Un spectre hantera-t-il bientôt l’Europe ?
Un spectre hantera-t-il bientôt l’Europe ? Il n’a pas encore de nom ni de visage(s) mais il appartiendra peut-être bientôt à tous les citoyens que révolte le spectacle grandissant du chaos annoncé de lui donner corps. Et il est grand temps de donner quelques coups de sonde dans cette opacité qui caractérise toutes les périodes « aveugles » de l’histoire, ces intervalles où l’ancien monde n’en finit pas de sombrer alors que le nouveau peine à apparaître. Or, dans la pratique des soins de la psyché que nous exerçons depuis maintenant de nombreuses années, et si pareillement depuis longtemps l’intrication des souffrances morale et sociale est indéniable, ces dernières semaines ont vu éclore dans les discours une thématique, d’une manière certes sporadique mais suffisamment factuelle et réitérée pour qu’il faille l’interroger. Cet objet qui, tel un ectoplasme, tenterait de se faire jour dans l’inconscient psychique et social, demeure encore mal défini. C’est un espoir qui nécessite d’être accouché, conceptualisé, car pour l’instant il ne se réfère qu’à un nom dont il faudrait se demander de quoi il serait la signification. Ce nom c’est celui du défunt président vénézuélien, Hugo Chavez.
Si l’oreille d’un thérapeute est exercée à repérer la répétitivité des signifiants qui manifeste qu’un contenu sous-jacent important cherche à se frayer un chemin à la prise de conscience, il est plus rare que ce signifiant soit le nom d’une personne, qui plus est mal connue quand ce n’est pas délibérément caricaturée par les médias. Il s’agit donc d’un symbole lequel, malgré (ou à cause) du barrage des filtres sociaux évoqués, a réussi à répondre à des angoisses profondes, individuelles et sociales intimement mêlées.
Pourquoi cette fascination renvoyée par la figure d’Hugo Chavez et ensuite récupérée par toutes ces mouvances qui tâtonnent à proposer des alternatives politiques en rupture avec le néo-capitalisme contemporain devenu insupportable ? Et ce bien sûr d’abord au sein de la gauche radicale. Pour celle-ci on évoquera évidemment la parenté idéologique mais probablement également l’envie suscitée par le charisme du personnage et surtout sa capacité à agir. Il est vrai qu’en dotant le Venezuela d’une fabuleuse rente pétrolière, le destin a donné à Hugo Chavez les moyens de sa politique d’indépendance et de redistribution des richesses. Jusqu’à ce jour aucune bonne fée n’a donné ni à la France ni à l’Europe un tel pactole qui seul pourrait permettre par exemple au programme économique du Front de Gauche de pouvoir se concrétiser sans tensions extérieures ou intérieures insupportables. Car même ainsi pourvu, ce ne fut déjà pas une tâche facile pour le « comandante » tant s’ingénièrent à lui mettre des bâtons dans les roues les tenants de l’ordre oligarchique qu’il défiait.
Mais comment expliquer que l’on retrouve pareille attraction dans des mouvements qui ressortent manifestement d’une idéologie a contrario réactionnaire même s’ils s’en défendent ? Probablement parce que dans la confusion actuelle, l’indigence de la pensée politique et un désir pressant de rupture avec l’ancien monde, le terreau est de nouveau fertile à l’éclosion d’une pensée monolithique qui donnerait du monde une explication rassurante. Alors on amalgame tout ce qui fait résistance, le meilleur et le pire, la carpe et le lapin. Nous n’irons pas plus loin ici dans le cadre de cette réflexion. Et même si nous en avons déjà suffisamment dit c’est tout simplement parce que jamais Hugo Chavez ne se serait fourvoyé sur le terrain fort glissant et de sinistre mémoire du « complot judéo-maçonnique » sur lequel certains s’aventurent. Et ce même si d’autres ont voulu lui faire endosser des propos antisémites qui n’auront jamais existé que dans la volonté de ces thuriféraires de la désinformation.
Une explication pourrait donc être à chercher dans la psychologie collective. Celle de la quête de « l’homme providentiel », du « sauveur », du « père », guide et protecteur dans la tempête. Et avec toute l’ambivalence et les risques qu’un tel désir peut recéler. Et dans ce cas particulier qui nous occupe et pour que les choses justement soient claires nous ne pouvons que renvoyer à l’analyse de notre confrère Hervé Hubert : « Hugo Chavez : un transfert historique »*.
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S’il était ainsi d’abord nécessaire de repositionner le président Hugo Chavez à la place qui était (qui est toujours) la sienne, celle d’un homme de gauche, révolutionnaire et respectueux des valeurs républicaines, il ne faut également pas perdre de vue que son idéalisation, à travers notamment les mécanismes psychiques individuels et collectifs que nous venons de décrire, se doit d’être constamment ramenée à sa dimension purement humaine et donc faillible. Le fantasme messianique est une chose et la réalité en est une autre. Ceci dit, examinons toutefois en quoi cette figure démythifiée pourrait cependant symboliser un avenir meilleur que celui qui nous est prédit.
C’est à notre sens en rassemblant les diverses expérience novatrices de ce qui se passe en Amérique latine depuis plusieurs années (plus d’un demi-siècle si l’on inclut Cuba qui est toutefois un cas assez particulier) que l’on peut comprendre de quoi le symbole Chavez est porteur. Celui d’un renouveau de l’idée républicaine et socialiste, celui d’un monde plus juste, plus libre, plus égal, plus fraternel où chacun pourrait retrouver le sentiment de vivre davantage sa vie et non plus de la surtout subir.
Ajoutons en effet bout à bout la constitution équatorienne de 2007, portée par la volonté de Rafael Correa de « désactiver le néolibéralisme » et de promouvoir le « bien-vivre » et le respect de la nature laquelle est dotée de « droits » (article 71) **, les réformes dans la même orientation en Bolivie et en Uruguay sous les mandats actuels d’Evo Moralès et José Mujica, et l’expérience vénézuélienne elle-même et nous verrons s’esquisser les contours d’un modèle de société où l’intégrité, la dignité pour tous et la sobriété dans le développement forment les lignes de force d’un avenir moins désespérant. De l’expérience cubaine mentionnée un peu plus haut, nous noterons que les dirigeants révolutionnaires sud-américains actuels, que nous venons d’évoquer, ont intelligemment retenu les enseignements, positifs comme négatifs. Nous remarquerons également et toutefois qu’ils bénéficient également d’un environnement international un peu moins hostile même s’ils n’oublient certainement pas le sort tragique dévolu au Chili de Salvador Allende dont les atermoiements idéalistes ne pouvaient qu’être broyés par la réalité. Savoir tenir la position juste entre la résistance aux tentatives de déstabilisations sans verser dans la tentation totalitaire de la « forteresse assiégée », c’est aussi le délicat exercice d’équilibre qu’aura su mettre en œuvre Hugo Chavez et qui inspirera ses émules.
Et avant de conclure nous nous arrêterons également sur une image pareillement non dénuée d’ouverture sur le monde à venir, celui d’un socialisme qui intègre la légitimité d’une dimension spirituelle. Pour notre part, et toujours en référence à notre expérience des soins de la psyché, nous noterons qu’il semble y avoir en l’être humain une aspiration incoercible à cette dimension soit qu’elle relève d’un mécanisme de défense contre la finitude, soit qu’elle soit la manifestation enfouie d’une dimension transcendante. Nous remarquerons également que des décennies d’athéisme imposé dans la défunte URSS ont été inutiles quand elles ne furent pas source de souffrances morales et d’un retour du refoulé désormais problématique dans la société russe où l’orthodoxie revendique une place qui empiète parfois sur la laïcité. Alors, et surtout si l’on ajoute la surdétermination qui fait de lui aussi un personnage particulièrement « honni » et « diabolisé », l’image du musulman Ahmadinejad venu rendre hommage à son ami chrétien Chavez revêt également dans cette dimension une portée symbolique en refusant notamment le futur qui nous est préparé, celui d’un choc des civilisations.
La « révolution bolivarienne » s’est remise en marche après des décennies de sommeil. Et, de même qu’après l’effondrement de la civilisation romaine la re-christianisation de l’Europe se fit en partant d’une marche lointaine, l’Irlande, il se pourrait bien que dans les années difficiles que nous traversons l’Europe soit de nouveau irriguée par l’idée socialiste revenue rénovée d’Amérique latine.
Lancelot
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Références :
* Hervé Hubert : « Hugo Chavez : un transfert historique » (http://www.legrandsoir.info/hugo-chavez-un-transfert-historique.html)
** « Equateur : une nouvelle constitution pour bien vivre » sur le site MAPIC Tarn et Garonne
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