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Un procès télévisé

Pour la première fois en France, jeudi 13 octobre les spectateurs de France 2 ont eu le privilège de suivre l’intégralité d’un procès aux assises... Nous avions l’habitude de voir des dessins d’artiste pour  illustrer ce qu’aucune caméra ne pouvait filmer. La chaine tombe le voile, 5 jours de procès en 1h et 31min. Le reportage survole un procès très médiatisé, celui du pédophile Francis Evrard. 

 « Si nous sommes filmés il ne s’agit évidemment pas de cinéma, nous sommes dans la vrai vie, la vrai douleur, les vrais misères » C’est avec cette phrase que le président de la cours d’assise de Douai ouvre le procès Evrard pour viol sur un mineur de cinq ans. C’est la première fois qu’un procès aux assises (juge les crimes avec un jury populaire) sera filmé dans son intégralité.

De nos jours les caméras sont partout. Dans les gares, les administrations, les entreprises, chez les particuliers. Les consoles de jeux, les ordinateurs, les téléphones portables en sont tous équipés. Elles sont depuis quelques années au parlement où elles permettent souvent de comprendre le fonctionnement de notre démocratie. Elles sont présentes en abondance dans les émissions de téléréalité où l’intime des protagonistes est dévoilée dans une manipulation des images et des êtres. Il n’y avait plus que derrière les portes d’un tribunal où les caméras ne pouvaient pénétrer. Il fallait éviter que la passion n’entre dans cette enceinte hautement symbolique où la sérénité doit permettre de juger en toute équité.

 C’est de l’histoire ancienne avec ce reportage de France 2 lors du procès d’un pédophile multirécidiviste. Nous savons désormais comment se passe un procès d’assise où un jury est convoqué et doit rendre justice. Ce type de jugement se prête bien à la présence de caméra car le spectateur est tenté de se mettre à la place des jurés. Le suivi du procès est facilité par le président de la cours d’assise dont le rôle est crucial. Il doit aiguiller les débats de  telle sorte que les jurés disposent de tous les éléments leurs permettant de juger sereinement. Là le juré, c’est nous !

 Nous suivons avec intérêt les interventions des différents protagonistes. Le juge dont c’est le dernier procès se montre ferme et juste. Malgré la gravité des faits, il doit rester impartial comme il l’explique en apartée aux journalistes. Pour cela, il interroge Francis Evrard sur son passé. Multirécidiviste pour des affaires toutes aussi sordides, il s’avoue lui-même avoir été victime d’un voisin pervers sexuel quand il avait dix ans. Il explique l’avoir dit aux policiers lors de sa première arrestation pour mœurs mais affirme l’impuissance de ces derniers sans expliquer si c’est pour absence de preuves ou par prescription (20 ans pour un viol). L’accusé pleure avec le père de la victime qui raconte sa détresse quand il s’est aperçut de la disparition de son fils. Evrard parle bien et beaucoup comme le fait remarquer le juge qui évoque évasivement la présence de la caméra comme cause probable de sa volubilité.

Le problème est posé sans l’être tout à fait. On a coutume de dire qu’un procès est une pièce de théâtre dans laquelle chacun joue un rôle. Cette scénarisation extrême ainsi que les enjeux qui s’y jouent participent à l’attrait que le spectateur moderne recherche dans un programme de masse. Le risque est grand que séduit par la tension tragique qui se dégage d’un tribunal, les médias s’engouffrent dans la brèche et obtiennent des autorisations pour filmer les débats comme cela se fait aux Etats-Unis. Là-bas, il existe même des « fans club » de sérials-killers dont les procès sont souvent diffusés sur les écrans de télévisions.  La passion populaire s’immisce dans les tribunaux.

 Le risque est pourtant  grand à « vedettiser » des criminels ou des violeurs en recherche de reconnaissance. Car ce qui frappe chez Francis Evrard c’est en effet ce besoin d’être l’acteur principal de cette pièce macabre. "Narcissique" selon son propre avocat, il aurait besoin d’exister autant qu’il se trouve incapable de contrôler ses pulsions sadiques.

Non la douleur et les misères ne doivent pas devenir un programme qui créent de la valeur ajouté à une entreprise télévisuelle en y apportant de l’audience. Comment penser aussi que la présence de caméras ne modifie pas la teneur des débats ou la plaidoirie d’un avocat ne serait-ce que d’une virgule. Cinq jours de procès ne sont-il pas expédié en 1heure et 31 minutes. Qu’avons-nous manqué d’important ? Qu’elles scènes ont été coupées ?  Pourquoi ? Non un procès télévisé ne doit être qu’exceptionnel même si on ne peut nier la valeur pédagogique d’en voir un, une fois.

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