Un titre partisan de l’Express qui fait « bondir » !
Un titre est souvent ce que lit seulement le lecteur pressé, au risque d’être induit en erreur par la brièveté de l’énoncé qui le caractérise : l’ellipse qui est l’omission de tout ce qui n’est pas utile à la compréhension, devient alors mise hors-contexte avec le danger de livrer une représentation fort éloignée de la réalité.
Le leurre de la mise hors-contexte
1- Une campagne publicitaire de la chaîne Planète
Une excellente campagne publicitaire de la chaîne de télévision Planète montrait ainsi en octobre 1999 deux photos. Sur l’une, on voyait deux enfants courant dans l’eau transparente d’un lagon tropical : la fillette paraissait poursuivre son frère qui fuyait à toutes jambes pour lui échapper. Sur l’autre affiche, le champ s’était élargi et permettait de voir s’élever sur l’horizon marin le champignon d’une explosion nucléaire. La course des deux enfants changeait de sens ! (2)
2- Un titre de L’Express contestable
Moins tragique est l’exemple que vient d’offrir le site Internet de L’Express : « La popularité de Sarkozy fait un bond », pouvait-on lire le 29 novembre 2011 (1). Que comprendre, sinon que le président retrouverait les faveurs des Français ? À quelques mois de l’élection présidentielle, n’est-ce pas laisser penser que le président garde toutes ses chances d’être réélu, alors qu’on le donne battu depuis des mois ? Pourquoi pas, si des sondages sérieux indiquent une inversion de tendance ? Seulement, si l’on prend la peine de lire l’article auquel L’Express a donné ce titre, cette perspective favorable pour le président sortant n’est pas aussi évidente.
- L’hebdomadaire reconnaît lui-même que « le chef de l'Etat reste toutefois en fâcheuse posture, avec seulement 38% de bonnes opinions contre 61% de mauvaises. » Sans doute, une hausse de 6 points est-elle enregistrée comme « la plus haute depuis trois ans ». Mais dans les profondeurs d’impopularité où il avait sombré, pouvait-il faire autrement que de remonter un peu. Le terme de « bond » est-il approprié à une laborieuse remontée des Enfers ?
- L’hebdomadaire admet également lui-même que son concurrent le plus dangereux, le candidat socialiste, F. Hollande, reste « loin devant », figurant même « en tête (d’un) classement » des personnalités dont les sondés « (aimeraient qu’elles jouent) un rôle accru dans les semaines à venir » : « (il) progresse de deux points à 53% » ! Fallait-il pour autant relativiser cette avance en prétendant qu’il « stagnait ». Quand on atteint le sommet, que faire d’autre ?
On voit donc la technique de l’Express pour, dans un contexte plutôt défavorable à M. Sarkozy, tenter d’en donner une image positive : la progression de sa popularité est qualifiée par hyperbole de « bond » pour faire croire à une brusque faveur populaire retrouvée quand il ne fait que remonter de quelques marches des Enfers de l’impopularité où il gît depuis des mois. Il suffit d’extraire ce « bond » de son contexte pour le magnifier sans raison. Une représentation de la réalité serait plus fidèle si le titre annonçait que « malgré une remontée dans les sondages, M. Sarkozy reste encore loin derrière M. Hollande. »
Le leurre de la pression du groupe
On sait depuis les expériences de Solomon Asch entre 1953 et 1955 que nul ne sort indemne d’une confrontation avec l’opinion majoritaire d’un groupe, fût-elle absurde : plus d’un tiers des sujets étudiés admettent qu’un segment de 10 cm soit égal à un autre de 20 quand le groupe le soutient. Les 2/3 restants peuvent bien s’en tenir au juste témoignage de leurs sens et ne pas suivre le point de vue majoritaire, ils sont profondément troublés au fond d’ eux-mêmes, persuadés qu’ils ne peuvent pas avoir raison tout seuls quand tant de gens autour d’eux se tromperaient (1) .
La période électorale qui s’ouvre, se prête à ce genre de manipulation de l’information pour tenter d’obtenir des esprits naïfs qu’ils adhérent à l’opinion du groupe. Certes, ce titre de l’Express n’est pas radicalement faux : il existe bien une progression de la popularité du président sortant. Mais en usant de la mise hors-contexte dans son titre, l’hebdomadaire abuse le lecteur pressé : faute de lire l’article ainsi intitulé, celui-ci ignorera que le « bond » allégué est surtout une représentation partisane de la réalité qui fait bondir. Paul Villach
(1) « La popularité de Sarkozy fait un bond », L’Express, 29.11.2011
http://www.lexpress.fr/actualite/politique/la-popularite-de-sarkozy-fait-un-bond_1056314.html
(2) Pierre-Yves Chereul, « Les médias, la manipulation des esprits, leurres et illusions », Éditions Lacour, 2006, pp. 181 et sq
(3) Pierre-Yves Chereul, ibidem , pp. 330 et sq
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