Une autre façon de faire de la politique
La conception d’une démocratie « du peuple, par le peuple, pour le peuple » est de plus en plus contestée ou du moins, l’usage qui en ai fait. Les français se désintéressent progressivement de la politique, marqué par les records d’abstentionnistes lors des législatives (51%) et des présidentielles (57% lors du second tour). Face à ce constat alarmant, le gouvernement a mis en œuvre de nombreux projets de lois, notamment la loi de moralisation visant à renouer les citoyens et la politique. Mais pour beaucoup, le système politique actuel est considéré comme immuable, voire désuet, le sentiment que « rien ne change ».

Ce constat n’est pas propre à la France, on le retrouve dans de nombreux pays comme au Mexique où l’abandon des politiques à l’égard de ses citoyens a entraîné un mouvement nommé EZLN ou « néo-zapatistes ». Les instigateurs de ce mouvement désiraient prendre en main le pouvoir politique locale (Etat du Chiapas), afin de mettre en place une démocratie radicale se traduisant par une autonomisation de l’Etat (en rupture avec l’Etat fédérale du Mexique) pour mieux répondre aux besoins locaux. A l’origine de sa création en 1994, la lutte se traduisait par un combat « anti systémique plus ouverte contre le néolibéralisme, son pillage des ressources naturelles et sa marchandisation des formes de vie ». Mais depuis le cessez-le-feu décrété par le président mexicain Salinas de Gortari, le 12 janvier 1994, les « néo-zapatistes » ont mis en place un pouvoir local rassemblant 100 000 à 250 000 personnes dont le but serait de changer le monde sans prendre le pouvoir, selon leur fameux slogan « mandar obeciendo », « diriger en obéissant ». Les élus municipaux, élus par les communautés locales, et révocables à tout moment, sont en quelque sorte des bénévoles au service des citoyens, car ceux-ci ne connaissent ni rémunération, ni prérogatives. Cette façon radicale de faire de la politique semble fonctionner comme le soulignait la professeure d’école Eloisa au Monde Diplomatique en 2013 « Ils ont peur que nous découvrions que nous pouvons gouverner ». Mais ce système politique, attirant de nombreux sympathisants comme l’ancien député européen José Bové, l’écrivain Umberto Eco ou encore Oliver Stone, est-il singulier ou peut-il fonctionner en France ? Peut-il allier respect de l’environnement et union du peuple et répondant ainsi à deux grands enjeux du XXIème siècle ?
« Mandar obeciendo »
Les zapatistes se sont construits autour de deux identités, avec un attachement qu’ils ressentent, à la fois pour leur Etat local, mais également pour le Mexique. Car ce n’est rien comprendre au zapatisme que d’en faire un projet de sécession, d’indépendance nationale, comme le souligne les commandants de l’EZLN « Nous ne pensons pas à former un Etat dans un Etat, mais un endroit où être libres en son sein ». De plus, l’organisation politique n’est pas marqué par un horizontalisme pur suggéré par des fantasmes anarchistes, mais préfère mettre en place une dose marginale d’organisation – et d’efficacité-verticale. La présence d’élus dans les municipalités permet d’organiser, de gérer au plus près des citoyens les villes sans être rémunérés afin d’éradiquer l’avidité des hommes face au pouvoir. Ces élus restent toujours à l’écoute des citoyens, notamment en consultant régulièrement les communautés locales, ou en proposant un vote à la majorité afin de mettre en place une proposition suggérée par l’élu ou même par la communauté.
L’économie du Chiapas est fondée sur l’agriculture avec ces cent quarante têtes de bétail et de dix hectares de champs de maïs, la zone atteint même l’autosuffisance alimentaire grâce à ses potagers, ses rares poulaillers, ses cinq hectares de café et ses boulangeries coopératives. Le but premier est de nourrir tout le monde gratuitement, permettant ainsi d’unir les citoyens contre la famine et l’indigence, et tout ça sans l’aide de personne comme le disait François Cusset, journaliste au Monde Diplomatique « Dans toute la zone, on mange à sa faim, de façon frugale et traditionnelle, sans aide ni de l’Etat ni des organisations non-gouvernementales (ONG) ». Les surplus de bétail et de maïs sont vendus aux non-zapatistes et permet aux zapatistes d’acheter, « en nom collectif », ce qu’ils ne produisent pas comme des machines, des matériels de bureau ou encore quelques véhicules. Ainsi, l’argent de la communauté permet de répondre aux besoins de chacun, et il ne s’agit pas d’évacuer les projets individuels. En effet, les banques autonomes zapatistes comme la Banpaz financent des projets à un taux de 2%, comme l’illustre la récente envie d’un zapatiste de monter son épicerie-cantine.
Selon les responsables locaux, « il y a trois missions sociales assumées par la collectivité : l’éducation, la santé et la justice ».
Avec les quelques six cents écoles zapatistes, les jeunes étudient leur langue maternelle (l’espagnol) et la langue indienne car il ne faut pas oublier que ce territoire est composé à très large majorité d’indiens notamment les Tzotziles, la tribu majoritaire là-bas. De même que l’histoire coloniale, l’éducation politique, les mathématiques et les sciences naturelles (permettre aux élèves de prendre conscience de leur milieu ambiant) y sont étudiés. A la fin de leurs études du second cycle, les jeunes, âgés de 15 ans et alphabétisés peuvent proposer d’occuper un métier, après un vote de l’assemblée et une formation de trois mois. Quant à la justice, elle est assurée par des volontaires qui cherchent toujours à réparer plutôt qu’à punir par la discussion avec l’inculpé, ou les travaux collectifs au lieu de l’enfermement. Ce système malgré l’apparence d’un laxisme qu’il soulève semble fonctionner qui, selon les autorités locales, « en vingt ans a fait chuter la délinquance et les violences domestiques ». Cela s’explique également du fait de la « loi sèche », qui est, en d’autres termes, la prohibition de l’alcool que les femmes ont imposé lors des premières lois zapatistes qu’elles ont fait voter. L’Eglise joue aussi un rôle décisif dans ce territoire, une Eglise caractérisée par catholicisme syncrétique, une sorte « d’Eglise des pauvres » jouant le rôle de la sagesse, d’une parole sainte permettant de favoriser les rapports humains et le bien. Cette capacité de la religion à unir les peuples du Chiapas provient de son soutien des religieux dès le XVIème siècle à défendre, seul contre tous les indigènes du Mexique contre les conquistadores, à l’instar du dominicain Bartolomé de Las Casas ou de l’évêque Vasco de Quiroga et son projet d’une « république des indiens ». Ce constat, on peut le retrouver en Amérique du Sud où au Paraguay, 88% de la population est catholique du fait d’un prosélytisme et d’un soutien sans faille des jésuites auprès des Guaranis au XVIIIème siècle contre le colonialisme occidentale, illustré dans le film The mission, réalisé par Roland Joffé et avec la participation de Robert de Niro et de Liam Neeson.
Le système zapatiste se réclame libertaire, marqué par un anti patriarcal et une égalité des sexes assumée.
Un système unique ou inspirateur ?
Le système politique zapatiste peut paraître très radicale aux yeux des occidentaux notamment le bénévolat des élus. Pourtant, l’idée selon laquelle le pouvoir devrait appartenir aux régions locales qui se traduirait par une autonomisation de celles-ci pourrait permettre d’être au plus proche des citoyens et répondant ainsi le mieux possible aux problèmes locaux. Même si le processus de décentralisation a été mis en place suite aux lois Defferre en 1982, beaucoup réclament davantage le développement du pouvoir local notamment le philosophe Michel Onfray qui souhaiterait que « la France soit girondine » et donc moins centralisée. De plus, la participation régulière des citoyens à la politique locale, notamment sur des projets de lois permettrait de changer une politique considérée comme atone.
La question économique pose également problème, car le système zapatiste incite les individus, non pas à abandonner la propriété privé, mais de l’utiliser au profit de tous : renoncer aux ambitions personnelles qui seraient nuisibles à la communauté. Mais encore une fois, la gratuité de cette société faciliterait le développement des rapports humains et l’union des citoyens. A quoi on peut ajouter que le but de nourrir seulement le milieu ambiant développerait l’agriculture durable, respectant les limites écologiques du territoire et de renoncer à l’ambition de faire du profit par la vente de bétail partout dans le monde et réduirait ainsi les impacts sanitaires si négligés par l’élevage intensif.
On retrouve cette ambivalence également en ce qui concerne le système juridique car même si le but est de réparer plutôt que punir et de favoriser le travail plutôt que l’enfermement, les cas traités sont souvent « bénins » comme l’indique le Monde Diplomatique. En effet, comment les volontaires, n’étant pas expert du droit peuvent-ils résoudre des affaires comme des attentats où les terroristes et leurs peines seraient jugés selon les sentiments des juges comme la colère ? Exempté la professionnalisation dans le pouvoir juridique risquerait de faire un bond en arrière et retrouver la partialité de l’ancien temps…
La dernière limite concerne l’identité. Si l’Eglise catholique locale et syncrétique est le parangon de vertu et d’exemplarité pour les zapatistes, qui les inciteraient à être meilleur et à s’unir, il est plus difficile de réunir des citoyens dont les confessions sont multiples et engendrent des crispations entre-elles, notamment dans un territoire où la plupart ne croit même pas en un Dieu. Mais la réponse peut être ailleurs, des citoyens peuvent être éclairés et unis en se retrouvant autour de leur identité locale et aux valeurs républicaines assumées.
Ainsi, faire un parallèle entre le système zapatiste et le système français semble très difficile car le leur est basé sur un rejet du capitalisme quand le nôtre s’est développé autour de celui-ci. Néanmoins, à leur niveau, les zapatistes sont parvenus à prouver au cours de ces vingt dernières années que l’on pouvait créer une société égalitariste et volontariste. Ils visent désormais à promouvoir ce système aux élections présidentielles 2018 de l’Etat fédérale du Mexique par la désignation d’une indienne, Maria de Jesus Patricio afin de représenter le mouvement.
Kevin Audren
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