Un soliloque d’Oblomov
« Dieu n’existe plus… nous sommes devenus orphelins ! » Oblomov ne comprit tout de suite pas ce qui l’avait tant bouleversé dans ces quelques mots prononcés devant lui.
Il n’existe plus ? Il n’a jamais existé ! Orphelins de quoi, de qui ? D’une puissance tutélaire qui a servi siècle après siècle, dans quelque endroit de la terre que ce soit, à maintenir la sujétion de presque tous au profit de quelques-uns. En échange de biens durement arrachés à la terre, une éloquence lointaine et solennelle distille des plaisirs éternels dans un monde qui n’a pour défaut que de ne pas exister. Des rituels aussi pompeux que ruisselants de richesses masquent la vacuité de l’échange. Celui-ci étant tellement factice, il faut capter l’innocence dès le plus jeune âge afin que le subterfuge imprègne les esprits. Il faut faire semblant de maîtriser l’imprévisible pour habiller les sachants d’atours qu’ils n’ont pas, de vérités dont ils ne connaissent même pas le sens. Il convient de faire croire jamais de faire comprendre. La réalité n’est destinée qu’à quelques-uns. La force d’une société, c’est sa cohérence et tout doit être fait pour qu’un Père divin ou pas décide de ce qui se passe sur Terre, pour que les petits bras de la cheffitude exercent leur emprise sur leurs semblables. La force, c’est le groupe, le groupe c’est la doctrine, le respect de la doctrine c’est la survie de l’Homme. L’Homme comme tous les autres animaux ne vit que pour survivre.
C’est ce que disent les autres… Alors, je fais comme eux ?
En évoquant les autres Oblomov se sentit défaillir. Il avait eu tant de mal à se détacher de leurs mesquineries quotidiennes, de leurs sermons aussi doctes que vides, de leurs idées qui n’illustraient que leurs intérêts qu’il ne pouvait pas en être cette fois autrement. S’ils ont tué Dieu, d’ailleurs la plupart l’ont seulement mis de côté car trop gênant pour leur business, ce n’est pas par amour de la vérité, pour découvrir un beau qu’il obscurcirait de son ombre. C’est seulement parce qu’ils ont trouvé un moyen plus efficace de plonger leurs mains de rapaces au plus profond de la poche des honnêtes gens. Honnête !? Voilà bien quelque chose qui ne se mesure pas, ne se pèse pas, ne s’apprend pas ni dans les grandes, ni dans les petites écoles. C’est un je-ne-sais-quoi qu’on ne peut pas définir mais qui change tout. C’est une exception que l’on rêve de rencontrer au milieu de magmatiques échanges. C’est ce qui permet de bâtir une société où l’on a plus besoin de preuves d’amour, l’amour s’y trouve déjà partout. Tous les je-ne-sais-quoi mis bout à bout permettent d’habiter le néant pour le sauver de l’absurde. Les je-ne-sais-quoi ce n’est rien d’autre que l’homme, plein d’indécision mais qui pour rien au monde n’accepterait une quelconque compromission avec de quelconques bassesses.
Et les je-ne-sais-quoi sont féconds mêmes plongés dans des océans de mécaniques lubriques. Mais si l’on vit vraiment que reste-t-il les scories une fois enlevées ? Qu’a-t-on vécu qui mériterait d’être vécu une seconde fois ?
Ariadna se tenait légèrement penchée au-dessus de la table où était posée une tasse de thé bouillant. Le temps s’est immobilisé depuis et les années passent sans altérer cette image. Cette joie de pouvoir accompagner lointainement des enfants en essayant de leur faire voir le beau et en essayant de leur cacher la plupart du reste. Le Beau, comment le définir ? Le Beau mais aussi le convenable, le on-ne-fait-pas-ça. Il n’y a pas besoin de faire appel aux plus grandes profondeurs des esprits pour savoir ce que l’on ne peut pas faire. Les règlements, les lois, sont bien moins contraignants que ce petit je-ne-sais-quoi présent à tout moment, à tout instant et qui vous interdit les insignifiances.
L’Homme mécanique même et surtout empli de toutes les bonnes raisons du monde, est capable du pire, il n’a jamais tort. Il sait, il applique, c’est le Bien. On a vue des foules parfaitement éduquées voire cultivées se transformer en tortionnaires atroces, chacun faisant comme tout le monde : des forcenés de la mesure, du quantitatif, du rationnel sans limites. Donnant-donnant, l’honneur bafoué, un monde sans absolu, sans amour.
Ce n’est pas Dieu que l’on a tué, c’est l’Amour.
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