Une affiche de Fiat : la mécanique humanisée et l’humanité mécanisée ?
Les constructeurs automobiles ont habitué leurs lecteurs à un usage intensif du leurre d’appel sexuel pour vendre leurs voitures. Le leurre le plus banal est l’association à un nouveau modèle d’une pin-up assise à son volant, ou sortant de voiture, robe remontée à mi-cuisses, ou encore assise sur une aile ou même allongée sur le capot.

Les leurres les plus recherchés assimilent, dans le sexisme le plus assumé, la voiture à une femme, comme la marque « Lancia » : « Une belle Italienne, dit un de ses slogans, doit savoir comment refroidir un chaud lapin ». Quant au constructeur automobile « Ford », il a fait dans le passé encore plus fort lors du lancement de « la Ka ». Quoi de plus étranger à un arrondi fessier, en effet, qu’une voiture ? Erreur ! Pris sous un angle en plongée particulier, le capot et l’aile de « la Ka » , par intericonicité des lignes, renvoyaient à des fesses et à leur sillon ; le slogan le confirmait d’ailleurs en jouant de la déculpabilisation : « Touchez la Ka. Personne ne vous regarde. On ne pense Ka ça. »
Fiat vient d’innover, semble-t-il, pour attirer l’attention sur le rôle capital joué par la courroie de distribution dans le fonctionnement d’un moteur. Sa rupture est carrément assimilée dans une image à celle d’un couple : « Entre votre moteur et sa courroie, anticipez la rupture », conseille le slogan, tandis que la photo montre deux jeunes amants se faisant la tête dans leur lit.
Deux voyeurismes sollicités
C’est cette assimilation incongrue qui capte ici surtout l’attention, plus que le leurre d’appel sexuel lui-même. Celui-ci, en effet, reste discret et pour cause : vu les circonstances, les personnages ne sont que partiellement dénudés en toute décence. Il n’y a guère que le cœur blanc découpé dans une cloison rouge sang qui dresse un décor stéréotypé susceptible d’activer le réflexe du voyeurisme : on songe par intericonicité au trou de la serrure qui donne un accès interdit à l’exhibition du plaisir d’autrui. Le couple est ici, en effet, surpris contre son gré et à son insu dans l’intimité de son lit : l’information, obtenue comme si elle était extorquée, en tire une plus grande crédibilité. Mais il n’y a pas grand-chose pour satisfaire le voyeurisme sexuel. L’autre voyeurisme qui se repaît de l’exhibition du malheur d’autrui, peut y trouver davantage intérêt.
L’énigme loufoque d’un paradoxe
C’est donc surtout le paradoxe de cette scène qui vise à retenir l’attention. Il offre une énigme à résoudre. On ne s’attend pas, en effet, à voir surgir sur une affiche de garagiste deux amants, filmés en plan moyen de face, chacun de son côté dans leur lit conjugal, adossés à leur oreiller, l’air renfrogné, regardant droit devant eux sans trop bien savoir quoi.
Mais on ne peut trouver métonymie plus explicite d’un dysfonctionnement du couple, voire d’une rupture, que cette posture d’indifférence mutuelle. Par intericonicité, l’image peut renvoyer, pour qui la connaît, à l’affiche d’un film de Didier Bourdon avec Catherine Frot, Sept ans de mariage, paru en 2003, dont le ressort prétendu comique est une mésentente conjugale.
Les deux morceaux de cœur brisé où s’inscrivent respectivement les deux amants ajoutent, si besoin est, un symbole stéréotypé pour convaincre d’une rupture consommée. La charge culturelle des couleurs en remet même une couche sur la couche nuptiale, si on ose dire, pour qu’il n’y ait pas d’erreur possible : les deux morceaux de cœur qui encadrent les amants, sont blancs, exsangues, manifestement vidés des feux de l’amour, tandis que la cloison où ce cœur a été découpé, est rouge sang, couleur de la passion amoureuse. La brisure du cœur, elle, emprunte la ligne brisée de l’éclair : le coup de foudre n’est plus ce qu’il était ; il retrouve ici son premier sens de puissance météorique destructrice.
À en croire Fiat, c’est ce qui arrive à un moteur dont la courroie de distribution casse. Telle est la solution du paradoxe de la scène des amants désunis.
L’humour comme lubrifiant suffisant ?
Pareille image loufoque ne peut rencontrer l’indulgence du lecteur que si elle suppose une bonne dose d’humour de la part de ses auteurs pour gommer ce qu’elle comporte d’absurdité : puisqu’elle entend parler légèrement d’un problème sérieux, elle n’est pas rejetée d’emblée. Il revient à l’humour de mettre ainsi de l’huile dans les rouages de la logique qui, sans lui, gripperaient.
Mais cet humour suffit-il à dissiper tout malaise ? Est-ce parler légèrement que d’ainsi assimiler une panne de moteur à la rupture d’un couple ou n’est-ce pas au contraire parler à la légère ? Pour tout dire, n’y a-t-il pas une inversion des valeurs insupportable dans cet humour qui traite d’une panne de moteur comme d’un sujet sérieux et use de la rupture d’un couple comme d’une image amusante pour faire comprendre la gravité de la panne mécanique ? En somme, est-ce que le moteur d’une voiture n’importerait pas davantage désormais que la relation d’un couple ? La mécanique n’aurait-elle pas gagné en humanité ce que les hommes auraient perdu en s’avilissant en mécanique ?
Paul Villach
Documents joints à cet article


27 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON