Une commémoration du 11 novembre en 2015
Je vais peut-être décevoir au passage ceux qui s'attendent à une critique par principe des commémorations en tant que telles. Cependant, une fois ce débat écarté...
La petite histoire
Qu'y avait-il donc de particulier lors de cette commémoration, similaire à beaucoup d'autres qui ont eu lieu dans toute la France ? En grande majorité, si on n'était pas attentif, il n'y avait rien d'étonnant ni de choquant. Et ça a sûrement été le cas pour la plupart de l'auditoire. Le contenu des discours prononcés était à 95% adapté à la situation, à la juste mesure pour expliquer ce que je viens d'écrire plus haut.
Ce sont les 5% restants qui m'ont posé quelques problèmes. Lesquels ? Trois thèmes de propagande principaux contemporains transpiraient dans quelques unes des phrases bien placées...
Premier thème - La mission suprémaciste :
Toute allusion à la France, qu'elle soit légitime ou instrumentée, était systématiquement associée à la propagation de la démocratie dans le monde. Nous étions en présence d'un véritable Obama mais à l'échelle d'une ville. Moins dangereux, certes, mais partageant (ou feignant de partager pour se conformer aux usages et au discours préparé) les mêmes prétentions quant à ce « modèle » que nous aurions quasiment le devoir de propager, alors que même sur place il peut être parfois soumis à discussions. De là à l'imposer aux autres, il n'y a qu'un pas. Et c'est ainsi que furent justifiées les missions pénibles, coûteuses et souvent inutiles dont la France charge aujourd'hui son armée sous équipée et inutilement surexploitée. Toutes ces missions, qui dans le meilleur des cas ont pour but de tenter de réparer les erreurs de stratégie notoire, peuvent même parfois devenir des opérations de guerre immorale. Mais la justification officielle est là : Nous sommes le modèle de la démocratie, donc tout ce que nous faisons dans le monde est pour le bien de tous. Ne pas le reconnaître ferait de vous un traître, voire bien pire encore, car le traître est souvent un peu bobo sur les bords et est donc excusable : Un « faux » patriote qui ne comprend rien au vrai patriotisme et à la vraie morale des bisounours qui nous gouvernent. Bref, quelqu'un qui remet en cause les décisions prises à haut niveau tout en prétendant être patriote. Pouah, à enfermer ! Pire encore que de voter pour un parti eurosceptique, dites donc ! Un « rouge-brun » ! Nous sommes avertis !
Deuxième thème — Apologie de l'Union Européenne et de ses pleins pouvoirs
Les lecteurs réguliers d'Agoravox savent très bien que les européistes tentent à tout prix de promouvoir la marche forcée des nations vers le contrôle total par l'UE au moyen de ce dogme : « L'Union Européenne c'est la paix » évoluant vers sa version subtilement déformée, pour ne pas être contredite, mais comprise dans le même sens : « L'Europe c'est la paix ». Considérant qu'entre 1945 et le début des années 90 il n'y a plus eu de guerre mondiale ni de guerre directe entre européens, nous devons conclure que nous avons eu beaucoup de chance ! En effet, il a fallu attendre les années 90 pour que le mécanisme de contrôle tentaculaire de Bruxelles que nous connaissons aujourd'hui devienne opérationnel pour nous « garantir la paix ». Bien sûr, la guerre de Yougoslavie, il ne faut pas la considérer. Il y a probablement mille excuses pour contourner ce sujet, et surtout pour éviter de parler du rôle odieux déjà joué à l'époque par l'OTAN, France en tête, dans cette affaire. Mais aujourd'hui, comme tout est beau, n'est-ce pas ? Ne le remarquez vous pas ? Tout va bien autour de chacun de nous, et l'UE au service des USA oeuvre pour la paix dans le monde, entre coups d'Etat fomentés, guerres d'intervention, et subvention de terroristes. Ceux là même qui peuvent se retourner parfois contre l'envoyeur, à grande échelle le 11 septembre 2001 et avec des moyens plus limités chez Charlie Hebdo plus récemment, les autres victimes ayant déjà été oubliées car trop ordinaires. Je ne m'éloigne d'ailleurs pas du sujet ici puisque l'attentat en question avait été l'occasion pour une énorme opération d'auto-satisfaction européiste : Nous sommes attaqués parce-que nous sommes les meilleurs. Cela prouvait donc que nous étions en tous points sur la bonne voie ! Dans cette logique, quoi donc de plus normal que d'entendre dans un discours de commémoration d'armistice des louanges à l'Union Européenne et à Schumann, sous couvert de réconciliation qu'on peut considérer légitime, mais avec comme but l'acceptation totale et sans discussion de ce qu'on appelle aujourd'hui la « construction européenne » ! Et ça marche, ça marche même très bien. C'est en ce genre de circonstances qu'une seule phrase bien placée fait mouche et touche le public euro-ramolli, vieux comme jeune, de la manière attendue ! Et tout cela s'acheva par l'ode à la joie, l'hymne européiste par excellence (après avoir été très populaire en Allemagne durant la seconde guerre) chanté par une chorale de lycéens ! « Plus de haine, plus de frontières » disait les paroles adaptées, contrastant candidement (pour rester poli) avec la Marseillaise qui disait quant à elle encore aujourd'hui, chantée par ces mêmes lycéens : « qu'un sang impur abreuve nos sillons » ! Il faut être doué pour arriver à caser tout ça dans une même ligne idéologique, dites donc ! Je me demande bien comment nos lycéens perçoivent tout cela !
Troisième thème — Propagande d'auto-glorification au moyen de mots dont le sens change avec l'histoire
Au cas où les arguments précédents ne suffiraient pas à convaincre l'auditoire du bien fondé des actions actuelles, en rapport avec les leçons de l'histoire, de la France sous contrôle néolibéral, il reste l'ultime joker : L'usage délibéré de mots mal compris et qui déclenchent des émotions. Si un mot dans une telle situation a été massivement utilisé ce matin là, c'est bel et bien le mot « liberté ». Cette liberté dont on dit qu'elle mérite qu'on lui sacrifie tout...
Dans le sens de la Marseillaise (« liberté chérie » répétée plusieurs fois dans les discours) et même dans celui que le mot pouvait avoir en 1918, la liberté désignait simplement le refus par une nation entière de se soumettre à un envahisseur. Qu'on approuve ou pas cette signification, aujourd'hui ce mot est probablement compris de 50 façons différentes selon celui qui l'entendra. Son usage si abusif et sans explications prouve une volonté réelle de manipulation par ceux qui l'ont préparé, quel que soit le sens qu'on peut attribuer personnellement au mot liberté. Pour s'en convaincre il suffit d'observer que toutes les propagandes du monde, légitimes ou pas, et appliquées par tous les types possibles de régimes, usent et abusent de ce mot. On peut établir assez facilement une classification. Par exemple, de nos jours, dans les pays faisant partie de la sphère d'influence occidentale il s'agit de montrer qu'on parle exclusivement (à tort ou à raison) de la liberté individuelle qui est assurée par le seul et unique modèle de civilisation viable : le « nôtre », ou plus précisément une sorte de modèle consensuel que chacun de ces pays voit comme le « sien » plus que celui des autres qui ne ferait que s'en rapprocher. Cela colle parfaitement avec les prétentions affichées dans les premiers thèmes et l'esprit d'autosatisfaction qui y domine. Qu'on ne s'étonne donc plus de la convergence apparente entre nos jacobins en herbe et les néo-conservateurs américains. Ca s'explique parfaitement de cette manière, et ça nous donne le premier sens contemporain du mot liberté tel qu'il sera compris par 90% de l'auditoire. Les poilus seraient donc morts pour qu'on ait par exemple le droit de faire des caricatures dans un journal (puisque ça semble être le plus important de nos jours en France). En simplifiant : pour qu'on ait des droits. Et il est voulu que l'auditoire le comprenne ainsi.
Mais même aujourd'hui ce mot n'est pas compris de la même façon partout ailleurs, et c'est là que ça devient intéressant. Tout d'abord, on peut remarquer que les gouvernements non alignés et/ou souverainistes utilisent les deux principaux sens du mot : Indépendance du pays ou liberté individuelle, selon le contexte clairement exprimé. Il est évident que la géopolitique et la guerre ont plutôt rapport avec le premier sens, avec un possible effet sur la liberté individuelle que les gens vivant une guerre relativisent beaucoup, n'en déplaise aux bien pensants vivant encore à l'abri et applaudissant les déstabilisations orchestrées. Mais ça, ça ne fait pas partie des discours officiels de cette année en France.
Vient enfin la dernière tendance du sens de ce mot, tel qu'il est utilisé tout aussi massivement par les véritables tyrannies. Et je dis bien les vraies, comme par exemple la Corée du Nord, l'Arabie Saoudite ou les anciennes dictatures communistes disparues qu'on aime aujourd'hui nous agiter devant les yeux comme un chiffon rouge afin de nous faire aimer le néolibéralisme et le libre échange mondial. Il est évident que dans la propagande officielle de tels régimes, le mot liberté ne peut avoir que le sens « indépendance du pays », qu'elle soit réelle ou prétendue. Il ne peut être question de liberté individuelle, et pourtant là-bas aussi les discours comportent ou comportaient des tonnes de libertés : Liberté de la nation face aux ennemis qui voudraient, réellement ou non, la conquérir, ou encore « liberté du peuple » représenté par son leader « éclairé » qui sait ce qui est bon pour ce même peuple. Il n'y a qu'un seul point commun entre cette conception de la liberté et celle du discours actuel se voulant occidental, mais il est de taille : La soif de liberté donne le droit à tout. On peut tout faire contre tous car on est le champion de la liberté, le seul expert en liberté digne d'intervenir. On intervient soit pour « corriger » ceux qui dévient de la pensée politiquement correcte (à des degrés plus ou moins élevés) qui sont de-facto contre la liberté, ou encore en dehors du territoire, sous réserve d'être suffisamment puissant et arrogant. Bien sûr, bon nombre de personnes trouveront encore aujourd'hui la comparaison peu crédible, tant leur situation actuelle leur paraît encore envieuse par rapport à celle de citoyens de pays réellement totalitaires. Mais la question qui me vient est la suivante : Génération après génération, alors que les sociétés et les gouvernements changent petit à petit, et que chacun reste persuadé d'être le seul à dispenser expertement la liberté, qui pourra juger du bien fondé des actions de chacun ? L'ONU ? Théoriquement, sur le papier, ça devrait être le cas. Là encore nous nous approchons d'un débat polémique. Ce que je peux simplement remarquer est que parmi les multiples discours prononcés à l'ONU et pouvant être parfois très intéressants, la presse n'en retransmet que l'infime partie qui va dans le sens des plans euro-atlantiques paranoïaques et agressifs au nom de « la liberté et la démocratie ». Et quand on est un expert en liberté, on se préoccupe peu de cela, on n'en a pas besoin, n'est-ce pas ? Une dernière question : Pensez vous que vivre personnellement libre (enfin, plus ou moins) dans son pays donne le droit de faire plonger les autres dans la guerre civile au nom de cette seule et même excuse ? Il me semble que ceux qui cautionnent cela mériteront ce jour où ils perdront eux aussi leur réelle liberté, dans les deux sens principaux du terme, et même bien pire que ça : Le jour où il faudra maintenir par la force une pseudo-stabilité dans une Union Européenne en faillite, arrogante et en total déclin. A ce moment là, toutes les types de libertés prétendues serviront de prétexte pour des guerres, froides ou chaudes, qui détourneront l'attention d'une population désemparée et ruinée.
Finalement, j'espère que tous ces braves lycéens qui ont fait preuve de civisme ce matin se sont laissés aller à quelque distraction lors du discours. Ca vaut finalement mieux...
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