela se fait déjà, agissant en faveur des intérêts des grandes banques et des multinationales. Les gouvernements nationaux n'ayant pas plus de marge de manœuvre que les instrumentistes dans un orchestre, qui ne jouent pas leur musique, mais doivent suivre à la lettre les prescriptions du chef d'orchestre.
D'ailleurs, n'est-ce pas ce que vous avez demandé à vos ministres ? Je pense que ceux qui ont un peu de dignité ne vont pas faire long feu dans votre gouvernement. Mais je ne suis pas inquiète : des élus soumis qui applaudiront des deux mains à toutes vos injonctions, vous en trouverez toujours. Des députés aussi, d'ailleurs. Surtout si vous les choisissez sans expérience et très valorisés d'avoir été choisis par ce nouveau Président « Jupitérien » (être choisi par un Dieu, quand même, ce n'est pas rien…). Mais, pour ce qui est des États, n'entendez-vous pas, dans la montée de l'extrême-droite en Europe, entre autre, la révolte de citoyens qui veulent revenir à des gouvernements nationaux qui les écoute au lieu de n'écouter que la voix du marché ?
Alors oui, Monsieur le Président, vous ne devriez pas faire ça, et j'espère que nous serons nombreux à voter pour des députés résolus à vous empêcher de nuire. Des députés qui sont assez malins pour savoir qu'on ne « donne pas sa chance » à quelqu'un qui est si doué dans l'art de la manipulation sans être certain de le regretter fort un jour.
Le problème étant que, si votre équipe n'a pas assez de contre-pouvoirs à l'Assemblée, toutes vos réformes vont passer sans discussion. A coup de 49.3, d'ordonnances, et d'aplatissement généralisé de la démocratie.
Et là, outre le fait que notre état social va voler rapidement en éclat, nous allons courir un danger encore plus grand : la déstabilisation de notre société et le risque de violences à venir. Ne voyez-vous pas la souffrance au travail de ceux grâce auxquels on augmente la "productivité" ? Celle des privés d'emploi pour cause de recherche de bénéfices par les actionnaires et qui se retrouvent chômeurs de longue durée, précarisés, pauvres, en fait, et en souffrance. N'êtes-vous pas au courant des conséquences d'une succession de mesures concernant les malades atteints de maladie grave, les handicapés, et, bien sûr, les retraités. Une politique d'ajustement qui se fait par petites touches (quoique pour les retraites...) progressivement, ce qui permet qu'elle passe sans remous sociaux, mais qui entraîne inexorablement une aggravation des conditions de vie des plus faibles d'entre nous. Bien sûr, on peut comprendre que les retraités et les malades ne vont pas descendre dans la rue. Mais leurs enfants et petits enfants ? Eux à qui le néolibéralisme ne laisse espérer qu'un emploi précaire, une "formation tout au long de la vie" qui ne leur permettra jamais d'obtenir la stabilité et l'épanouissement de celui qui est devenu, grâce à son talent et son expérience, un expert reconnu dans sa pratique. Ils ont grossi récemment les rangs des insoumis, ces jeunes qui sont conscient de ce que l'avenir leur réserve, ils voient, déjà, les conséquences de cette politique sur leurs ainés. Et eux n'ont rien à perdre.
En effet, quand un gouvernant ne fait pas ce qu'il devrait faire, quand le balancier part trop dans un sens, un jour, celui-ci repart en sens inverse. Et là, tout est possible.
Et ce qui m'inquiète, Monsieur le Président, c'est que vous n'avez connu dans votre vie presque que des succès. Vous n'avez pas appris que la vie n'est pas une course que l'on peut mener en tête, mais le résultat d'un instable équilibre entre des forces contraires.
Je crains fort que nous payions un jour au prix fort votre inexpérience...
C'est la raison pour laquelle j'aimerais qu'un maximum d'électeurs de gauche, comprenant le danger, ne prennent pas le risque pour les élections législatives de vous "donner votre chance" mais choisissent au contraire des députés soucieux de soutenir les citoyens et notre Etat social contre une Europe financière destructrice..
Après, il sera trop tard.
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