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Accueil du site > Tribune Libre > Une Afrique de l’Ouest que son passé de colonie de l’Occident (...)

Une Afrique de l’Ouest que son passé de colonie de l’Occident continue à diviser

par Michel J. Cuny et Issa Diakaridia Koné

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Les difficultés qui se manifestent à l’occasion des transferts d’argent à travers l’Afrique de l’Ouest – que ceux-ci soient le fait de commerçants qui se livrent à des échanges transfrontaliers, ou qu’ils soient le fait de travailleurs migrants qui envoient de l’argent à leur famille restée au pays -, montrent les divisions monétaires qui continuent à caractériser la vie économique des anciennes colonies de certains États européens : France, Grande-Bretagne, Belgique, etc. 

Pour y remédier, une Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest est née… Le Rapport réalisé pour l’USAID en 2006 nous rappelle dans quelles conditions…
« La CEDEAO a été créée moins d’une décennie après l’indépendance de nombreux États d’Afrique de l’Ouest.  » (page 25) 

Le 28 mai 1975, lorsqu’ils ont prétendu réunir leurs économies, ces États étaient-ils aussi indépendants que cela des anciennes puissances colonisatrices ?… Et pour autant que la création de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest ne peut manquer de rappeler la création, une petite vingtaine d’années plus tôt, de la Communauté économique européenne (CEE) par le traité de Rome (1957), faut-il croire que la force des structures internes des différents États réunis dans la CEDEAO était telle qu’ils étaient effectivement maîtres chez eux, et habilités à s’unir économiquement aux autres avec toute la fermeté nécessaire ?

Autrement dit : dès le départ, la CEDEAO n’était-elle pas qu’un colosse aux pieds d’argile ? 

C’est bien ainsi qu’elle devait se révéler à travers la tentative manquée de prendre aussitôt appui sur cette unification économique toute relative pour y ajouter, tout d’abord, un organisme destiné à permettre les transferts de monnaie d’un pays à l’autre, et, une dizaine d’années plus tard, une Agence qui disposerait d’un pouvoir spécifique lui permettant d’orienter la politique des différents États dans cette question de l’échange des monnaies.

Le Rapport de 2006 nous le rappelle :
« Parallèlement à la création de la CEDEAO en 1975, un Centre d’échange ouest-africain (WACH) a été créé en tant que mécanisme de paiement visant à faciliter le commerce intra-régional. En 1986, WACH a été transformée en Agence monétaire de l’Afrique de l’Ouest (AMAO). » (page 25)

À la différence de son prédécesseur, celle-ci dispose d’une véritable autorité :
« L’AMAO a mandaté les gouvernements pour établir un système monétaire harmonisé vis-à-vis du respect d’un ensemble de critères de convergence macroéconomiques (qui comprenaient des contrôles du déficit budgétaire, des réserves internationales et de faibles taux d’inflation). » (page 25) 

Ces critères menaçaient de déboucher sur des mesures très brutales pour les diverses populations, et il est devenu assez rapidement évident que les différents États ne disposaient pas de situations économiques suffisamment proches les unes des autres, pour leur permettre de s’engager dans une harmonisation des monnaies généralisée à l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest.

Sans évoquer les éventuelles responsabilités de la France dans ce qui ne peut apparaître que comme un coup de force qui n’avait aucune chance de pouvoir se manifester sans qu’elle y soit partie prenante, le Rapport – rédigé, rappelons-le, à la demande de l’USAID états-unienne – affirme :

« La création d’une zone monétaire au sein des pays francophones dénommée Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) a contribué à l’échec de l’AMAO, puis la création d’une autre zone appelée Zone monétaire de l’Afrique de l’Ouest (ZMAO). » (page 25)

Cette dernière était une réponse à l’initiative qui avait réuni les huit pays francophones dans l’UEMOA. Pour sa part, elle rassemblait, dans la ZMAO, six pays anglophones et un pays lusophone, c’est-à-dire de langue portugaise… Manifestement, les anciennes puissances colonisatrices continuaient à faire entendre leurs voix… dans l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest et, dans le cas qui nous occupe, à travers la question centrale de la monnaie.

Le bilan, établi en 2006 par les experts de Carana Corporation, des efforts d’unification monétaire réalisés par les 15 pays de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) fait état d’un émiettement dont nous venons de voir que la ligne de fracture principale correspond très directement aux affrontements d’une époque coloniale dont on aurait pu penser qu’elle était morte de sa belle mort :
« Actuellement, dans la région de la CEDEAO, 8 monnaies et politiques monétaires différentes sont en vigueur, dont certaines ne sont pas facilement convertibles entre elles. Afin de remédier à cette situation, la CEDEAO a tenté diverses formes d’intégration régionale des paiements dans le but ultime de créer une monnaie commune dans les 15 pays. » (page 28) 

S’agissant de 15 pays dont les États sont d’une extrême faiblesse dans le domaine économique tout spécialement, le mirage de la monnaie commune est immédiatement dénoncé par la situation réelle dans laquelle chacun d’eux se trouve du fait de la lourdeur d’un passé colonial que les Occidentaux sont disposés à réamorcer sous l’angle nouveau d’une financiarisation de la vie quotidienne des plus pauvres d’entre les plus pauvres :
« Au niveau national, le principal obstacle à l’utilisation de systèmes formels est l’inconvertibilité des monnaies anglophones en monnaies francophones, ce qui entraîne de multiples conversions pour les commerçants et les expéditeurs de fonds. » (page 28)

Tout cela serait comique si la plus grande misère n’y était pas directement concernée :
« Par exemple, si un commerçant au Nigeria souhaite acheter des Francs CFA pour régler une transaction dans un pays de l’UEMOA, il doit d’abord convertir le naira en dollars, en livres sterling ou en euros, puis
(1) acheter du Franc CFA au marché noir ou
(2) voyager avec les dollars, les livres ou les euros en Pays francophone pour acheter du Franc CFA pour régler l’achat. » (pages 28-29)

À sa façon, le Franc CFA homogénéise l’UEMOA sous l’aile de la France, et, désormais, de l’euro. Selon le Rapport de 2006…
« Alors que les pays francophones peuvent faire librement circuler les Francs CFA dans la région de l’UEMOA jusqu’à 300 000 F CFA (542 US $) sans justification, les billets ne peuvent pas être exportés vers d’autres pays de la CEDEAO. » 

Et ce qui échappe au Franc CFA glisse presque inéluctablement vers l’illégalité…
« Dans la pratique, cela signifie que les transferts sortants doivent être effectués par le biais d’une banque avec des pièces justificatives, mais comme seulement 5% environ de la population ouest-africaine possède un compte bancaire, la plupart de ces transactions sont effectuées sur le marché noir.  » (page 29) 

Il faut enfin prendre garde à ceci :
« Jusqu’à l’introduction de l’euro, le F CFA était garanti par le Trésor français, et il est désormais ancré à l’euro, générant ainsi moins de besoin de réserves de change que dans les pays anglophones. » (page 32) 

C’est dire qu’en retour, la France – et maintenant l’Europe rangée sous l’euro (ce qui exclut la Grande-Bretagne) – ne peuvent que veiller de très près sur l’économie dont elles garantissent la monnaie, celle de l’UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine)…

NB. La suite immédiate est accessible ici :
https://remembermodibokeita.wordpress.com/2020/05/06/la-terrible-fracture-interne-qui-a-ete-infligee-aux-pays-de-lafrique-de-louest/


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10 réactions à cet article    


  • Clark Kent Séraphin Lampion 15 juin 2020 15:55

    Tenez vous au courant :

    La France acte officiellement la fin du franc CFA en Afrique de l’Ouest

    Paris renonce au dépôt auprès du Trésor français de la moitié des réserves de change de la Banque centrale de la zone et se retire de ses instances de gouvernance.


    • Jean Guillot Oncle-Paul 15 juin 2020 17:02

      @Séraphin Lampion
      Vous êtes disqualifiées , les assurances Mondass ont fait des placements financiers au Congo


    • Clark Kent Séraphin Lampion 15 juin 2020 17:41

      @Oncle-Paul

      Monsieur Tintin m’avait prêté sa 403, celle qu’il a vendue d’occasion à Colombo après, et j’ai pu, grâce à lui, faire fructifier l’assurance vie de Madame Castafiore, M. Tournesol et mon ami le Capitaine Haddock. Un bon placement, en effet. Merci de l’avoir relevé.


    • Jonas 15 juin 2020 17:55

      D’après les tiers mondialistes , toujours en retard , les occidentaux« pillent l’Afrique ». 

      Alors comment se fait -il qu’elle est en difficulté pour écouler ses matières premières . en cette période de confinement et la famine commence à gronder ? Même la Chine premier investisseur en Afrique , a diminué ses importations. Et certains pays comme d’habitude demande l’annulation des dettes. Des dettes que les pays ont contracté librement. 

      Par ailleurs , à cause du coronavirus , l’argent des immigrés , qui représente plus de 10% du PIB , pour certains pays ne rentre plus. 

      Drôle de pillage ! 


      • Kapimo Kapimo 16 juin 2020 23:34

        @Jonas

        Le pillage historique de l’afrique s’est fait :

        1. par la mise en place de dirigeants vendus compradores (et l’élimination de ceux pas corruptibles)
        2. par la concurrence déloyale (cf 1) des multinationales par rapport aux entreprises locales
        3. par le pret d’argent inutile aux états africains (cf 1) pour des projets financés par le FMI/la Banque mondiale et réalisés moyennant finance par les multinationales

        La dette permet d’asservir, lire « Confessions d’un assassin financier » de John Perkins.

        Après, les africains doivent virer leurs dirigeants, et utiliser si besoin pour ce faire les techniques utilisées contre eux.


      • Jonas 17 juin 2020 10:37

        @Kapimo
        Le pillage de l’Afrique s’est fait d’abord et avant tout , par les pays Arabes du VIIe siècle au XXe siècle . L’esclavage le plus long et le plus important en terme d’Esclaves. 17 millions d’individus.

        L’Esclavage Atlantique le plus connu et le plus dénoncé par les Africains est évalué à 15 millions d’individus . Pourquoi les Pays Africains se taisent sur l’esclavage de leurs aïeuls ? Parce que ceux-ci ,ont été convertis à l’islam , et ne veulent pas mettre en cause cette religion esclavagiste. Pourtant cette conversion s’est faite par le sabre et des flots de sang.  

        Puis l’Esclavage tabou , celui intra-Africain. Là aussi ,c’est facile d’accuser les autres en s’épargnant. 

        La Déclaration de Tozeur (Tunisie ) du 1er et 3 mai 2009, réunissant des intellectuels . Edouard Glissant. Philosophe , poète , historien , Martinique. Salah Trabelsi ,historien , France et Abdelhamid Larguèche , Tunisie. Autour d’un thème longuement mis à l’ombre dans l’histoire du monde Arabe , l’esclavage des Noirs. Il faut demander aux Pays Arabes de reconnaître qu’ils ont été des ESCLAVAGISTES comme les pays Occidentaux. Muammar Kadhafi avait reconnu avec courage , l’esclavage des pays ARABES , lors d’un colloque africain. 

        Les dirigeants Africains sont issus des pays Africains , comme les dirigeants Chinois , sont issus de la Chine et les dirigeants Hindous de l’Inde. 

        Avec une différence , ceux de Chine et de l’ Inde sont compétents et plus patriotes , et ont cherché l’intérêt de leur pays. , ceux de l’Afrique , n’ont qu’un seul intérêt , celui de s’enrichir et mettre leur pognon dans les banques étrangères. 

        Pourtant les hindous , ont été colonisés, plus longtemps, et eux réussissent mieux que les pays Africains , malgré d’immenses problèmes ?
        Pourquoi la chine , bien qu’elle ait subi des traités inégaux, est aujourd’hui parmi les grandes puissances ? 
        Pourquoi la Corée du Sud ,malgré une colonisation , très féroce du Japon , sans ressources naturelles est parmi les pays les plus développés ?

        La concurrence existe partout , même lorsque les Pays Africains vendent les " TERRES Arables de leurs pays en faisant marcher la concurrence entre l’ Arabie saoudite , Emirats , Koweït , Chine, Corée du Sud , Japon etc. 

        Si les pays Africains ont des dettes , c’est parce qu’ils ont détourné , la richesse de leur pays aux profits de leurs familles et leurs amis en vidant les caisses de l’Etat. Ils se tournent vers le FMI ( qui est une organisation mondiale , qui appartient à tous les pays , par leur contribution annuelle)Le FMI, n’est pas une ONG , elle prête de l’argent , aux pays solvables sous une direction où siègent de nombreux dirigeants de pays. 


      • Kapimo Kapimo 17 juin 2020 15:48

        @Jonas

        Je parlais de l’histoire récente, pas de l’histoire ancienne.

        Concernant la Chine et la Corée, ce sont des pays très anciens avec une culture et une identité propre.
        Le problème des pays africains, c’est que ce sont des pays jeunes dont les frontières ont été tracées en dehors de toute cohérence ethnique et culturelle. Si on y rajoute la faiblesse relative de leur civilisation, alors on est forcé d’admettre que ces pays sont très facile à diviser, très difficiles à unir et gouverner, que la notion d’intéret général ne peut que très difficilement y exister (pas de repère historique), et qu’il est donc très simple de mettre au pouvoir depuis l’étranger une classe compradore.


      • Jonas 18 juin 2020 09:41

        @Kapimo

         Mais reconnaissez que c’est plus facile de dénoncer le tracé des frontières de l’époque coloniale par les pays Africains , que la volonté politique de ceux-ci de les remettre en cause.

        Chaque fois qu’un pays africain soulève le sujet , il est immédiatement tancé et voué aux gémonies.  Car toute frontière ne peut être modifiée que par des Etats souverains entre eux. Et ils ne sont pas d’accord entre eux. 

        Sinon c’est un sujet de discussion sans fin. Il faut penser à l’avenir , ressasser le passer ne mêne a rien. 



      • microf 16 juin 2020 03:01

        Chaque chose a une fin.

        L’ Afrique, vache à lait de la France, un jour, cette vache à force de la traire, n’aura plus du lait, et, elle sera laissée tranquille.

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