Une biographie « non autorisée » de Zidane : une interview de l’auteur entre information extorquée et information donnée
Le Figaro.fr a publié, le 23 septembre dernier, une interview de Besma Lahouri, auteur d’une autobiographie de Zidane, intitulée « Zidane, une vie secrète » (1). Elle offre un bon cas pratique pour mesurer la différence entre deux variétés d’information auxquelles on accède indifféremment sans y prendre garde : « l’information donnée » et « l’information extorquée ».
Un livre présenté comme « une information extorquée »
Présentant son livre comme une enquête, l’auteur a prétendu rechercher sur Zidane une information fiable. Elle ne pouvait donc se contenter de l’information que celui-ci livrait volontairement de lui, c’est-à-dire « une information donnée ». Elle s’est ainsi employée à obtenir celle qu’il lui refusait, soit « une information extorquée » contre son gré et/ou à son insu. C’est du moins ce que le sous-titre du livre, « une vie secrète », laisse entendre d’entrée : il vise à persuader le lecteur qu’il va surprendre ce que Zidane cacherait jalousement.
Le slogan du bandeau de couverture accroît cette impression que l’on va pénétrer dans le sanctuaire jusqu’ici inviolé de sa vie : « Le livre, est-il annoncé, que vous avez failli ne jamais lire ». Et l’auteur s’en explique en rappelant qu’elle-même, son éditeur et une de ses proches ont été victimes d’un mystérieux cambriolage d’ordinateurs qui visait le manuscrit. Bien qu’elle se garde d’incriminer quiconque, elle accrédite tout de même l’idée que son livre contient des informations susceptibles de nuire au personnage puisqu’on a tenté d’en empêcher la publication y compris par la violence.
Son ouvrage, rappelle-t-elle encore, est une biographie non autorisée. La formule ne choque même plus, comme si une biographie devait par principe se soumettre à la censure du personnage dont elle retrace la vie, pour n’en chanter que la louange. Zidane, en effet, insiste l’auteur, n’a pas donné son accord pour cette biographie et ses proches auraient même tenté d’en dissuader la rédaction.
C’est donc bien « une information extorquée » dont il s’agirait. Par rapport à « l’information donnée » volontairement, elle brille des feux d’une plus grande fiabilité puisqu’elle a échappé au filtre des intérêts du personnage décrit. Le réflexe de voyeurisme est activement stimulé. On imagine tout de suite qu’on va trouver dans ce livre des révélations sulfureuses ou croustillantes sur l’ancienne idole des stades.
Apparemment, peu de révélations
L’interview de l’auteur n’en livre guère, en tout cas, mais peut-être a-t-elle veillé à ne pas éventer son livre pour ne pas en décourager l’achat. Elle consent seulement à livrer en appâts quelques anecdotes sans grand intérêt restées ignorées jusqu’ici, comme les suites de la rixe de voyous qui a terni la finale de la Coupe du monde de football à Berlin en 2006. En rentrant aux vestiaires où ils retrouvent Zidane, expulsé du terrain après son coup de tête, ses coéquipiers auraient été fous de rage contre lui. Mais l’entraîneur, R. Domenech, grand prince, qui n’était pourtant pas de ses amis, n’aurait pas voulu qu’il partît ainsi : il s’est mis à l’applaudir pour ce dernier match de sa carrière et tous les autres joueurs ont fait la claque.
Un autre personnage aurait été aussi remonté contre lui, c’est le président Chirac. Il lui en aurait voulu, le soir même de la finale, d’avoir gâché la fête promise. Mais, lors de la réception de l’équipe de France à l’Élysée, il l’aurait embrassé et remercié pour « ce qu’ (il) avait apporté à la France ». « Zidane, conclut l’auteur, est toujours absout ».
On ne peut tenir non plus pour révélation « (sa) vie d’homme d’affaires comblé » à la tête d’une PME florissante, dont parle l’auteur. On a vu Zidane vanter tout et n’importe quoi sur trop d’affiches pour l’ignorer. Peut-être son originalité, selon l’auteur, est-elle d’avoir réussi, bien qu’il ait pris sa retraite, à prolonger des contrats publicitaires. L’entreprise agro-alimentaire Danone, l’assureur Generali (2) et l’équipementier sportif Adidas recourent régulièrement à ses services. Danone, à elle seule, lui servirait 1 million d’euros par an. Generali paierait ses séances de « coaching », réduites à peu de chose, 50 000 euros l’unité. « La marque Zidane, dit encore l’auteur, est une des plus belles marques françaises. » Tel est, en effet, le privilège de ces stars d’être rétribuée grassement pour, en toute incompétence, donner des conseils à des fans écervelés qui s’identifient à elles.
« Une information donnée » soigneusement verrouillée par Zidane
À défaut de faire de véritables révélations, l’interview de l’auteur apporte du moins une confirmation intéressante : une star contrôle strictement son image. Ainsi Zidane verrouille-t-il « l’information donnée » qu’il consent à délivrer à son sujet. Image pieuse de la star et hagiographie sont à ce prix. L’auteur découvre par exemple qu’« en visite officielle », parmi les journalistes qui le suivent, Zidane ne s’entretient qu’avec un ou d’eux d’entre eux qui font partie de son cercle ou bénéficient d’une exclusivité. C’est ainsi d’ailleurs que l’auteur de la biographie s’en est trouvée exclue après avoir pourtant réussi à approcher son père. Pourquoi ? Une grande méfiance, selon elle, hors de son cercle d’amis.
Les interviews par journalistes dûment accrédités ne sont publiées qu’après relecture et correction de Zidane ou de ses proches. Toute parole jugée inconvenante ou un titre estimé trop peu louangeur à son égard sont aussitôt punis : coups de téléphone au coupable, convocation, perte d’accréditation. Le coupable s’entend ainsi renvoyé dans ses 18 mètres en ces termes, selon l’auteur : je suis jeune, beau et riche, je t’avais prévenu, t’as pas été réglo ! Être réglo signifie manier l’encensoir à son égard, tandis que lui manie avec les journalistes, conclut l’auteur, « la carotte et le bâton ».
L’ancien footballeur n’a sûrement pas l’exclusivité de ce type de comportement. C’est même la règle de « l’information donnée » qui ne saurait nuire aux intérêts de celui qui la livre. Les médias ne sont conçus que comme les thuriféraires d’une star ou d’une entreprise. C’est pourquoi on reste médusé de voir que toutes ces fades hagiographies qui remplissent livres, colonnes de journaux et antennes, recueillent encore autant d’audience. L’identification insensée de fans à une star ne cesse pas de sidérer.
Mais l’auteur n’échappe pas elle-même à ce principe fondamental de la relation d’information qui conduit tout émetteur à exclure volontairement toute information nuisible à ses intérêts. L’information qu’elle présente avec beaucoup d’insistance comme « une information extorquée » au sujet de Zidane pour attiser attirance et voyeurisme devient, en effet, à son tour « une information donnée », livrée par l’auteur à ses auditeurs ou lecteurs. Il leur appartient donc de l’accueillir avec la prudence d’usage que requiert cette variété d’information plus ou moins fiable par nature. Paul Villach
(1) Besma Lahouri, Zidane, une vie secrète, Éditions Flammarion.
(2) Paul Villach, « Le but du tandem Zidane-Generali : le ridicule assuré ? », Agoravox, 28 février 2007.
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