Un Québec endormi ?
La société québécoise dort-elle depuis de longues années ? Est-elle figée dans la froidure de l’hiver ? Est-elle, au contraire, bien au chaud sous sa couette ? Quand va-t-elle sortir et se manifester vraiment ? Quand va-t-elle enfin s’exprimer par ses propres mots ?
![](http://www.agoravox.fr/local/cache-vignettes/L114xH76/aaquebec-3461f.jpg)
« Il y a des pays où l’ordre règne par la tyrannie des baïonnettes ; il y en a d’autres où la paix s’étend comme un vaste linceul sur les intelligences. Ici, [au Québec,] point de révolte de la conscience ou de l’esprit brutalement subjugué ; point de tentative d’émancipation, parce qu’il n’y a ni persécution, ni despotisme visible. Les hommes naissent, vivent, meurent, inconscients de ce qui les entoure, heureux de leur repos, incrédules ou rebelles à toute idée nouvelle qui vient frapper leur somnolence. »[1]
Cela a été écrit en 1874 par A. Buies, Français d’origine, considéré comme celui ayant écrit « l’une des pièces [...] les plus fortes de notre littérature »[2]. Le Québec a-t-il grandi dans cet état de somnolence ? Plusieurs opinions peuvent ici être données. Mais la question que nous devons aujourd’hui nous poser doit être formulée au présent : le Québec est-il endormi ?
Plusieurs diront haut et fort que, non, le Québec est au contraire dans la « course », au sein du Canada, comme beaucoup d’autres pays, même s’il connaît parfois quelques difficultés. Ces gens diront que le Québec est fortement industrialisé, urbanisé, civilisé même... Ils diront qu’il est ouvert sur le monde, progressiste (comme l’ont prouvé certaines manifestations), instruit et fier de l’être. Cependant, la mine basse, je répondrai à ces gens : oui... peut-être.
Peut-être, car dans le fond de moi-même, dans mon fond de Québécois, je me dirais que la masse, la société québécoise est malheureusement passive. J’utiliserai les mêmes mots que ceux de A. Buies en 1874, en me disant que, bien sûr, quelques personnes, seules ou en petits groupes, sont au contraire très actives « sociétalement ». Mais, en général, le Québec est calme, et ce calme est effrayant, car il endort tout doucement.
Il endort les consciences, emmitouflé dans des mécanismes qui étouffent tout moyen d’expression massif durable. Les partis politiques nous étouffent : « Nous avons trois partis, l’un de centre, l’un de droite et le dernier [le] plus ardent défenseur du néolibéralisme ». Nous n’avons pas d’alternative « réelle » à gauche, si ce n’est que l’UFP ou le Parti vert, qui amassent lors des élections un total de voix minime... Les médias nous étouffent : « Deux grands congglomérats (Quebecor et GESCA) [...] contrôlent l’information et limitent outrageusement le droit du public à l’information, la diversité des points de vue et la capacité des journalistes à exercer leur sens critique. » Le seul journal « autonome » et le plus à gauche est Le Devoir ; or « il n’existe pas ici de publication [quotidienne] populaire de gauche. » Globalement, notre beau système occidental-libéral nous étouffe... l’aspect économique étant sa principale force.
Alors, y a t-il une force supra-sociale qui tente de nous injecter un produit pour que jamais, jamais nous ne nous réveillions ? Pourtant, en plusieurs individus, un souhait de changement social est présent ; or, ce souhait reste souvent individuel ou groupusculaire... Il n’y a pas de phénomène de masse unissant les gens de façon durable pour un changement. Nous sommes floués, privés de mécanismes à caractère réellement social. Des choses se font, mais elles sont toujours éphémères. Ce qu’il faut au Québec, c’est un projet de société qui mette celle-ci au centre des priorités. Ainsi, que ce soit dans les partis, dans les syndicats, dans la rue, à l’université ou ailleurs, les gens s’intéresseront à la politique et se sentiront par le fait concernés. Unir les concitoyens, que ce soit dans les convergences ou dans les divergences, c’est avoir une société émancipée, réveillée, et réellement progressive. Un mouvement de gauche doit naître, et il doit être officiel, pour ainsi faire contrepoids à la droite économique trop puissante et trop libre, qui « ne propose jamais plus d’éducation, plus de soins de santé, plus de logements sociaux, plus d’équité dans la répartition de la richesse. »
Comme le dit Gil Courtemanche, journaliste et écrivain, auquel j’ai emprunté ci-dessus toutes les citations[3] : « Nous avons accompli une première révolution tranquille, nous sommes maintenant capables d’une deuxième » ; alors, réveillons-nous !
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