Une concordance des temps ...
Cette émission de France Culture du samedi à 10 heures est animée par Jean-Noël Jeanneney. Dans son introduction est reprise cette déclaration de Marguerite Yourcenar : "Le coup d’œil sur l'histoire, le recul vers une période passée, ou comme aurait dit Racine vers un pays éloigné, vous donne des perspectives sur votre exemple et d'y penser davantage, de voir davantage les problèmes qui sont les mêmes ou au contraire ceux qui différent ou les solutions à y apporter". Très modestement, il s'agit donc ici de jouer de ces concordances des temps et d'appliquer cette grille de lecture sur des évènements politiques très récents.
Nous sommes le 12 juillet 1972, trois partis de gauche signent le Programme Commun de Gouvernement. Ce programme a été négocié par François Mitterrand pour le Parti Socialiste, Georges Marchais pour le Parti Communiste Français et Robert Fabre pour les Radicaux de Gauche. Cette union programmatique se nommait Union de la Gauche.
Nous voilà le 19 mai 2022, pour les élections législatives, quatre partis principaux de gauche s'accordent sur un Programme Partagé de Gouvernement. La négociation est menée par Jean-Luc Mélenchon pour La France Insoumise, Olivier Faure pour le PS, Julien Bayou pour Europe Écologie les Verts et Fabien Roussel pour le Parti Communiste Français. La Nouvelle Union Populaire Écologique et Sociale est née.
La différence entre les deux programmes est conjoncturelle, les participants au premier se sont mis d'accord lors de longues négociations, douloureuses et même hasardeuses. Le résultat est un programme qualifié de commun, tous les point du programme engagent les signataires. Pour le second, les conditions étaient très différentes. C'est un accord avant tout électoral. Des négociations rapides et aussi douloureuses que hasardeuses se sont déroulées entre les deux tours. Il ne s'agit plus d'un programme commun, mais partagé. À sa lecture, on comprend facilement que des points de désaccord importants existent. L'honnêteté exige que l'on reconnaisse que ces points sont mis en évidence dans le corps même du document.
Mais que s'est-il passé. La suite ? Quel suspense !!! Et bien voilà, en 1977, la rupture est actée, lors de la réactualisation, les points de vue se sont éloignés. Le petit Parti Radical de Gauche et le PCF en sortent avec fracas, le Parti Socialiste se pose dans le rôle du sage. La conférence de presse où Robert Fabre et Georges Marchais se disputent le micro est inoubliable. Devant les caméras et les micros tendus de toute la presse, les deux s'écharpent pour parler en premier. Étonnamment, Marchais, bien qu'arrivé avant, laisse la parole au pharmacien de Villefranche-de-Rouergue. Il est bien plus habile politique et sait que le dernier qui parle est mieux entendu, mais enfin … la scène reste dans toutes les mémoires.
En 2023, la NUPES vole en éclat. Les insultes croisées et les bagarres ne se font pas en tribune, les réseaux sociaux en sont le canal privilégié. Dans un premier temps, les uns et les autres de la Nupes se contentent de coups à fleuret moucheté. Il ne s'agit pas de détailler ici, toutes les déclarations politiques de LFI, PS, PCF et EELV de cette période, propos tellement entendus et sans grande honnêteté. De tous les côtés, on ne s'oppose pas, on discute … On discute ou on fait semblant. Oui, mais voilà que cela dure, et l'impatience gagne le camp de l'insoumis en chef. Les derniers échanges sont d'une autre nature, les accusations fusent et les arguments politiques laissent la place aux comparaisons historiques déplacées, aux propos incendiaires ou aux appels au calme assez faux-cul.
La ressemblance est évidente même si le contexte politique est très différent, les participants ne sont plus les mêmes et les circonstances sont d'une autre nature. Est-ce que la concordance s'arrêterait à ce stade ? Sur les faits avérés, est-il vraiment possible d'aller bien plus loin ?
Il serait donc assez commode de s’arrêtait là dans la concordance. Essayons de subodorer la suite. De quoi s'agit-il en fait ? Les négociations ont été menées et orchestrées par deux partis dominants, le Parti Socialiste de l'époque de François Mitterrand et La France Insoumise de maintenant, celle de Jean-Luc Mélenchon. Il est facile de comprendre que l'objet même du programme commun ou partagé est d'être l'instrument permettant d'accéder à la fonction suprême. Une fonction suprême que les deux ont vivement critiquée : le premier l'a trouvé pas si désagréable que cela pendant ses deux septennats, le second qui en pensait si peu de bien, s'en satisferait si le projet de Vième tombait dans les oubliettes ...
Revenons en 1977 ... c'est épuisant ce retour vers le futur politique. Donc en 1977, Mitterrand constate le désaccord et la fin du programme commun, en habile politique, il sait que les nuages ne restent pas toujours au même endroit. Le temps ne se découvre pas en 1978 pour les élections législatives. Il patiente et attend la campagne présidentielle de 1981. Mais avec quel programme ? L'union de la Gauche est morte et enterrée. Il invente le concept des 110 propositions et se propose au dernier moment de l'incarner. Tout le monde sait la suite, une élection avec des promesses qui font briller les yeux de tous et un réveil rigoureux et douloureux en 1984.
Et aujourd'hui ? Mélenchon n'est pas la moitié d'un con, dans son sens ancien "très intelligent", c'est un vrai politique au nez creux et à l'ambition qui va avec. Il est aussi un fervent "mitterrandiste". Mélenchon n'est pas celui qui a provoqué ces ruptures et chamailleries, mais il faut tout de même reconnaître qu'elles servent son projet non avoué de rester le chef incontesté d'une gauche qui voudrait accéder au pouvoir.
Est-ce que les mêmes évènements provoqueront le même résultat et la victoire d'un président de gauche ? Rien n'est moins sûr. Mais ce qui est presque certain, c'est que la candidature de Mélenchon en 2027 est de plus en plus dans la météo insoumise. Les dernières déclarations sur le sujet du soldat Bompard vont dans ce sens : "Si la présidentielle devait avoir lieu demain, il me semble évident que Jean-Luc Mélenchon reste aujourd’hui le candidat de LFI et de la Nupes qui a le plus de chances de l’emporter"
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