Une brève histoire de l’esclavage

Tous les peuples, sans exception, sont passés par l'esclavage de la même manière que chaque homme passe forcément par l'enfance avant de devenir adulte. C'est l'une des grandes étapes, et de loin la plus longue, du développement de la société humaine fondée sur la propriété privée. L'esclavage est la première forme de la propriété privée.Mais les hommes ont d'abord vécu des milliers d'années sans esclavage. Pourquoi ? Parce que leur économie était fondée entièrement sur le communisme primitif. Cependant avec le developpement technologique (l'invention de l'élevage, de l'agriculture, du travail des métaux, etc.), le travail humain devient plus productif. Désormais, en plus de ses frais d'entretien le travail humain est capable de produire un excédent de richesse. La première forme d'exploitation de cet excédent est l'esclavage.
L'esclavagisme est un mode de production historique (au même titre que le capitalisme-salariat), lié à un certain dégré de développement technologique. Il y a un avant-esclavagisme quand la productivité du travail était plus archaïque et un après quand les techniques de production se sont considérablement accrues. Comme Marx l'a dit justement, les idées dominantes (populaires) correspondent toujours au mode de production dominant (esclavagisme antique en Europe ou tardif en Afrique, servage, salariat) et à son tour la dominance d'un mode de production est déterminée par le niveau technologique atteint dans la production.
Plus de 1000 ans d'esclavagisme intra-européen : de l'Empire Romain à la Révolution féodale du XIesiècle
Aristote définit l'esclave comme un instrument pourvu de voix. Cet instrument était considéré comme une bête parmi les autres animaux domestiques. Pour l'historien français Pierre Bonnassie, il ne fait aucun doute que les esclaves des VIe-VIIIe s. sont à ranger parmi le cheptel. Les clauses des lois barbares relatives aux ventes et aux vols de bétail s'appliquent aussi, sans anbiguïté, aux esclaves. Dans les lois galloises esclaves et bovins y servent indifféremment d'unités de compte dans le versement d'indemnités pour meurtres et blessures :
art. 1. Si quelqu'un commet volontairement un homicide, qu'il donne en réparation trois esclaves femelles et trois esclaves mâles.
art. 7. Si quelqu'un blesse un homme au point de lui trancher une main ou un pied, qu'il donne en réparation une esclave femelle ou un esclave mâle.
Mais aussi bien :
art. 35. Si quelqu'un frappe un homme au point de lui casser seulement un os, qu'il donne en réparation trois vaches.
Les châtiments. L'infra-humanité des esclaves apparaît clairement à travers les châtiments. Selon Pierre Bonnassie, le nombre de coups qu'est susceptible de recevoir un esclave est, au témoignage des lois barbares, effrayant : des dizaines, des centaines de coups, autant et souvent bien plus qu'un bœuf ou un chien. Des coups de quoi ? Ici encore, silence des historiens qui se passionnent pour les problèmes institutionnels les plus subtils, mais se désintéressent, semble-t-il, de la manière dont étaient battus leurs ancêtres. Des coups de fouet semblent, dans bien des cas, probables : ils sont coutumiers, en tout cas, dans l'Espagne wisigothique. Les maîtres burgondes préfèrent, eux, le bâton.
La loi salique est la plus explicite : les esclaves sont liés, le dos nu, à un escabeau et frappés de verges dont la grosseur, normalement, est celle d'un petit doigt. Et qu'on ne pense pas que ces peines corporelles n'ont existé que dans l'esprit des juristes qui ont compilé les Codes germaniques : parlant des grands propriétaires hispaniques, le roi Ervige constate :
soucieux de faire travailler leurs champs, ils rossent leurs multitudes d'esclaves
L'église face à l'esclavage au haut moyen âge. Lettre aux Éphésiens dans un recueil de sermons du haut moyen âge :
Esclaves, obéissez à vos maîtres dans la droiture de votre cœur, non pas seulement quand ils ont l'œil sur vous, mais en faisant votre travail avec amour : car Dieu les a constitués pour qu'ils vous dominent, et vous pour que vous les serviez.
Écoutons saint Augustin lui-même, dont l'argumentation sera, elle aussi, indéfiniment reproduite :
La cause première de l'esclavage est le péché qui a soumis l'homme au joug de l'homme et cela n'a pas été fait sans la volonté de Dieu qui ignore l'iniquité et a su répartir les peines comme salaire des coupables.
Isodore de Séville, Archévêque de séville :
A cause du péché du premier homme, la peine de la servitude a été infligée par Dieu au genre humain : à ceux auxquels ne convient pas la liberté il a miséricordieusement accordé la servitude. Et bien que le péché originel ait été effacé pour tous les fidèles par la grâce du baptême, néanmoins Dieu le juste a réparti entre les hommes des genres de vie différents, instituant les uns esclaves, les autres maîtres, de manière à ce que la propension des esclaves à faire le mal soit réfreinée par le pouvoir des maîtres.
Vers la Révolution féodale du XIe siècle. A l'arrière plan, le développement technologique continue d'accélérer sans cesse augmentant la richesse des esclaves qui arrivent ainsi à acheter leur liberté. Les affranchissements deviennent de plus en plus nombreux. A partir du XIe les paysans libres deviennent majoritaires. L'esclavagisme devient minoritaire et contesté par la majorité de la population.
Voyez le paradoxe, qui n'est qu'une apparence, lorsque les esclaves sont majoritaires dans la population active l'idéologie dominante (Eglise) est aussi esclavagiste et c'est lorsque les esclaves deviennent minoritaires que l'idéologie anti-esclavagiste (y compris au sein de l'Eglise) devient dominante. C'est qu'un nouveau mode de production (paysans libres alleux) est né, à côté du mode de production esclavagiste, s'est agrandi et est devenu majoritaire en contradiction avec un Etat fondé sur le mode de production esclavagiste devenu minoritaire dans la population.
Pierre Bonnassie :
L'adhésion aux croyances chrétiennes, longtemps formelle ou hésitante, s'est généralisée dans les populations rurales : elle porte en germe la naissance des premiers « mouvements religieux populaires », elle entraîne surtout l'unification spirituelle de la paysannerie dans toutes ses composantes. Les progrès techniques libérateurs de main-d'œuvre se diffusent rapidement. L'expansion de l'économie agraire, qui s'affirme de plus en plus clairement, nécessite une mobilité toujours plus grande des travailleurs ruraux, implique donc des affranchissements. Les structures étatiques s'effondrent à la suite des nouvelles invasions et avec elles tout l'appareil de répression qui leur était lié. Partout se développe par conséquent ce que Giovanni Tabacco a appelé pour l'Italie « un mouvement de libération spontané »
Partout, le régime esclavagiste agonise dans la deuxième moitié du Xe siècle, pour mourir au plus tard au début du XIe siècle. Dans cette perspective, le capitulaire d'Otton III qui, en 998, essaie pour la dernière fois de réfreiner l'appel de liberté des derniers esclaves, peut être considéré comme son acte de décès en Europe occidentale.
Le commerce esclavagiste des Noirs du XVIIe au XIXe siècle
L'esclavage des Noirs en Amérique du XVIIe au XIXe siècle s'explique par deux facteurs. A cette époque, le niveau technologique de l'Afrique était arriéré comparable à la Rome antique et par suite l'esclavagisme intra-africain était encore dominant et ne choque point la morale de la même manière qu'aujourd'hui être salarié est tout à fait normal et même très recherché pourtant ça reste une forme d'esclavage dégradé (on est obligé de vendre une partie de sa liberté pour vivre). Les rois et les seigneurs africains n'avaient pas de problème à vendre leurs captifs de guerre ou leurs esclaves d'élévage aux Blancs pourvu que ça leur rapporte de nouveaux produits de consommation rares ou inexistants en Afrique.
Par contre chez les Européens la situation est complètement différente. L'esclavage y a été aboli depuis la Révolution féodale du XIe siècle et est perçu par l'opinion publique comme contraire à la nature humaine.Les Noirs, du fait de leur retard technologique et par conséquent du mode de production esclavagiste dominant entre les Africains eux-même, étaient considérés comme des non-humains [cela rappelle l'esclavage des Blancs dans l'Antiquité et le Haut moyen âge]. Au niveau morale, l'acceptation populaire de l'esclavage des Noirs durant plus de trois siècles alors que cela est inconcevable chez les Blancs eux-mêmes s'explique par le choc entre deux civilisations isolées de niveau technologique, et par conséquent, économique très inégal. C'est la source historique du racisme actuel notamment dans les pays où vivent une importante minorité noire descendante d'esclaves : Etats-Unis, Brésil, Afrique du Nord, Moyen-Orient.
Vers l'inévitable société communiste au XXIe siècle
Pour les scientifiques qui font des recherches sur l'origine de l'humanité, tous les hommes forme une seule espèce Homo sapiens. Sur le plan sociologique, on peut voir cette unité malgré les inégalités technologiques entre les pays. Dans tous les pays, la société fonctionne d'après la lutte des superclasses et à l'intérieur de chaque superclasse se déroule une lutte de classes. C'est pourquoi bien que le communisme soit techniquement possible avec l'existence d'une population permanente de chômeurs, il est impossible socialement. C'est ce que Marx et Engels n'ont pas vu. Et c'est pour cela justement que l'URSS s'est effondrée en moins d'un siècle [à travers une crise de pénurie de consommation alors qu'elle était la première puissance technologique et militaire au monde devant les Etas-Unis].
Pour que le communisme soit socialement possible, le développement technologique doit atteindre un niveau tel que la majorité de la population active soit des chômeurs. C'est vers cela qu'on se dirige avec la baisse tendancielle du taux de croissance et la hausse du taux de chômage dans les pays dévéloppés parallèlement à l'augmentation du nombre de pays industrialisés au niveau planétaire. A terme au cours de ce siècle, on aura simultanement [à une ou deux décennies près] une majorité de chômeurs dans la population active de tous les pays. L'effondrement du capitalisme-salariat dans les pays industrialisés entraine un effondrement similaire dans les pays exportateurs de matières premières. Voilà le point de départ historique de la société communiste.
La société communiste est la réconnaissance de l'égalité sociale entre les individus. Plus les technologies avancent, plus elles entrent en contradiction les rapports sociaux du capitalisme-salariat fondés sur l'inégalité sociale source de chômage et de précarité. Le chômage agit aveuglement comme un rabot social sur les revenus. Un cadre supérieur, un cadre moyen et un ouvrier ont tous le même revenu après une longue période de chômage : les minimas sociaux. C'est la nécessité de l'égalité sociale qui agit ainsi de façon douloureuse parce que refoulée par la société. Pour reconnaitre l'égalité sociale entre les individus, il faut abolir la spécialisation du travail. Ce qui implique la mise en commun des biens de consommation et des biens de production. Une fois que l'égalité sociale devient une réalité, la base matérielle du racisme est détruite à jamais.
Référence : Pierre Bonnassie Survie et extinction du régime esclavagiste dans l'Occident du haut moyen âge(IVe-XIe siècle). 1985.
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