Un roi ne devrait pas dire ça !

Pour finir cette année 2017 avec un sourire aux lèvres, voici des extraits du premier acte d'une pièce intitulée "un roi ne devrait pas dire çà !" Elle est en cours de création (et l'auteur est, lui, en récréation). Le titre vous dit quelque chose ? Normal, c'est le détournement d'un titre de livre politique publié cette année et consacré à un certain monarque républicain... Seul l'acte I est terminé, soit six scènes dont les deux premières sont proposées ici en avant-première ainsi que la quatrième.
Avertissement : Avant d'aller plus loin, les lecteurs (trices) doivent être averti(e)s qu'il s'agit d'un genre que l'on appelle le théâtre de l'absurde.
Acte I
Scène 1 – La sortie du roi
Personnages : le roi, le porteur tout court, le porteur de cadavre, le porteur de porte, le porteur de nouvelles
Le roi :
Porteur ! Porteur !
Les porteurs hésitent et s’observent. Finalement, ils s’avancent tous ensemble, timidement.
Le roi :
Pas vous tous ! Seulement mon porteur, mon porteur au sens propre du terme. Comment vous le dire ? Mon porteur de corps…
A ces mots, le porteur de cadavre s’avance d’un coup.
Le roi, furieux :
Mais non, pas vous, crétin ! C’est prématuré ! Ne voyez-vous pas que je me porte comme un charme ! Trouvez-vous que j’ai l’air d’un macchabée ou d’un moribond ? Je veux mon porteur tout court ! Reculez donc ! Encore ! Eloignez-vous ! Disparaissez ! Porteur !
Le porteur « tout court » fièrement :
A votre service, votre majesté !
Le porteur de cadavre, piteux, à part :
Lèche-bottes ! Je ne le porte pas dans mon cœur, moi, ce porteur…
Le roi :
Qu’est-ce que vous marmonnez dans votre barbe de croque-mort ?
Le porteur de cadavre :
Moi, sire, oh, mais rien, rien du tout.
Le roi, immobile semblant attendre quelque chose :
Eh bien, où est l’autre ?
Le porteur « tout court » :
Mais…qui donc, votre majesté ?
Le roi :
Mais le porteur de nouvelles ! Naturellement. On doit savoir que je n’aime pas perdre mon temps, que j’aime l’organisation. Quand on me porte, je désire que l’on me porte les nouvelles en même temps.
A l’annonce de son nom, le porteur de nouvelles fait irruption en courant et dans sa précipitation, il relève son pantalon.
Le roi, interloqué :
Eh bien, est-ce une façon de se présenter devant son roi ?
Le porteur de nouvelles :
Sire, je viens tout juste d’arriver, je reviens d’un long périple et j’avais besoin de…
Le roi :
Besoin ? Besoin ? Qu’avez-vous besoin de besoin ? Il n’y a que le roi qui a des besoins !
Le roi :
Bien. Nous allons sortir. Porteur de porte ! Où est-il ? Il faut tout leur dire…
Le porteur de porte apparaît avec une porte sur le dos. Il la dépose devant le porteur tout court qui porte le roi qui porte toute sa majesté. Il ouvre la porte et dit :
Le roi sort !
Le roi :
Attendez !
Le porteur de porte :
Le roi ne sort plus !
Le roi, à part :
Imbécile ! Je sors !
Le porteur de porte :
Le roi re sort !
Le roi sort en effet et le porteur de porte referme la porte derrière lui. Puis après s’être assuré que le roi se fut éloigné, il reprend la porte sur son dos et s’en va par le fond de la scène, courbé et en grommelant.
Le porteur de porte :
Ma femme (à la manière de Columbo) qui craint les courants d’air ! Et moi qui dois garder cette porte près de moi tant que le roi n’est pas revenu au palais. Et quand rentrera-t-il ? Tout çà, ce sont des détails qui me chiffonnent… (la main sur le front, à la manière de Columbo)
Encore une opération porte ouverte à mon logis ! Ma pauvre épouse va se plaindre qu’un jour elle attrapera la mort par la faute de sa majesté. Sa majesté sort, Sa majesté rentre, Sa majesté ressort ! Et tout cela me laisse sans ressort…Bah ! Il faut bien faire son métier. Mais ce serait bien le comble qu’un jour ma femme (même remarque) me mette à la porte, moi, un porteur de porte !
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Scène 2 - Les deux poètes
Personnages : poète 1, poète 2, le porteur de porte, la femme de ce dernier
Deux poètes marchent sur le chemin et voient arriver vers eux le porteur de porte de sa majesté le roi.
Premier poète
Voyez cet homme qui vient vers nous, c’est le porteur de porte de sa majesté le roi. A longueur de journée, il pousse et je repousse la porte royale avec pompe et cérémonie au gré de la fantaisie du roi. Il l’imite avec emphase et gestes amples : « Sa majesté sort ! Sa majesté rentre ! »
Second poète
C’est un dur métier. Moi cela me ferait sortir de mes gonds. (Rires).
Premier poète
Et vous ne savez pas la meilleure : il habite la maison que vous voyez là-bas (il la montre) qui se trouve accolée à celle du porteur de porte de sa majesté la reine.
Second poète
Ah ? Une congrégation de porteurs de portes ?
Premier poète
Non ! Ses majestés ont décidé de les grouper pour la commodité de la chose. Quand un des deux porteurs est malade, l’autre prend sa place, quand ses majestés sortent ensemble, les deux porteurs viennent ensemble au palais.
Second poète
Finement pensé ! Mais ces deux maisons n’ont elles-mêmes aucune porte. Pourquoi ?
Premier poète
C’est pour que les porteurs entendent crier les ordres de leurs majestés.
Second poète
Mais bien sûr ! Finement pensé ! Et les deux porteurs, entre eux, s’entendent-ils bien ?
Premier poète
Pardi ! Puisqu’ils n’ont pas de porte…
Second poète
Je veux dire, est-ce qu’ils sont amis ?
Premier poète
Ils sont comme cul et chemise.
Second poète
Tant mieux ! Il n’est rien de pire pour un cul que d’être sans chemise. Surtout que l’hiver, leurs deux culs doivent souffrir du froid dans leurs logis sans portes…
Premier poète
Alors que les poètes ne sont jamais mieux inspirés que lorsqu’ils ont la bise au cul.
Second poète
Ou quand il leur prend l’envie de trousser des chemises.
Premier poète
C’est en ces occasions qu’ils troussent leurs meilleurs vers ! (rires)
Second poète
Ils s’en vont nus comme des vers.
Premier poète
En récitant des vers !
Premier poète
Comme ça sans rime ni raison ?
Second poète
A-t-on besoin d’une raison pour versifier ? Il suffit de rimer. Faire bonne chair et bonne rime.
Premier poète
Rimailleur !
Second poète
Non : je rime ici ! Pas ailleurs…
Premier poète
Mais la rime voyage, rester sur place à quoi ça rime ?
Second poète
Cela ne rime à rien mais cela sonne…
Un bruit de sonnerie se fait entendre. Il vient de la porte du porteur.
Premier poète
Cela sonne en effet : allez ouvrir !
Second poète
Si vous la fermez.
Premier poète
Allez-vous ouvrir à la fin ?
Second poète
Allez-vous la fermer à la fin ?
Un temps. Finalement, ils se dirigent tous les deux vers le porteur de porte.
Premier poète
C’est vous qui sonnez ?
Le porteur de porte
Oui, c’est bien moi.
Le second poète
Et pourquoi sonnez-vous ?
Le premier poète
Pourquoi ne frappez-vous pas plutôt ?
Le porteur de porte
Chez elle, seule sa majesté peut frapper. Sa majesté frappe monnaie, sa majesté frappe les esprits de ses sujets par sa magnificence et sa grandeur, sa majesté frappe ses sujets, sa majesté frappe aux portes, c’est ainsi. Interdiction pour tous ses gens de frapper comme sa majesté.
Second poète
Mais bien sûr ! Finement… ! Enfin, comme ceci est bien pensé !
Le porteur de porte
Aidez-moi, je vous prie, à poser cette porte contre ce talus…(le premier poète l’aide) ah…merci. Il fait une pause et respire profondément puis se met à crier (les poètes sursautent) : « apporte-moi mon déjeuner ma jolie colombe ! »
Sa femme (au loin)
Je te l’apporte dans deux minutes, mon chéri.
Le porteur de porte
N’oublie pas les cornichons, ma beauté ! Et ajoute une bière, ma merveille !
Les poètes se regardent
Le premier poète, épaté
« Ma jolie colombe, ma beauté, ma merveille » !
Le porteur de porte
Oui, quand on s’adresse à une femme, il faut des phrases construites en trois parties : sujet, verbe et…
Le second poète
Complément !
Le porteur de porte
Non : compliment !
Le second poète
Sujet – verbe – compliment ! Quel esprit !
Le porteur de porte
C’est que je ne suis pas seulement porteur, j’étais portier avant.
Le second poète, ironiquement
Tout s’explique.
Les deux poètes s’en vont.
Eh oui, messieurs les poètes, messieurs les gens de geste, comme il convient de dire maintenant, j’étais portier avant et je portais beau, tout comme vous. Costume élégant, gestes élégants. Et les gants, les jolis gants, je ne les salissais pas. Aujourd’hui je sue, je porte, je supporte l’odeur de ma propre sueur ! Les porteurs, ça travaille, alors que les gens de geste, ça prend des poses mais ça ne fait pas grand-chose. Bande de parasites !
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Saut de la scène n°3 non publiée ici et passage à la scène 4
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Scène 4 : la maison du portier
Maison n°1 / Personnages : le porteur du roi, sa femme et leur invité : le porteur de nouvelles. Les personnages parlent très fort.
La femme
Et Sa Majesté, comment se porte-elle ?
Le porteur de nouvelles
Sa Majesté se fait porter !
La femme
Chut ! Pas si fort : la voix porte…
Le porteur du roi
Par le porteur de cul, pardon, par le porteur de corps !
Le porteur de nouvelles
Tout juste et vous savez ce qu’on dit ? Quand j’arrive avec mes nouvelles, le roi se lève de son trône et…
Le porteur du roi
Le roi pète ?
Le porteur de nouvelles
Non. Pas quand même. Le roi se lève et le porteur se retrouve caché derrière son royal séant. Autrement dit : quand je vois le devant qui plastronne, il voit le derrière qui détrône.
Le porteur de nouvelles
Vous n’avez pas les mêmes points de vue. Il a vue sur le fondement de toutes choses…
La femme
Le fondement de toutes choses, c’est l’obéissance. Parlez plus bas…
Le porteur de nouvelles (plus bas)
Vous connaissez la devise des porteurs de nouvelles ? « Je suis venu au monde. Maintenant, c’est au monde de venir à moi ».
La femme
Oui, nous la connaissions. Vous nous l’aviez déjà dite.
Le porteur de nouvelles
Eh bien, je peux vous dire qu’elle est mise à mal avec la concurrence déloyale des colporteurs, cette engeance, ces insectes, d’ailleurs, vous savez le surnom que je leur donne ?
La femme
Oui : les cloporteurs !
Le porteur de nouvelles
Tout juste, et c’est mérité. Maintes fois, au lieu de convoquer son porteur de nouvelles, le roi a confié ces temps-ci des missions de communication à de simples colporteurs. Ces cloportes qui colportent ! Alors, évidemment, vu le faible professionnalisme de ces gens-là et leur manque de discernement, ils en arrivent à répéter des choses qu’il ne fallait pas. Et l’opinion réagit en s’écriant « un roi ne devrait pas dire çà ! » Alors qu’un bon porteur de nouvelles, ça sait lire entre les lignes, ça sait se montrer discret sur certains sujets. Bref, il montre du tact et du métier.
Le porteur du roi
Est-ce que les rats porteurs et les cols porteurs ont enfin trouvé un terrain d’entente ?
Le porteur de nouvelles
Nullement ! Bien au contraire, ils en sont venus aux mains. Avant, il y avait la guerre des classes entre les cols bleus et les cols blancs, mais c’était plus normal et plus franc. Depuis que le roi a aboli cette différence, il existe un conflit larvé, très sournois entre les cols et les rats. Eh bien, il a fallu qu’il éclate au grand jour !
Le porteur du roi
Pourtant, tous ceux-là sont désormais sous une unique profession : sou l’enseigne « Col & Rat ».
Le porteur de nouvelles
La peste soit du « Col & Rat » ! Vous auriez vu cette violence !
Le porteur du roi
A-t-on rapporté au roi la crise que traverse la corporation des porteurs, à cause de la concurrence de ces maudits sherpas ?
Le porteur de nouvelles
L’un des rapporteurs a parlé de la concurrence déloyale des sherpas. Si leur escala-pente se répand, a-t-il dit, ce sera la fin des porteurs.
Le porteur du roi
On dit aussi « gravi-pente ». Mais qu’en a dit sa majesté ?
Le porteur de nouvelles
Les rats porteurs ont étouffé l’affaire en moins de deux, en disant que c’était une hypothèse des cols. Les cols ont bloqué tout débat en hurlant « scélérats ! » Puis, ils ont enseveli le tout sous une tonne d’amendements. Bref, comme toujours rien n’a abouti.
Fin de l'extrait de la pièce en construction.
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