« Un Stradivarius dans un corps de camionneur. »
Une campagne de Russie, pour faire taire les clameurs,
Bateleur planétaire, lutherie renommée.
Gérard Depardieu, par l'éternel dénommé.
Préhistorique, antique, celtique et romantique,
Un saint ogre, par Bacchus et chronos cosmiques.
Racine, Balzac, Dumas, Hugo, Camus, Aymé
Panthéon de trouvères par sa voix animés.
1 Mammuth, (2010) Benoît Delépine et Gustave Kervern.
De Mammuth au mammouth, clin d’œil paléolithique .« Mammuth » vocable partagé par l'homme et sa machine. Radeau de la Méduse motorisé pourtant. Candeur d'un grand enfant, Gérard, immense acteur. Romantique en mal d'amour, avaleur de tendresse et d'abondante nourriture. (Benoît Delépine et Gustave Kervern) Archétype d'humanité cacochyme en dérive. Premier degré à mourir de chagrin, dernier degré, sursis pour espérer, faut bien s'illusionner un peu.
Méandres d'un labyrinthe tragico-ludique, Gérard, sauf respect déclaré. Abandonner d'emblée toute synthèse artistique ou simplement humaine, parce que cyclopéenne. C'était avant l'harmonie astrale des dieux de l'Olympe, l'époque cyclonique des Titans.
Préhistoire exhumée, sous l'angle analogique, inductif, empirique, Gérard, unique, incomparable. Saltimbanque charnel en forme de météore, peut être de comète. Saisir le phénomène brut et bien complexe. Profond, décalé, inconvenant, provocateur, inspiré, rustique, prévenant, tonitruant, pachydermique et pourtant aérien. Les artistes inventant des vocables pour traduire l'indicible. Monstre sacré !...clament-ils.
Préhistoire exhumée, long cheminement du mammouth, désertant l'Afrique à l'époque du quaternaire, pour dissoudre sa masse souveraine dans l'infinie Sibérie en un temps de disette. Pas vraiment la cigale de Jean de La Fontaine. La fourmi potinière ? Mieux nommée, « poutinière. » Métamorphose aidant, l'homme, montreur d'ours et sa bête. Mammifère ? Homme de fer, L'alcool non, mais l'eau ferru, l'eau ferru ferrugineuse oui !
2 Raspoutine, (2011)Josée Dayan.
Rôles de composition, protéiformes. Comédien cohérent, bonhomme et gargantuesque, caricatural et drolatique « Obélix » (Claude Zidi). sympathique, odieux, capable de gestes délicats de jeune fille, ambigu, équivoque, travesti « Tenue de soirée », (Bertrand Blier.) Ses colères débordantes. « Uranus » (Marcel Aymé.) À Bacchus consacré, puissant, sonore, alcoolisé, déclamant « Andromaque » (Racine) les joues ruisselant de larmes, du velours dans la voix. « 7 morts sur ordonnances » (Jacques Rouffio). Nature généreuse. Formidable et redoutable énergie, canalisée et sublimée dans une passion sacerdotale, vocation de chirurgien. Soudain, machiavéliquement détournée de son lit, se révèle fatale. Sous des cieux lourds du cyclone sociétal, « Raspoutine », (Josée Dayan) prophète halluciné en un temps de folie meurtrière. Les idéologues débiles, futiles, irresponsables, d'hier et d'aujourd'hui, appellent ça « révolution ». Lui, Gérard, dans son humanité rustique en gestation permanente, arborant sa panse de Gaïa au bord de l'enfantement, multiplie les heureux événements. Toujours mouvant, crédible, se transforme sans cesse, améliore, déforme, apportant, artisan, l'ultime coup de ciseau de sculpteur, Auguste Rodin dans « Camille Claudel » . De sa propre image, les touches successives qui amusent les uns, perturbent les autres, les impressionnent tous. Sur le tournage il chahute, ripaille, cultive abondamment les grivoiseries, au milieu des acteurs concentrés et traqueurs. Puis soudain, le clap ! De son humanité triviale gargantuesque bascule dans le sacré. « Le curé et la pendue » (Jean Beaudin,) Abbé austère, saint homme en soutane, malheureux en diable, exhortant une femme, à offrir son âme à Dieu avant la pendaison. Avec dans le ton, l'angélisme salvateur du passeur d'éternité. Sa voix, évadée de l'antre d'un illustre luthier, ensorceleur diablotin et pourtant calotin.
Jacques Weber dit de lui : « Il a la science musicale du dire. » « L’homme reste un mystère. Une vivante contradiction. Un être sans limite. » Empathie naturelle, d'un homme habité de tous les hommes. Un comédien aux 250 films. « On l’aime on le déteste, mais on ne le cerne pas. Il n’y a pas un, mais une multitude, tous habités par une enfance contrariée. « Il est des douleurs dont on ne parle pas », prévient-il. L’ogre doux a son jardin secret. C’est un artiste, un vrai, d’où s’écoule la vie. Un soleil blessé. A prendre ou à laisser. »
3 Tête en friche, (2010) Jean Becker
Thème récurrent qui touche à l'enfance. « La tête en friche » (Jean Becker). Cœur du dilemme. L'éveil culturel, sa fragilité, les conditions printanières de l'ensemencement. Germain, le géant maladroit, traumatisé, hypersensible, découvre une petite dame joyeuse, curieuse et cultivée (merveilleuse Gisèle Casadessus, fée centenaire) qui lui prendra la main le préparant au livre, à l'histoire, à la rêverie intérieure orientée, formatrice et créatrice qui offre les mots pour exister vraiment.
Autre monde insoupçonné. Peut être l'amitié, l'empathie confondues. Communication non verbale précédant celle que prononcent les mots. La voix humaine prend ici tout son sens, elle nomme et distingue, se meut et s'émeut. Elle devient le chemin qui fait naître l'identité. L'émotion envahissante qui participait à l'anéantissement de l'âme est drainée dans une voie apaisante éclairée soudain, vers un nouveau monde ou toute chose fait sens. La sensibilité et les idées clarifiées participent à l'incarnation de chacun.
4 Cyrano de Bergerac, (1990) Edmond Rostand, Jean-Paul Rappeneau, Jean-Claude Carrière
Gaillard aguerri au péril, à l'affrontement, redoutable à l'épée, « Cyrano » (Edmond Rostand), souligne le dilemme, celui des capacités oratoires et du joli verbe lovés dans une apparence corporelle vécue dans la disgrâce. La performance oratoire de l'acteur Depardieu, ici, éblouissante.
Toutes les distorsions, formes et fonds confondus, soulignées par les écrivains, cinéastes, producteurs, expliquent les mouvements et la philosophie qui s'enracinent dans la vie de l'acteur. Agrégat subtil de la psyché constituant une compensation que l'on appelle « génie », la perle de l’huître. L'enseignement oral exerce sa magie, emplissant l'imaginaire, demeurant libre et fluide comme la musique de l'inspiration. Les mythes et leurs légendes s'emparent du fascinant vagabond philosophe. Sa destinée, ses idées peu banales, ses mille exploits et mille propos vrais ou inventés ajoutent à la fantasmagorie. Atypique insoumis, disciple, peut être à son insu de Socrate, jaillit de la boite de Pandora. Son nom, « Depardieu-Diogène de sinope, de nul part et d'ailleurs ». Il agit à renverser les interdits, le sacré, tous les tabous. Mais bien sûr, l'insidieuse et vulgaire notion « culturelle » socialo-mesquine, précipita cette âme libre de l'autre côté du temps. Le chanceux philosophe itinérant, gastéropode « d'amphore » et de bon vin, alla quérir en Sibérie asile et nouveauté, comme son ancêtre le mammouth en d'autre temps de glaciation. Dans son enveloppe humaine et sociale désormais étriquée, contre toute apparence, il ne pouvait muer sans repousser les frontières spatiales de l'univers artistique rabelaisien de sa propre vie.
Le monde, une scène, la vie, un drame : la métaphore du théâtre du monde est l'une des plus triviales qui se trouvent. Les plus talentueux s'incarnent dans ce processus alors que d'autres inondent la planète de livres qu'ils écrivent ou lisent mais ne vivent point. Pire encore, le tout venant, quelques fois pauvre de cœur et d'esprit, brûle sa misère à l'ombre de la vie.
Le saltimbanque, grand découvreur et dévoreur de réalités oniriques et matérielles ne théorise point. S'esclaffe en bacchanales, joyeux hédoniste, porté par l'écho des grands espaces vinicoles de Dionysos. Néanmoins, dans la prose, le creuset du spectacle et de la scène, tout s'anime et se construit autour des vrais talents, qui ne trouvent ni refuge ni paix, tant ils sont convoités, achetés, vendus, aimés ou rejetés. Remède à déstabiliser une montagne, à briser l'intégrité d'un géant. La réussite rocambolesque, romanesque, au fond d'exception, dérange l'insignifiance et la médiocrité des adversaires de l'ombre. Qu'importe, si l'amitié n'existait, elle naîtrait simplement par sa voix et la fécondité spontanée de son art .
5 Jean Valjean, les Misérables, (2000) Victor Hugo, Josée Dayan. Didier Decoin
« J’aime les gens ! Ce n’est pas la peine de me demander qui je suis. Je suis un paysan du spectacle. Ce qui m’intéresse, ce sont les gens. Les gens sont la vie ! » (lui)
« De tous les biens que la sagesse procure à l'homme pour le rendre heureux, il n'en est point de plus grand que l'amitié. C'est en elle que l'homme, borné comme il l'est par sa nature, trouve la sûreté et son appui. » (Epicure.)
51 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON