Un regard de l’étranger sur la France
Les Maquizards ont souhaité recueillir l’avis d’un observateur étranger sur la situation actuelle en France. Ils ont posé quatre questions au journaliste, écrivain et blogueur genevois Jean-Noël Cuénod, correspondant permanent des quotidiens suisses La Tribune de Genève et 24Heures à Paris.

Selon vous, a France a-t-elle entrepris les réformes structurelles nécessaires pour réduire sa dette publique ?
Le service de la dette publique en France représente le premier poste de décaissement pour l’État. Et les Français doivent traîner ce boulet au moment où la crise économique sévit. Il faut donc s’en détacher. Mais comment ? Et surtout quand ?
Le président Hollande et son gouvernement ont finalement cédé à Berlin, à l’instar des autres gouvernements du sud de l’Europe, en prenant des mesures d’austérité pour tenter de réduire cette dette. Hollande n’a pas eu le talent et le courage de se sortir du piège allemand dans lequel son prédécesseur Sarkozy était tombé en raison de son enthousiaste cécité. L’Allemagne n’a aucun intérêt à ce que l’industrie de la France et celle de l’Italie se refassent une santé ; son objectif est de conserver et conquérir les marchés des pays émergents. Dès lors, elle doit empêcher que les deux autres puissances économiques de l’Union européenne lui fassent concurrence en Chine, en Russie, au Brésil, en Inde et ailleurs. Par le biais du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) qu’elle a largement inspiré, la chancelière allemande a donc induit la France et l’Italie, ainsi que d’autres pays, à mobiliser leurs énergies dans la lutte contre la dette au lieu de mener une politique de croissance. La politique d’austérité prise au même moment par tous les pays d’Europe, alors que la crise économique est à son comble, a les effets cataclysmiques que l’on sait sur le chômage.
Pour s’en sortir, la France, comme l’Italie, doivent adopter une politique contra-cyclique, à savoir réduire la dette pendant la période des vaches grasses et stimuler la croissance durant la saison des vaches maigres. A n’en pas douter, les vaches italiennes et françaises sont aujourd’hui fort maigres. Ce n’est donc pas le moment d’alourdir leurs jougs. Pour l’instant, l’Allemagne se frotte les mains, ses deux principales concurrentes sur les marchés mondiaux sont bien malades. Mais cette stratégie peut aussi lui coûter cher puisque ses concurrents appauvris sont aussi ses clients.
Le chômage ne cesse de croître avec plus de 3 millions de demandeurs d’emploi. La compétitivité des entreprises est au cœur des préoccupations des pouvoirs publics. Les solutions préconisées par le gouvernement Ayrault pour relancer la croissance vous semblent-elles aller dans le bon sens ?
François Hollande a vu juste en poussant organisations patronales et syndicats de salariés à développer le dialogue social qui n’est pas précisément une vertu française. Seuls des accords syndicaux sont à même de remettre les entreprises françaises sur les rails de la compétitivité. Mais on ne décrète pas la croissance sur le plan national dans une économie mondialisée. La clé se trouve surtout à Bruxelles comme on l’a vu précédemment.
Dire la vérité en politique est rarement profitable, notamment dans les urnes. Depuis l’arrivée de François Hollande à l’Élysée, la communication du pouvoir a-t-elle changé sur le fond ? Entend-on un discours de vérité de la bouche des politiques ?
J’ai justement abordé cette question dans ma chronique parue jeudi 7 mars dans la Tribune de Genève et 24 Heures. Je vous la livre dans son intégralité.
Pourquoi les dirigeants de la France, de droite comme de gauche, racontent-ils régulièrement n’importe quoi ?
Sans remonter aux incantations du sorcier agité Nicolas Sarkozy sur la croissance qui va bondir et le chômage qui va fléchir, l’actualité récente a démontré que François Hollande, tel un chaman replet, récite de semblables mantras, avec le même insuccès.
Fixant la croissance droit dans les yeux pour l’hypnotiser, Hollande lui intimait l’ordre d’atteindre 0,8%. Elle sera à peine de 0,1% en 2013. Le président ordonnait aux astres d’arrêter le déficit public à 3%. Il atteindra 3,7% à la fin de cette année. Le mage élyséen multipliait les passes magnétiques sur le dos du chômage pour que sa courbe se dirige enfin vers le sol. Avec une croissance quasi-nulle, comment, diable, créer des emplois ? Mais François Hollande n’en a cure : la courbe du chômage fléchira, je le veux !
Bien entendu, personne ne croit à l’efficacité de ces moulins à prière. Mais cela n’empêche nullement président et ministres de poursuivre la pratique de cette pensée magique, avec l’aide complaisante de la machine médiatique. Le résultat se révèle navrant : la parole politique ne vaut plus rien, la méfiance s’installe, la déprime s’étend. La répétition de ces discours démonétisés n’est pas pour rien dans la dépression nerveuse collective qui atteint la France.
En disant n’importe quoi, les dirigeants de ce pays veulent sans doute paraître « volontariste », le grand mot à la mode. Ils pensent, à tort, que cet étalage de volonté redonnera un brin de confiance à ceux qui l’ont perdue depuis belle (ou triste) lurette. Ils espèrent aussi gagner du temps jusqu’à ce que la conjoncture se retourne. Mais elle est de mauvaise composition, la conjoncture, et ne se retourne pas au gré des désirs gouvernementaux.
L’usage du « n’importe quoi » révèle surtout un mépris d’airain envers le peuple qui serait incapable de supporter qu’on lui dise la vérité.
François Hollande n’a pas changé la façon de gouverner la France et se contente de suivre docilement la trace de ses prédécesseurs. Or, les temps sont bouleversés. Les échanges via les réseaux sociaux et le développement des données disponibles sur l’Internet sont en train de modifier en profondeur les relations entre le pouvoir et ses administrés.
Les affirmations mensongères ne tiennent pas un jour. Les statistiques trompeuses sont dénoncées aussitôt. Ce qui devait rester secret apparaît au grand jour. On ne peut donc plus gouverner la France comme à l’époque de Mitterrand, Chirac et même Sarkozy.
A l’occasion de la guerre du Mali, François Hollande a démontré qu’il savait prendre des décisions lourdes de conséquence. Il serait donc capable d’abandonner la pensée magique pour revenir au réel. Ses concitoyens n’en seront pas plus déprimés. Ils seraient même satisfaits de constater que, pour une fois, leur plus haut responsable ne les prend plus pour des truffes.
En période de crise, les tensions s’exacerbent entre les citoyens, entre les communautés. Les positions des uns et des autres se radicalisent. Quel regard portez-vous sur la société française et sur sa justice sociale ?
Il règne en France un climat moral fait de suspicions et d’angoisses, d’abattement et de révolte. La multiplication des suicides-protestations devant des agences de Pôle Emploi et sur les lieux de travail, les « pétages de plombs » dans les locaux publics, la popularité galopante de Marine Le Pen sont les expressions de ce malaise collectif qui, pour l’instant, ne s’est pas transformé en émeutes organisées. Les colères ne savent pas à quels démons se vouer : le capitalisme sauvage et mondialisé ayant mille visages, il n’en a aucun. Dès lors, ces colères se tournent vers le « prochain différent ». Ce sera l’Arabe musulman pour le Français de souche. Le Gaulois pour le Français d’origine maghrébine. Ou alors le Juif, comme d’habitude. L’application de la laïcité, telle qu’elle a été conduite jusqu’à présent n’a pas suffi à empêcher le communautarisme d’exercer ses ravages. La question laïque doit donc être posée de façon urgente. Il faut lui redonner un contenu qui soit adapté au temps présent et lui insuffler un nouvel élan. A cet égard, l’État ne peut pas conduire seul cette rénovation de la laïcité ; des organisations de la société civile ont un rôle éminent à jouer.
Vous pouvez retrouver Jean-Noël Cuénod sur son blog « Un plouc chez les Bobos » http://jncuenod.blog.tdg.ch/
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