Un stage, droit dans ses bottes …

L’absurde demande discriminante.
Retournons dans ce charmant petit village en lisière de Sologne. La vie rurale y est très agréable, les enfants sont encore libres de circuler à bicyclette sans prendre de trop grands risques. Les habitants se connaissent, se saluent ; on y vit comme autrefois, avec cette qualité de relation qui faisait alors notre douce France. Au collège, la discipline y règne sans grande difficulté.
Mais c’est justement de ce collège que surgit la contrariété qui nous préoccupe aujourd’hui. Comme partout ailleurs, les élèves de troisième sont invités à trouver un lieu de stage afin de découvrir les réalités du monde du travail. Si cette requête est légitime, qu’elle s’inscrit dans une volonté d’ouverture sur l’extérieur, elle soulève bien des difficultés à qui ne dispose pas d’un réseau large et actif. Les emplois en ce coin de France ne courent pas plus les rues que les zones industrielles, absentes de l’endroit.
La recherche du stage finalement incombe le plus souvent à la famille. Encore une initiative de l’Éducation nationale qui aggrave les inégalités, favorise la classe dominante au détriment des gens en situation d’isolement, de précarité ou bien d’intégration. Les enfants de ces derniers, le plus souvent, se contentent de répondre à la demande en choisissant par défaut des lieux sans valeur réelle. À l’école, on ferme les yeux, on se contente de valider l’effort sans juger de son contenu …
Mais voilà qu’un garçon décide de profiter de cette opportunité pour découvrir les métiers du droit. Il se rêve avocat ; il peut tout aussi bien se penser notaire ou bien juge. Le droit et la justice l’ont toujours attiré. Il en parle à sa mère, femme isolée, seule avec ses deux enfants, travaillant dans la grande ville, ne faisant que courir de son emploi à son appartement, nouvellement arrivée dans le village …
Elle n’a ni le temps ni le réseau pour trouver ce stage, pourtant obligatoire. Elle sollicite ses amis ; ils sont tout aussi incapables qu’elle de trouver ce trésor sous les sabots d’un cheval. Les hommes de droit aiment s’installer dans la grande ville, distante de trente kilomètres : un gouffre pour un gamin qui ne dispose que d’un modeste vélo. Quant à sa mère, elle travaille dans la cité nouvelle, distante elle aussi de la grande ville et ne peut en même temps se rendre à son travail et conduire son enfant …
Mais je vais trop vite, la grande difficulté de l’heure ne réside pas dans les problèmes logistiques. Il faut découvrir la bonne adresse, ce haut lieu de justice et de droit qui dira oui à une requête peu habituelle. La femme prend une journée de congé pour appeler tous les avocats de la cité. Cinquante appels, presque autant de refus polis et courtois. Trois demandes de lettre de motivation, formule plus subtile de mise à distance du quémandeur.
Elle se décourage, s’énerve et se lasse. Elle tente d’activer son maigre réseau de relations. Ce sont des amis de la toile la plupart du temps. Elle fait appel à eux. Elle écrit une lettre vindicative et quelque peu irritée :
« Mes chers amis FB,
J'ai besoin de vous et je sais combien vous sentir utiles vous comble de bonheur.
Mon fils, actuellement en 3ème, doit (comme tous les élèves de 3ème) trouver un stage du 6 au 10 février. G... veut travailler dans le domaine du droit plus tard et si possible dans un cabinet d'avocats.
Il souhaite donc trouver un stage dans un cabinet. Oui, mais voilà... Je viens de passer ma journée au téléphone (je peux vous dire que je maudis l'éducation nationale). Même si 3 cabinets m'ont poliment demandé d'envoyer la lettre de motivation de G. sans trop avoir d'espoir, 45 autres ont refusé...Alors bien sûr, il y a plus de 50 cabinets à Orléans et je n'en suis qu'à la 5ème page des pages jaunes sur 18, je suis...comment dire...découragée.
Alors, si parmi vous ou parmi vos amis orléanais, vous connaissez une personne qui se ferait un plaisir d'accueillir un collégien pour quelques jours, je suis preneuse ! Tout ce qui touche le droit nous intéresse ! Mon fils veut un stage utile et non pas une semaine fourre-tout pour faire plaisir à ses professeurs. Bref : n'hésitez pas à partager entre amis (les amis de mes amis sont mes amis !) et contactez-moi en message privé. Je compte sur vous, merci pour lui. A suivre, sa lettre de motivation)
Lettre de motivation / Stage du 6 au 10 février 2017
Lorsqu'on m'a demandé de chercher un stage, je n'ai pas hésité longtemps : j'ai dit « je veux trouver un stage dans le domaine de la justice et du droit ».
Depuis longtemps, je suis attiré par des métiers comme avocat, commissaire, juge ou encore notaire. Mon professeur principal m'a conseillé de me diriger plus tard vers des études de droit.
En attendant, je suis en 3ème Anglais/Allemand/ Latin-Grec et je souhaite intégrer un cabinet d'avocats sur Orléans afin de me faire une idée de ce qu'on peut faire quand on est avocat. Mon stage se déroule du 6 au 10 février 2017 (juste avant les vacances) et j'espère que vous pourrez m'accueillir.
Pour en savoir un peu plus sur moi :
Je suis né le 1er …. 2002. Jusqu'à mes 8 ans, j'ai vécu à T... où je pratiquais des sports comme la natation, la gymnastique, le taekwondo, et de la musique, du djembe.
Depuis 2011, je vis dans le Loiret. Je fais du sport en club chaque semaine (tennis, futsal, badminton, volley). Mes loisirs sont la lecture (fan d'Harry Potter), la musique (je prends des cours de piano et de solfège).
J'aime aussi beaucoup voyager. J'ai déjà visité la Polynésie Française, la Nouvelle Calédonie, la Bretagne, l'Allemagne (en jumelage avec ma commune), la P... il y a quelques semaines (projet ERASMUS+ avec l'école) et en avril prochain, j'irai à Rome avec ma classe. Je suis sérieux et studieux. On me dit gentil, généreux, intelligent et un peu timide. Je vous remercie par avance et vous laisse mes coordonnées pour me contacter.... »
L’appel est relayé, il est partagé par vingt amis de la dame. La recherche demeure sans réponse. Ce n’est guère surprenant : ce stage n’est qu’un miroir aux alouettes. On sait parfaitement que la plupart des élèves vont trouver ce qu’ils peuvent, sans relation directe avec leurs désirs et leurs envies. Pire que tout : tous les élèves doivent partir à la même date, c’est un problème d'organisation interne de l’établissement et d’encombrement automatique des possibles dans la commune concernée.
L’Éducation nationale se plaît à ajouter chausse-trappes et obstacles à ceux qui sont destinés à rester sur le bord de la route. C’est devenu sa nouvelle fonction : maintenir et amplifier les écarts de la naissance et de la fortune. Le stage n’est qu’un élément de plus dans cette vaste course d’obstacles qui agrémente la scolarité d’un élève. Je n’évoque pas ici les frais pour les concours en fin de parcours, les sommes exorbitantes réclamées et les voyages délirants qu’ils entraînent.
Naturellement tout ça participe d’une volonté claire de ne pas bousculer les lignes, de maintenir les privilèges pour les uns et les impasses pour les autres. Je vous dispense des refus rencontrés par les enfants issus de l’immigration quand ils arrivent pour réclamer un stage ; vous ne croirez pas cela possible dans notre beau pays si fraternel.
Alors, si vous pouvez aider ce jeune garçon sur Orléans, faites m'en part. Je transmettrai. Quant à faire entendre quoi que ce soit à dame Najat, il y a longtemps que j’ai renoncé. Le pouvoir coupe de la réalité surtout ceux qui veulent oublier d’où ils viennent. Merci à vous.
Stagièrement sien.
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